
La Cour internationale de justice a rendu hier mercredi 23 juillet à l’unanimité un avis historique sur le changement climatique. C’est la première fois que la CIJ avait à traiter des obligations légales des Etats face au changement climatique, qualifié par son président Yuji Iwasawa de « menace urgente et existentielle » pour les écosystèmes naturels et les populations humaines. La procédure avait été initiée en 2019 par un groupe d’étudiants du Vanuatu et validée en 2023 par l’Assemblée générale de l’ONU. Lors de l’audience organisée en fin d’année 2024, plus de 100 Etats et organisations internationales avaient pris la parole au Palais de la Paix à La Haye. Deux questions étaient posées. La première portait sur les obligations des Etats en droit international pour protéger le climat. La seconde visait les conséquences juridiques découlant de ces obligations pour les Etats dont les émissions ont causé des dommages, notamment envers les Etats insulaires comme le Vanuatu.
A la première question, la CIJ a répondu que « les traités relatifs au changement climatique imposent aux Etats-parties des obligations contraignantes relativement à la protection » du climat et de l’environnement contre les émissions de gaz à effet de serre. Ces obligations sont l’adoption de mesures pour contribuer à l’atténuation des émissions et à l’adaptation au changement climatique. La CIJ a jugé que « les Etats ont l’obligation de (…) mettre tous les moyens à disposition pour empêcher que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle causent des dommages significatifs » au système climatique et à l’environnement. Cette formulation est d’importance car la CIJ signifie ainsi que la responsabilité des Etats n’est pas réduite par le fait que les émissions procèdent des activités d’entreprises. La CIJ a jugé également que le changement climatique pouvait affecter le droit à la santé et les droits des femmes, des enfants et des peuples autochtones.
Sur la seconde question, la CIJ a estimé que la violation de l’une de ces obligations « constitue, de la part d’un Etat, un fait internationalement illicite engageant sa responsabilité ». L’Etat concerné a de ce fait « un devoir continu de s’acquitter de l’obligation à laquelle il a manqué », ce qui entend la cessation de l’action en cause ou de l’inaction. Surtout, les Etats affectés par le changement climatique pourront sur cette base obtenir des Etats pollueurs une « réparation intégrale »sous forme de « restitution ou indemnisation » dès lors « qu’un lien de causalité suffisamment direct et certain » pourra « être établi entre le fait illicite et le préjudice subi ». Ce lien de causalité ne sera pas simple à établir devant une juridiction nationale face à la résistance des Etats pollueurs. Y parvenir, comme l’écrit la CIJ, ne sera cependant « pas impossible ». La question de la réparation concrète par les Etats pollueurs du préjudice causé constituera en effet selon toute vraisemblance la prochaine étape.
L’avis de la CIJ n’est pas contraignant en droit, mais il ne fait pas grand doute que sa portée sera considérable dans la dynamique des négociations climatiques internationales et dans les délibérés des affaires sur le climat portées devant les juridictions nationales, pour qui la jurisprudence de la CIJ est une référence majeure. Dans les négociations internationales, l’avis exercera notamment une pression accrue en faveur d’un financement renforcé et accéléré par les Etats et les banques internationales de développement des projets de décarbonation d’activités économiques et de transition énergétique. En matière de justice climatique, il encouragera davantage d’organisations non-gouvernementales et de collectifs de citoyens à porter devant les juridictions nationales des actions à l’encontre des gouvernements et d’entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre. A ce jour, il y aurait quelque 3 000 affaires de justice climatique en attente de jugement dans le monde.
La judiciarisation du climat est une réalité, que l’on s’en félicite ou l’on s’en désole. Elle est l’expression d’un désarroi partagé face à la lenteur des efforts d’adaptation au changement climatique et à l’insuffisante réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est désormais acquis, malheureusement, que l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle ne sera pas atteint puisque le monde se trouve d’ores et déjà, 10 ans après la COP 21, dans l’épure de ces 1,5°C. La multiplicité et la violence accrue d’épisodes climatiques autrefois rares font peur, qu’il s’agisse de canicules comme celle du récent solstice d’été ou de tempêtes destructrices. Ignorer cette peur de l’avenir, l’écarter, la moquer est le fonds de commerce d’une internationale du déni qui prospère sur les réseaux sociaux et les chaînes de TV réactionnaires. Son but est d’entraver l’effort international face à la crise climatique.
Il y a d’un côté la volonté, parfois excessive, et de l’autre le cynisme. Donald Trump se moque du changement climatique, même face au pire comme avec les tragiques inondations survenues au Texas. Il sort son pays de l’accord de Paris, rouvre les centrales au charbon, combat les énergies renouvelables, démantèle les normes environnementales et instaure une police de la pensée dans les universités en coupant les budgets, gelant les programmes et licenciant les chercheurs. En Europe aussi, le déni ou la résignation progressent. Il ne reste plus grand-chose du Green Deal qu’Ursula von der Leyen portait jusque l’an passé et qu’elle démantèle désormais. La prise de conscience de l’urgence climatique est devenue impopulaire. Le moratoire sur les énergies renouvelables voté par l’Assemblée nationale un jour de juin – et fort heureusement balayé la semaine suivante – est la triste illustration du déni, du renoncement et quelque part aussi d’une forme de cynisme.
Le sujet climatique revêt une intense dimension citoyenne. Il oppose le moyen et long terme à l’immédiateté, la crainte de perdre ce que l’on a aujourd’hui sans garantie de ce que l’avenir sera. La question sociale dans l’action climatique a été souvent ignorée ou ramenée au rang de préoccupation lointaine. Ce fut une lourde erreur et cela le reste. Le mouvement des gilets jaunes a montré combien cette opposition de la fin du mois à la fin du monde était funeste. Il faut un accompagnement social des choix climatiques calibré sur les géographies – monde rural, monde périphérique, vie urbaine – et les différences de revenus. Sans cela, l’action climatique sera vécue comme une entrave et in fine combattue. Il faut aussi pouvoir – et vouloir – illustrer ce que l’action climatique apporte de positif dans la vie quotidienne, par exemple pour les économies d’énergie et donc le pouvoir d’achat après l’isolation thermique d’un logement ou l’installation de panneaux solaires en toiture.
L’acceptabilité des efforts est la clé du succès pour l’action climatique, nationale comme internationale. Dans ce contexte, l’avis de la CIJ du 23 juillet 2025 est un développement essentiel. Il peut opposer, diviser, radicaliser les parties. La probabilité que cela survienne est réelle, au moins dans le court terme. Mais cet avis doit aussi servir de wake up call. La crise climatique n’est pas disjointe des bouleversements géopolitiques de notre monde. Choisir d’y répondre, en particulier pour les Européens, c’est prendre un temps d’avance décisif sur la cupidité, les calculs et l’ignorance à l’œuvre ailleurs. C’est concurrencer la Chine sur les énergies renouvelables. C’est accueillir les chercheurs et les investisseurs que Trump pousse dehors. C’est travailler à la souveraineté de nos choix européens et à la sécurité de notre espace commun. C’est agir de concert avec les pays en développement. Et c’est protéger les citoyens et construire l’avenir pour et avec eux. Il en est encore temps.
Texte intégral de l’avis de la Cour internationale de justice : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/187/187-20250723-adv-01-00-fr.pdf
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Retour à Tauves
Hier, je suis retourné à Tauves. J’ai mis 58 ans à le faire. Je ne savais pas trop ce que j’allais trouver. Un joli village auvergnat, certainement. Mais peut-être plus aussi, quelque chose qui me toucherait, évoquerait des souvenirs lointains, enfouis, heureux, partagés. J’allais sur mes 3 ans. A cet âge-là et si longtemps après, en appeler à la mémoire est un peu vain. Et pourtant, j’ai toujours aimé que l’on me raconte ce mois d’été passé à Tauves, mes premières vacances avec mes parents. Nous avons parlé de Tauves en famille si souvent. C’était en juillet 1967, il y a une éternité. Le Général de Gaulle était à l’Elysée et mai 1968 n’avait pas encore eu lieu. Mon père conduisait une Peugeot 404 alors rutilante. Comment étions-nous arrivés à Tauves ? Le professeur de géologie qu’il était voulait crapahuter sur les pentes des volcans et une petite annonce de location dans L’Ecole libératrice, le journal syndical de mes parents, avait scellé la destination. Nous avions traversé la France sans autoroute, celle des petites villes et des bourgs. Ma sœur était restée en Bretagne avec ma grand-mère. J’étais assis au fond de la voiture avec mon ours en peluche, comptant les châteaux d’eau. Pour les châteaux, les vrais, cela viendrait plus tard. Une maisonnette nous attendait à Tauves. Et l’Auvergne aussi.
Pour nous Bretons, les quelque 850 mètres d’altitude de Tauves, c’était l’Himalaya. Des années après, mon père racontait toujours les virages et les tournants précédant l’arrivée à Tauves. On se serait cru dans une étape du Tour de France. Le village était petit et chaleureux. Nous allions à pied faire les courses. Chez le boucher, se souvient ma mère, il n’y avait pas de machine à hacher la viande et le steak destiné au bambin que j’étais était coupé et recoupé avec le plus grand soin. Nous partions vers les volcans. Mon père avait à la main son marteau de géologue. Il fallait trouver les bombes volcaniques. Comment diable expliquer cela à un enfant ? Une expression avait été inventée pour moi : « les cailloux bizarres ». On m’en avait montré un et je devais en chercher d’autres. Il paraît que je faisais bien le job. De fait, au moment de quitter Tauves à l’issue des vacances, l’arrière de la Peugeot 404 trainait presque par terre tant le coffre était lourd de ces trouvailles destinées au laboratoire du Lycée La Tour d’Auvergne de Quimper. « Les cailloux bizarres » avaient tellement envahi mon esprit que de retour, je continuais à les chercher jusque dans la cour de récréation de l’école maternelle, au point d’inquiéter mon institutrice, surprise que je vienne lui faire la savante description du moindre gravier.
A proximité de Tauves vivait une cousine pittoresque et amusante. C’était la cousine Renée. Elle avait une forte et énergique personnalité. Renée était la sage-femme de l’hôpital de Riom. Le travail au sortir des études l’avait conduite en Auvergne et elle y était restée. Elle adorait sa région d’adoption. Nous avions découvert avec elle les lacs de cratère et le sommet du Puy-de-Dôme. Elle s’amusait bien avec moi. Longtemps après, me visitant en Californie, elle m’avait lancé : « tu te souviens de Tauves ». Ce n’était pas une question, mais une affirmation. Je devais bien entendu me souvenir … de ses souvenirs. J’avais été plutôt embarrassé de lui répondre que les choses étaient certes un peu lointaines, vu mon jeune âge à l’époque, mais les histoires qu’elle s’était alors empressée de raconter m’avaient immédiatement réinscrit dans le récit et je ne pouvais donc plus oublier. Il y avait le vert des montagnes, le bleu du lac Pavin et, souvenir rapporté aussi par mon père et ma mère, une journée achevée sous le déluge au Championnat de France de cyclisme disputé non loin de Tauves. Nous étions assis sur une couverture au départ de la course et planqués sous la couverture quelques heures plus tard. Un coureur breton avait gagné et nous étions très fiers. Le temps de rentrer à Tauves, il avait déjà été déclassé. Dopage…
C’est tout cela, je crois, que je suis venu chercher, 58 ans après : mon passé de petit garçon, les souvenirs rapportés, l’improbable décor derrière les photos prises par mon père et la cousine Renée. Mon père n’est plus là et la cousine non plus. A ma mère, j’avais dit il y a quelques jours : « je vais aller à Tauves ». « Tu étais si petit », m’avait-elle répondu. Près de l’église, la boucherie était toujours là et la boulangerie aussi. Je n’ai pas retrouvé la maisonnette. Je suis sans doute passé devant elle sans le savoir. J’ai marché dans les petites rues. L’une s’appelait Rue de l’Enfer. L’autre, fort heureusement, s’appelait la Rue du Paradis. A Tauves, j’avais été tellement plus proche du paradis. Ce devait être sûrement par là qu’était notre petite maison. Je suis allé à l’office de tourisme. A la dame de permanence, j’ai raconté, ému, que j’avais passé à Tauves mes premières vacances. « Aviez-vous pris beaucoup de photos », m’a-t-elle demandé. J’ai dû expliquer que les photos étaient rares dans les années 1960 et les IPhones encore davantage. Elle a souri, compatissant sans doute à mon grand âge. Je lui ai confié que ce moment avait pour moi comme une valeur de pèlerinage. Je me suis attardé. J’ai été à l’église. Je me suis arrêté près de la fontaine. Nous étions sûrement passés par là. Je devais donner la main à ma mère.
Hier, personne ne me donnait plus la main, mais l’émotion du moment me portait. L’air était doux, entre averses et arc-en-ciel. Être venu à Tauves avait un sens. Le village, quelque part, ressemblait à ce que l’on m’en avait dit. Je l’avais imaginé ainsi. Il était tranquille et accueillant. Sans doute est-ce pour cela que nous y avions été heureux. Je regardais les flancs de colline et les champs alentours. J’avais sûrement dû y courir. J’étais un enfant sage, mais qui aimait se dépenser. La preuve est que 58 ans après, je cours toujours. J’aime retrouver les repères de mon passé, celui dont je me souviens ou dont on m’a parlé. Mes parents avaient le goût de la France des campagnes et des villages. Ils me l’ont transmis et je leur suis profondément reconnaissant. Ils m’ont ancré la France au cœur. Je continue de la sillonner avec le même enchantement intime. La vie a changé, le monde et le temps aussi. Les années de Gaulle sont bien lointaines désormais, mais Tauves et tant d’autres coins chers à mon histoire demeurent. Je sors des autoroutes pour aller les retrouver, pour dénicher ces petits cailloux invisibles – pas tous « bizarres » – qui ont balisé ma vie. Ces instants-là valent tellement pour poursuivre le chemin, dans la fidélité aux miens, à leur souvenir et à ces joies simples qui restent à jamais la plus belle des inspirations.