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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Retour à Tauves

Hier, je suis retourné à Tauves. J’ai mis 58 ans à le faire. Je ne savais pas trop ce que j’allais trouver. Un joli village auvergnat, certainement. Mais peut-être plus aussi, quelque chose qui me toucherait, évoquerait des souvenirs lointains, enfouis, heureux, partagés. J’allais sur mes 3 ans. A cet âge-là et si longtemps après, en appeler à la mémoire est un peu vain. Et pourtant, j’ai toujours aimé que l’on me raconte ce mois d’été passé à Tauves, mes premières vacances avec mes parents. Nous avons parlé de Tauves en famille si souvent. C’était en juillet 1967, il y a une éternité. Le Général de Gaulle était à l’Elysée et mai 1968 n’avait pas encore eu lieu. Mon père conduisait une Peugeot 404 alors rutilante. Comment étions-nous arrivés à Tauves ? Le professeur de géologie qu’il était voulait crapahuter sur les pentes des volcans et une petite annonce de location dans L’Ecole libératrice, le journal syndical de mes parents, avait scellé la destination. Nous avions traversé la France sans autoroute, celle des petites villes et des bourgs. Ma sœur était restée en Bretagne avec ma grand-mère. J’étais assis au fond de la voiture avec mon ours en peluche, comptant les châteaux d’eau. Pour les châteaux, les vrais, cela viendrait plus tard. Une maisonnette nous attendait à Tauves. Et l’Auvergne aussi.

Pour nous Bretons, les quelque 850 mètres d’altitude de Tauves, c’était l’Himalaya. Des années après, mon père racontait toujours les virages et les tournants précédant l’arrivée à Tauves. On se serait cru dans une étape du Tour de France. Le village était petit et chaleureux. Nous allions à pied faire les courses. Chez le boucher, se souvient ma mère, il n’y avait pas de machine à hacher la viande et le steak destiné au bambin que j’étais était coupé et recoupé avec le plus grand soin. Nous partions vers les volcans. Mon père avait à la main son marteau de géologue. Il fallait trouver les bombes volcaniques. Comment diable expliquer cela à un enfant ? Une expression avait été inventée pour moi : « les cailloux bizarres ». On m’en avait montré un et je devais en chercher d’autres. Il paraît que je faisais bien le job. De fait, au moment de quitter Tauves à l’issue des vacances, l’arrière de la Peugeot 404 trainait presque par terre tant le coffre était lourd de ces trouvailles destinées au laboratoire du Lycée La Tour d’Auvergne de Quimper. « Les cailloux bizarres » avaient tellement envahi mon esprit que de retour, je continuais à les chercher jusque dans la cour de récréation de l’école maternelle, au point d’inquiéter mon institutrice, surprise que je vienne lui faire la savante description du moindre gravier.

A proximité de Tauves vivait une cousine pittoresque et amusante. C’était la cousine Renée. Elle avait une forte et énergique personnalité. Renée était la sage-femme de l’hôpital de Riom. Le travail au sortir des études l’avait conduite en Auvergne et elle y était restée. Elle adorait sa région d’adoption. Nous avions découvert avec elle les lacs de cratère et le sommet du Puy-de-Dôme. Elle s’amusait bien avec moi. Longtemps après, me visitant en Californie, elle m’avait lancé : « tu te souviens de Tauves ». Ce n’était pas une question, mais une affirmation. Je devais bien entendu me souvenir … de ses souvenirs. J’avais été plutôt embarrassé de lui répondre que les choses étaient certes un peu lointaines, vu mon jeune âge à l’époque, mais les histoires qu’elle s’était alors empressée de raconter m’avaient immédiatement réinscrit dans le récit et je ne pouvais donc plus oublier. Il y avait le vert des montagnes, le bleu du lac Pavin et, souvenir rapporté aussi par mon père et ma mère, une journée achevée sous le déluge au Championnat de France de cyclisme disputé non loin de Tauves. Nous étions assis sur une couverture au départ de la course et planqués sous la couverture quelques heures plus tard. Un coureur breton avait gagné et nous étions très fiers. Le temps de rentrer à Tauves, il avait déjà été déclassé. Dopage…

C’est tout cela, je crois, que je suis venu chercher, 58 ans après : mon passé de petit garçon, les souvenirs rapportés, l’improbable décor derrière les photos prises par mon père et la cousine Renée. Mon père n’est plus là et la cousine non plus. A ma mère, j’avais dit il y a quelques jours : « je vais aller à Tauves ». « Tu étais si petit », m’avait-elle répondu. Près de l’église, la boucherie était toujours là et la boulangerie aussi. Je n’ai pas retrouvé la maisonnette. Je suis sans doute passé devant elle sans le savoir. J’ai marché dans les petites rues. L’une s’appelait Rue de l’Enfer. L’autre, fort heureusement, s’appelait la Rue du Paradis. A Tauves, j’avais été tellement plus proche du paradis. Ce devait être sûrement par là qu’était notre petite maison. Je suis allé à l’office de tourisme. A la dame de permanence, j’ai raconté, ému, que j’avais passé à Tauves mes premières vacances. « Aviez-vous pris beaucoup de photos », m’a-t-elle demandé. J’ai dû expliquer que les photos étaient rares dans les années 1960 et les IPhones encore davantage. Elle a souri, compatissant sans doute à mon grand âge. Je lui ai confié que ce moment avait pour moi comme une valeur de pèlerinage. Je me suis attardé. J’ai été à l’église. Je me suis arrêté près de la fontaine. Nous étions sûrement passés par là. Je devais donner la main à ma mère.

Hier, personne ne me donnait plus la main, mais l’émotion du moment me portait. L’air était doux, entre averses et arc-en-ciel. Être venu à Tauves avait un sens. Le village, quelque part, ressemblait à ce que l’on m’en avait dit. Je l’avais imaginé ainsi. Il était tranquille et accueillant. Sans doute est-ce pour cela que nous y avions été heureux. Je regardais les flancs de colline et les champs alentours. J’avais sûrement dû y courir. J’étais un enfant sage, mais qui aimait se dépenser. La preuve est que 58 ans après, je cours toujours. J’aime retrouver les repères de mon passé, celui dont je me souviens ou dont on m’a parlé. Mes parents avaient le goût de la France des campagnes et des villages. Ils me l’ont transmis et je leur suis profondément reconnaissant. Ils m’ont ancré la France au cœur. Je continue de la sillonner avec le même enchantement intime. La vie a changé, le monde et le temps aussi. Les années de Gaulle sont bien lointaines désormais, mais Tauves et tant d’autres coins chers à mon histoire demeurent. Je sors des autoroutes pour aller les retrouver, pour dénicher ces petits cailloux invisibles – pas tous « bizarres » – qui ont balisé ma vie. Ces instants-là valent tellement pour poursuivre le chemin, dans la fidélité aux miens, à leur souvenir et à ces joies simples qui restent à jamais la plus belle des inspirations.

Avec mon père, l’été de Tauves (1967)

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Cour internationale de justice et climat : un avis fondateur

©Cour internationale de justice

La Cour internationale de justice a rendu hier mercredi 23 juillet à l’unanimité un avis historique sur le changement climatique. C’est la première fois que la CIJ avait à traiter des obligations légales des Etats face au changement climatique, qualifié par son président Yuji Iwasawa de « menace urgente et existentielle » pour les écosystèmes naturels et les populations humaines. La procédure avait été initiée en 2019 par un groupe d’étudiants du Vanuatu et validée en 2023 par l’Assemblée générale de l’ONU. Lors de l’audience organisée en fin d’année 2024, plus de 100 Etats et organisations internationales avaient pris la parole au Palais de la Paix à La Haye. Deux questions étaient posées. La première portait sur les obligations des Etats en droit international pour protéger le climat. La seconde visait les conséquences juridiques découlant de ces obligations pour les Etats dont les émissions ont causé des dommages, notamment envers les Etats insulaires comme le Vanuatu.

A la première question, la CIJ a répondu que « les traités relatifs au changement climatique imposent aux Etats-parties des obligations contraignantes relativement à la protection » du climat et de l’environnement contre les émissions de gaz à effet de serre. Ces obligations sont l’adoption de mesures pour contribuer à l’atténuation des émissions et à l’adaptation au changement climatique. La CIJ a jugé que « les Etats ont l’obligation de (…) mettre tous les moyens à disposition pour empêcher que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle causent des dommages significatifs » au système climatique et à l’environnement. Cette formulation est d’importance car la CIJ signifie ainsi que la responsabilité des Etats n’est pas réduite par le fait que les émissions procèdent des activités d’entreprises. La CIJ a jugé également que le changement climatique pouvait affecter le droit à la santé et les droits des femmes, des enfants et des peuples autochtones.

Sur la seconde question, la CIJ a estimé que la violation de l’une de ces obligations « constitue, de la part d’un Etat, un fait internationalement illicite engageant sa responsabilité ». L’Etat concerné a de ce fait « un devoir continu de s’acquitter de l’obligation à laquelle il a manqué », ce qui entend la cessation de l’action en cause ou de l’inaction. Surtout, les Etats affectés par le changement climatique pourront sur cette base obtenir des Etats pollueurs une « réparation intégrale »sous forme de « restitution ou indemnisation » dès lors « qu’un lien de causalité suffisamment direct et certain » pourra « être établi entre le fait illicite et le préjudice subi ». Ce lien de causalité ne sera pas simple à établir devant une juridiction nationale face à la résistance des Etats pollueurs. Y parvenir, comme l’écrit la CIJ, ne sera cependant « pas impossible ». La question de la réparation concrète par les Etats pollueurs du préjudice causé constituera en effet selon toute vraisemblance la prochaine étape.

L’avis de la CIJ n’est pas contraignant en droit, mais il ne fait pas grand doute que sa portée sera considérable dans la dynamique des négociations climatiques internationales et dans les délibérés des affaires sur le climat portées devant les juridictions nationales, pour qui la jurisprudence de la CIJ est une référence majeure. Dans les négociations internationales, l’avis exercera notamment une pression accrue en faveur d’un financement renforcé et accéléré par les Etats et les banques internationales de développement des projets de décarbonation d’activités économiques et de transition énergétique. En matière de justice climatique, il encouragera davantage d’organisations non-gouvernementales et de collectifs de citoyens à porter devant les juridictions nationales des actions à l’encontre des gouvernements et d’entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre. A ce jour, il y aurait quelque 3 000 affaires de justice climatique en attente de jugement dans le monde.  

La judiciarisation du climat est une réalité, que l’on s’en félicite ou l’on s’en désole. Elle est l’expression d’un désarroi partagé face à la lenteur des efforts d’adaptation au changement climatique et à l’insuffisante réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est désormais acquis, malheureusement, que l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle ne sera pas atteint puisque le monde se trouve d’ores et déjà, 10 ans après la COP 21, dans l’épure de ces 1,5°C. La multiplicité et la violence accrue d’épisodes climatiques autrefois rares font peur, qu’il s’agisse de canicules comme celle du récent solstice d’été ou de tempêtes destructrices. Ignorer cette peur de l’avenir, l’écarter, la moquer est le fonds de commerce d’une internationale du déni qui prospère sur les réseaux sociaux et les chaînes de TV réactionnaires. Son but est d’entraver l’effort international face à la crise climatique.

Il y a d’un côté la volonté, parfois excessive, et de l’autre le cynisme. Donald Trump se moque du changement climatique, même face au pire comme avec les tragiques inondations survenues au Texas. Il sort son pays de l’accord de Paris, rouvre les centrales au charbon, combat les énergies renouvelables, démantèle les normes environnementales et instaure une police de la pensée dans les universités en coupant les budgets, gelant les programmes et licenciant les chercheurs. En Europe aussi, le déni ou la résignation progressent. Il ne reste plus grand-chose du Green Deal qu’Ursula von der Leyen portait jusque l’an passé et qu’elle démantèle désormais. La prise de conscience de l’urgence climatique est devenue impopulaire. Le moratoire sur les énergies renouvelables voté par l’Assemblée nationale un jour de juin – et fort heureusement balayé la semaine suivante – est la triste illustration du déni, du renoncement et quelque part aussi d’une forme de cynisme.

Le sujet climatique revêt une intense dimension citoyenne. Il oppose le moyen et long terme à l’immédiateté, la crainte de perdre ce que l’on a aujourd’hui sans garantie de ce que l’avenir sera. La question sociale dans l’action climatique a été souvent ignorée ou ramenée au rang de préoccupation lointaine. Ce fut une lourde erreur et cela le reste. Le mouvement des gilets jaunes a montré combien cette opposition de la fin du mois à la fin du monde était funeste. Il faut un accompagnement social des choix climatiques calibré sur les géographies – monde rural, monde périphérique, vie urbaine – et les différences de revenus. Sans cela, l’action climatique sera vécue comme une entrave et in fine combattue. Il faut aussi pouvoir – et vouloir – illustrer ce que l’action climatique apporte de positif dans la vie quotidienne, par exemple pour les économies d’énergie et donc le pouvoir d’achat après l’isolation thermique d’un logement ou l’installation de panneaux solaires en toiture.

L’acceptabilité des efforts est la clé du succès pour l’action climatique, nationale comme internationale. Dans ce contexte, l’avis de la CIJ du 23 juillet 2025 est un développement essentiel. Il peut opposer, diviser, radicaliser les parties. La probabilité que cela survienne est réelle, au moins dans le court terme. Mais cet avis doit aussi servir de wake up call. La crise climatique n’est pas disjointe des bouleversements géopolitiques de notre monde. Choisir d’y répondre, en particulier pour les Européens, c’est prendre un temps d’avance décisif sur la cupidité, les calculs et l’ignorance à l’œuvre ailleurs. C’est concurrencer la Chine sur les énergies renouvelables. C’est accueillir les chercheurs et les investisseurs que Trump pousse dehors. C’est travailler à la souveraineté de nos choix européens et à la sécurité de notre espace commun. C’est agir de concert avec les pays en développement. Et c’est protéger les citoyens et construire l’avenir pour et avec eux. Il en est encore temps.

Texte intégral de l’avis de la Cour internationale de justice : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/187/187-20250723-adv-01-00-fr.pdf

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La République, c’est nous !

C’est aujourd’hui le 14 juillet, jour de fête nationale. Dans chaque coin de France, grandes et petites villes, bourgs et villages, les drapeaux flottent, les bals et feux d’artifice sont à venir, les bénévoles et les services s’affairent pour que la fête soit belle et qu’elle soit partagée. A l’étranger aussi, sous toutes les latitudes, par-delà les distances, le 14 juillet est fêté dignement, passionnément et même amoureusement. J’ai toujours aimé ce jour, plein de joie et de soleil. Je me souviens des rues pavoisées de mon enfance, de la musique, de l’allégresse sincère et contagieuse du moment. C’est la fête nationale, venue du 14 juillet 1789, un souvenir qui a scellé l’histoire, la nôtre, et un peu plus que la nôtre aussi. C’est le moment de se rappeler ce qui nous unit : des idéaux, des principes, une devise, un destin. La vie d’un pays comme la France est volontiers rageuse. Cela fait son originalité, certainement une part de son charme et également l’un de ses plus grands défis. Faire nation n’est pas seulement affaire de 14 juillet. Ce devrait être tous les jours, mais le mettre en œuvre le 14 juillet a tout de même un sens particulier. Les querelles cessent, un pays se réunit, un peuple se retrouve, non pas parce qu’on le doit, mais parce qu’on le veut. Le 14 juillet vient de loin et il nous appartient.

J’ai des souvenirs drôles et merveilleux du 14 juillet. Jeune journaliste au Télégramme de Brest, je me revois dans un Zodiac patrouillant sur la rivière et la mer avec les forces de sécurité devant la foule amassée sur les quais de Bénodet, dans l’attente de la nuit et du feu d’artifice. Il arrivait parfois qu’un vacancier joyeux et quelque peu enivré tombe dans la rivière. Nous allions le repêcher et la chaleur ambiante le réchauffait bien vite. A Los Angeles, barman parmi d’autres de la fête du Consulat de France, j’ouvrais des bouteilles jusqu’au bout de la nuit. Durant mes premières années d’élu, je frissonnais d’émotion en entendant le peuple de Liège entonner la Marseillaise à pleins poumons sur les bords de la Meuse. L’année de mon élection à l’Assemblée nationale, j’avais enchaîné trois cérémonies le 14 juillet 2012: à Berlin, Hambourg et Munich. Mon petit Marcos, 10 mois, était de la partie. Sa poussette était décorée de petits drapeaux tricolores. Je me souviens de Düsseldorf, de Mannheim, de Francfort, de Vienne et de bien d’autres villes visitées les 14 juillet des années d’après. Et d’un 14 juillet dans la tribune officielle Place de la Concorde, face au défilé militaire, un moment de grande émotion. Je sais par mon histoire familiale l’immense gratitude que nous devons à nos armées.

C’est la fête nationale, c’est aussi celle de la République. Le 14 juillet 1790, un après la prise de la Bastille, c’est en présence du roi que la Fête de la Fédération avait eu lieu à Paris sur le Champ-de-Mars. Ce n’était pas (encore) la République et le roi, s’il avait prêté serment à la Constitution, n’était sans doute pas le plus réjoui des nombreux participants. Le moment avait pourtant valeur de symbole. Il s’agissait de célébrer l’unité de la France et l’adhésion des Français à des valeurs communes, des valeurs qui les rassemblent, où qu’ils se trouvent dans le pays et quelles que soient leurs conditions. Par le fait des soubresauts de l’histoire, la célébration du 14 juillet mettra ensuite bien du temps à revenir, jusqu’à l’adoption unanime par l’Assemblée nationale et le Sénat de la loi du 6 juillet 1880 faisant du 14 juillet le jour de la fête nationale, jour chômé, jour de rassemblement et de souvenir de la victoire du peuple sur l’arbitraire, pour la liberté et pour l’égalité. Depuis lors, le 14 juillet a traversé les époques et survécu aux moments de guerre, de peines, de calamités et de souffrances nationales. Il est entré dans notre patrimoine collectif. La France a besoin de repères collectifs, de rituels et de symboles et le 14 juillet, mieux que tout autre, en est la plus vive expression.

Un ancien parlementaire irascible et au verbe haut avait affirmé un jour de grande colère que la République, c’était lui. « La République, c’est moi », assurait-il. Non, la République, c’est nous ! C’est nous tous, Françaises et Français, de métropole, des outre-mer et de l’étranger. Nous sommes ces citoyens égaux en devoirs et en droits, qui célèbrent le 14 juillet passionnément et qui le portent en idéal. Nous sommes cette communauté faite d’histoires et d’itinéraires différents, de sang mêlé et de sang versé, de convictions multiples, de foi et de chemins intimes, soudée par l’héritage des Lumières, par la laïcité qui protège et qui libère, par l’école qui émancipe. Nous sommes ce pays tempétueux qui rêve pourtant de tempérance pour se projeter demain et écrire une nouvelle page de son histoire. Le 14 juillet, c’est tout cela, c’est le rassemblement plutôt que la haine, c’est la fraternité plutôt que le rejet, c’est l’avenir sans les fachos et aussi sans les dingos. Puissions-nous, aujourd’hui, partout en France et plus loin, éprouver dans nos célébrations cette force collective, cet engagement sincère, ce dépassement possible et espéré. Il y a tant à faire ensemble, dans la fidélité aux valeurs de la République. Une fête nous le rappelle et, avec elle, le bleu, le blanc et le rouge des drapeaux qui voleront au vent.

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Merci l’école !

Dans quelques jours viendra la fin de l’année scolaire à l’école primaire de la rue Berkendael à Bruxelles. Les cartables bien chargés passeront une dernière fois le portail avant l’envol joyeux et tant attendu vers les grandes vacances et vers l’été. Il y aura des cris de joies, des sourires, des embrassades, et puis quelques larmes sans doute aussi. Ce moment sera particulier pour ma petite Mariana. Après ses frères il y a trois ans et il y a un an, elle quittera à son tour l’école primaire. Ce ne sera pas sans émotion pour elle et également pour nous, ses parents. Clore le chapitre de l’école primaire, c’est dire au revoir à un bout d’enfance, à des maîtres, à des amis, à des tas de souvenirs. C’est un moment que l’on n’oublie pas et qui reste particulier au cœur d’une vie. J’ai retrouvé dans la mémoire de mon IPhone la photo du premier jour de Mariana à l’école européenne de la rue Berkendael. Elle entrait dans la section maternelle. Elle avait 4 ans et un visage timide. C’était il y a bientôt 6 ans. Ce soir, j’irai la chercher à l’école pour faire la photo du dernier jour au même endroit qu’en septembre 2019. Il s’est passé tant de choses en 6 ans. Mariana a beaucoup appris, étudié, lu, joué aussi. Elle a aimé son école. Elle était heureuse d’y aller chaque matin, avec quelques livres et cahiers, et son fidèle ballon en mousse pour les matches acharnés de foot de la cour de récréation, nécessairement plus épiques que les dictées.

Mariana m’a confié il y a peu qu’elle était triste de partir, laissant entrevoir un instant toute l’émotion qu’elle réfrénait. Je l’ai consolée et je lui ai raconté mon propre départ de l’école primaire,  il y a un temps bien lointain. J’étais heureux de grandir et de filer vers le collège, mais peiné aussi car je pressentais, quelque part du haut de mes 10 ans, que c’était des personnes exceptionnelles que je m’apprêtais à quitter, qui m’avaient apporté le meilleur, des savoirs fondamentaux à leur passion simple et contagieuse d’enseigner, de partager et de transmettre. Je n’ai jamais oublié mes maîtres et j’eus cet insigne bonheur, une douzaine d’années après, de revenir à l’école comme jeune journaliste pour le départ en retraite de mon instituteur de CM2 (www.pyleborgn.eu/2021/03/a-mon-maitre). Il ne s’y attendait pas. C’est un moment émouvant, ancré dans mon mémoire. Je crois que l’on reste marqué à jamais par ses années d’école, par les amitiés enfantines et par la reconnaissance qui viendra à la mesure du temps. Les enseignants sont des héros à qui l’on ne dit jamais assez merci. Ils donnent tant d’eux-mêmes. Enseigner, c’est confier à des enfants à l’origine inconnus la meilleure part de soi-même, celle qui révèle la vocation. Et s’il y a quelques larmes qui coulent un dernier jour d’école, ce sont aussi parfois celles des maîtres au moment de voir s’en aller leurs élèves sur le chemin de la vie.

Mathieu, Justine, Gwen, Gilles, Mélanie, Tina et Emilie, Mariana ne vous oubliera pas. Je crois bien qu’elle reviendra vous voir pour vous donner des nouvelles. Le chapeau de la cérémonie de clôture, un peu ramolli par la pluie, trône déjà sur l’étagère de ses souvenirs, comme les photos de classe aux visages poupins et souriants, année après année. Une école, c’est aussi une communauté, les surveillants, l’infirmière, les animateurs de la garderie, la cantine, la direction. Et le merci est pour eux, pour elles, pour tous. L’avantage par rapport aux générations d’avant, c’est que les photos ne se font plus aussi rares, qu’elles s’échangent et se partagent. Et il y a aussi des films, des enregistrements, des voix, des chants, des rires qui résisteront au temps. Pendant toutes ces années à l’école de la rue Berkendael, j’ai entendu parler du petit renard qui vivait au fond de la cour, là où la végétation se fait plus dense. J’ai du mal à imaginer que l’on n’en parlera plus. Les nouvelles continueront à fuser. Une page se tourne pour Mariana et ses amis, mais le livre est encore long. Nous nous souviendrons d’une communauté unie, celle qui a su aider les enfants durant l’épreuve des confinements et de la pandémie, celle qui a su, à nos côtés, leur parler, pour avancer, pour apprendre et aussi pour aimer. Merci l’école, et à bientôt !

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Un petit vélo rouge

Le vélo a toujours fait partie de ma vie. Il y a sans doute à l’origine de cette passion une histoire familiale. Trois générations, de celle de mes grands-parents à la mienne, ont aimé pédaler, pour le plaisir certainement et, lorsque les voitures étaient plus rares, pour se déplacer aussi. J’observe à présent mes enfants et je me dis que cette fièvre a gagné leur génération à son tour. Cela me réjouit. Je vois dans le vélo une liberté, une conquête, une émancipation gagnée à la force du jarret. J’ai aussi le cœur plein d’histoires de courses cyclistes, magnifiées sans doute avec le temps, vécues sur un écran de télévision en noir et blanc ou au bord d’une route inondée de soleil, une casquette vissée sur la tête. J’ai eu une petite casquette Gan-Mercier, achetée précieusement un jour de Circuit de l’Aulne dans le Finistère. Le Circuit de l’Aulne était la grand-messe des amoureux de la petite reine en fin d’été. Des milliers de gens venaient de partout en Bretagne et parfois même de plus loin pour acclamer les champions qui nous avaient fait rêver quelque temps plus tôt sur la route du Tour de France. J’en étais avec mon père, ma mère et ma sœur. Et puis surtout, j’ai eu, de mes 7 ans à mes 11 ans, un petit vélo rouge de la marque quimpéroise Arrow, sur lequel j’ai tant pédalé, rêvé … et vécu aussi une drôle d’aventure.

Cette aventure, je la raconte aujourd’hui car cela fait 50 ans tout rond. Personne ne la connaît, ni ma famille, ni ma maman qui la découvrira à la lecture de ce texte. Pourquoi aujourd’hui ? Parce que les fondus de vélo ont une saison et un calendrier dans la tête, et que je n’y fais pas exception. Le 22 juin 1975 avait lieu près de Limoges le championnat de France de cyclisme. Nous avions suivi la course à la télévision avec mon père. Il faisait beau et chaud. Ma mère et ma sœur étaient parties à la plage. Régis Ovion l’avait emporté. Il avait revêtu le maillot tricolore et la Marseillaise avait retenti. J’avais trouvé le moment émouvant et mon père aussi. Il avait connu bien d’autres courses certainement plus mythiques, mais celle-ci, en tout début d’été 1975 était sans doute particulière. Elle l’avait extrait durant quelques heures, et moi avec lui, de la tristesse causée par la disparition de ma grand-mère en fin d’hiver. Nous avions traversé le printemps avec ce chagrin que les beaux jours avaient entrepris d’atténuer. Peu après l’arrivée de la course, mon père s’était assoupi dans le canapé. Il devait être autour de 16 heures. J’aurais pu lire un livre, retrouver ma chambre et mes jeux, mais ma tête était encore au championnat de France. Il fallait que j’aille faire un tour sur mon petit vélo rouge.

J’avais 10 ans et des règles s’appliquaient à moi. Sur ce vélo, je ne devais pas aller plus loin qu’un petit périmètre de rues autour de chez nous. J’étais obéissant et je n’avais jamais enfreint ces règles. Ce jour-là, je ne sais plus bien pourquoi, je l’ai fait. Il y avait le soleil, quelques heures de liberté, la solitude, l’envie de revivre la course à ma façon, le besoin sans doute aussi de me libérer. J’ai pédalé jusqu’au bout de mon périmètre de rues et, au lieu de faire demi-tour, j’ai continué. Je suis parti sur une route que j’avais empruntée parfois en voiture avec mes parents, la route d’Elliant, mais après 2 ou 3 kilomètres, je suis entré en terrain inconnu. Je ne reconnaissais rien. J’ai pédalé, encore et encore, sur ce vélo aux petites roues qui faisait partie de ma vie et que je n’avais jamais emmené si loin. J’ai grimpé des côtes, porté par les images du championnat de France et de Régis Ovion. Un panneau de ci, de là indiquait que je me rapprochais d’Elliant. C’était ma seule certitude. Je roulais toujours, heureux de l’effort accompli, un peu grisé et effrayé aussi par la témérité de mon aventure. J’arrivai à Elliant, une dizaine de kilomètres plus loin que notre maison. J’étais fier. J’avais au poignet ma montre d’enfant et je savais que j’étais dans les temps. A cette heure-ci, personne encore ne s’inquiéterait chez nous.

Pour revenir, je pouvais prendre la route dans l’autre sens, ou en trouver une autre. Aventure aidant, je me dis que je devais explorer un autre chemin. Là fut mon erreur car je n’avais alors qu’une faible géographie dans la tête et – autre époque – ni carte, ni monnaie, ni bien sûr un téléphone pour signaler ma coupable errance. Ergué-Gabéric, notre commune, est à l’ouest d’Elliant. Je pris une route qui semblait viser l’ouest. Elle le fit durant quelques centaines de mètres avant qu’une succession de virages, de montées et de descentes ne me fassent progressivement douter. La route était étroite, un peu escarpée. Allais-je dans la bonne direction ? Je n’en étais plus très sûr et je sentais venir en moi la crainte sourde d’être perdu. Au coin d’une ferme, un chien entreprit de me courser. Il n’était qu’à un ou deux mètres de mes mollets et le sprint que je piquai pour les sauver acheva de me mettre hors d’haleine. Je ne savais plus trop vers où je pédalais et je ne croisais personne. Je regardais le ciel, pensant à ma grand-mère disparue. J’avais vécu le deuil autant que l’on puisse le faire à 10 ans. Était-elle là-haut ? Me regardait-elle ? Je ne trouvais pas de réponse, mais une forme de bienveillance, à l’égal de son souvenir, semblait m’entourer. Elle m’aurait sûrement fait le reproche de cette aventure et elle m’aurait protégé aussi.

Je roulais en scrutant les champs. C’était la campagne la plus totale. J’étais là, petit garçon sur un petit vélo, des rêves dans la tête et face à ce que j’appellerais plus tard une belle galère. La route me paraissait si longue. A un moment apparut entre les arbres une chapelle. C’était Notre Dame de Kerdévot. Je n’y étais encore jamais allé, mais j’en connaissais le nom et je savais surtout que j’étais quelque part à Ergué-Gabéric. Je n’étais plus totalement perdu. Il me fallait trouver le chemin du bourg. J’avançais à vue de nez, jaugeant les croisements et les calvaires. A gauche, à droite, j’allais à l’instinct, sans certitude. Je sentais mes forces faiblir et la crainte m’envahir. Je piochais tant bien que mal sur mon petit vélo rouge pour avancer, zigzaguant dangereusement en danseuse. Je n’avais bien sûr rien à manger ni à boire. J’étais parti à l’aventure sans imaginer un instant sa longueur. Je vis finalement arriver le clocher de l’église du bourg. L’instinct et les calvaires ne m’avaient pas totalement abandonné. Du bourg, je connaissais la route pour retrouver la maison. J’avais dépassé la vingtaine de kilomètres, j’étais fourbu, un peu honteux aussi, et je me demandais surtout ce que j’allais bien pouvoir raconter pour expliquer mon absence. Je n’étais ni Régis Ovion, ni un autre champion, juste un gamin qui s’était égaré.

Je n’eus en vérité rien à raconter. Mon père corrigeait ses copies, pensant que je lisais dans ma chambre, comme je le faisais si souvent. Ma mère et ma sœur arrivèrent de la plage peu de temps après que j’eus rangé mon petit vélo rouge. A lui comme à elles, je ne racontai l’histoire. La nuit venue, je revécus dans mon lit cette aventure. Elle m’avait effrayé, mais séduit aussi. J’avais juste devancé les années en roulant sur les chemins qu’emprunterait plus tard l’adolescent cyclotouriste que je deviendrai, bien meilleur connaisseur de sa géographie et chevauchant un beau demi-course, Arrow lui aussi, mais orange, doté d’un guidon de pro et de vitesses à même de faire passer les côtes bretonnes. Le vélo mythique de mon enfance reste pourtant ce petit vélo rouge, sans doute pour ce jour initiatique de juin 1975. De ce vélo, je n’ai malheureusement aucune photo et je le regrette. Il a fini son parcours chez des cousins à qui nous l’avions donné et qui ne l’avaient pas aimé comme je l’avais fait. Il vit dans mes souvenirs. Et les souvenirs se racontent, même très longtemps après. Du 22 juin 1975 au 22 juin 2025, je me suis dit qu’il y avait prescription et que je pouvais partager cette histoire, entre faits et méfaits, qui dit au fond quel enfant j’étais et aussi quel adulte, fidèle à ses jeunes années, je suis devenu.

Régis Ovion et son beau maillot de Champion de France
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