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Du plombier polonais à l’Europe des métiers

Chacun se souvient encore du fameux plombier polonais qui fut le héros bien malgré lui de la campagne de 2005 sur la ratification du Traité constitutionnel européen. Il débarqua même à Paris, quelques semaines après le « non » des Français, sous les traits d’un comédien recruté, je crois, par l’office de tourisme de son pays. L’initiative, plutôt astucieuse et amusante, fut un bon coup de pub pour la Pologne. C’était de bonne guerre. Après la campagne difficile du printemps 2005, nombreux ont été ceux qui, tenants du « oui » et du « non » ensemble, avaient souri de ce clin d’œil. Le temps a passé depuis et le plombier est retourné à un certain anonymat. C’est pourtant encore à lui que je songe en introduisant ces quelques réflexions et propositions sur les qualifications professionnelles en Europe car, polonais, allemand, grec ou français, le parcours du plombier au-delà des frontières reste exemplaire des difficultés de l’établissement dans l’espace européen.

Des principes et des textes à la pratique sur le terrain, il y a en effet des écarts parfois conséquents, sources d’injustices pour de nombreux Européens cherchant à s’employer dans un autre Etat de l’Union que celui dont ils sont les nationaux. C’est même un euphémisme que d’écrire que la reconnaissance des qualifications professionnelles, soutien pourtant nécessaire à la libre circulation des personnes, avance depuis trop longtemps au rythme d’un escargot. Pour une large part, il faut y voir les conséquences du droit conservé par chaque Etat membre de réglementer les professions comme il l’entend. Point de discrimination fondée sur la nationalité, certes, mais cependant un capharnaüm de dispositions complexes, opaques et finalement décourageantes au moment de forcer l’accès au marché au travail ou de négocier un salaire. C’est ainsi qu’il existe plus de 800 professions réglementées dans au moins un Etat membre de l’Union européenne…

Seules 7 professions disposent aujourd’hui de formations harmonisées, garantissant ainsi la reconnaissance automatique. Il s’agit des médecins, dentistes, infirmiers, sages-femmes, pharmaciens, vétérinaires et architectes. La galère qu’avaient constituée les débats préparatoires à ces harmonisations n’a pas vraiment poussé les Etats membres à persévérer dans cette voie. Tout repose donc sur la Directive n°2005/36, entrée en vigueur en 2007. Son objectif est, non plus d’harmoniser, mais de préparer la reconnaissance mutuelle des formations aux professions réglementées. Pour l’artisanat, la reconnaissance est acquise sur la base d’une expérience professionnelle de 6 ans. Pour les autres formations réglementées, la réalité est bien plus dure. C’est Etat par Etat et profession par profession que la reconnaissance s’opère, sur la base d’une grille commune de comparaison.

Si un Etat considère un niveau insuffisant, il faut alors recourir à un test d’aptitude ou un stage d’adaptation. Les difficultés et tracasseries interviennent souvent lorsque les autorités locales chargées de l’appréciation du dossier n’ont qu’une faible expérience des mécanismes de reconnaissance ou que la législation nationale fait silence, volontairement ou non, sur les modalités précises de celle-ci. La France s’était ainsi retrouvée en infraction il y a quelques années pour ne pas avoir prévu les conditions de délivrance de la carte professionnelle de guide touristique aux ressortissants européens. Le processus de surveillance par la Commission européenne de l’application par les Etats membres des dispositions de la Directive n°2005/36 est donc essentiel pour que des progrès soient enregistrés dans la reconnaissance des formations pour les processions réglementées.

Reste enfin les professions non-réglementées, pour lesquelles les difficultés sont moindres en soi, mais qui requièrent cependant une vigilante attention également. Depuis des années, les Etats membres avancent lentement pour dresser une grille de comparaison de leurs systèmes respectifs de formation professionnelle. Un cadre européen de certification a été adopté en 2008. Un système européen de crédits d’apprentissage pour l’enseignement et la formation professionnelle (ECVET) a été mis en place la même année. Il reste beaucoup de travail à faire, notamment pour mobiliser effectivement autour de l’ECVET tous les établissements d’enseignement professionnel de l’Union. C’est à la fois d’encouragement à la mobilité et de progrès sur la reconnaissance des formations reçues qu’il doit être question.

L’Union européenne ne peut en effet se permettre plus longtemps de faire du cabotage politique et législatif sur la question de la formation et de l’enseignement professionnels. Les résultats obtenus à ce jour sont décevants à la hauteur de l’enjeu : l’accès à l’emploi. Le programme Leonardo, qui vise à permettre aux jeunes en formation initiale et aux apprentis de faire un stage à l’étranger, est très largement sous-abondé. Or, c’est d’un vaste Erasmus de l’apprentissage, de l’enseignement professionnel et de la formation permanente, également ouvert aux formateurs eux-mêmes, que l’Union a besoin. Nous en sommes encore très loin, malheureusement. Il faut aussi être exigeant à l’égard des Etats membres quant à l’identification des autorités nationales chargées des processus de reconnaissance.

Enfin, sans doute faut-il prendre acte des difficultés qu’il y a à avancer à 27 et le plus souvent à l’unanimité sur des sujets aussi complexes. Des coopérations renforcées pourraient être recherchées, construites autour d’un noyau dur d’initiatives déjà existantes. Ce pourrait par exemple être le cas du programme d’échange franco-allemand en formation professionnelle.

Et, quitte à bousculer les cadres institutionnels, d’autres pistes pourraient être explorées en parallèle, comme des négociations professionnelles de branches à l’échelle européenne, qui, hors jeu diplomatique classique, pourraient peut-être plus utilement identifier les solutions et progrès possibles par le travail des partenaires sociaux. Ceci pourrait conduire aux premières conventions collectives européennes ou à la traduction législative par les institutions européennes de la volonté des partenaires sociaux.

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