Le 23 décembre 2015, le Conseil des ministres a approuvé le projet de révision constitutionnelle. Ce projet comprend deux articles. Le premier article constitutionnalise l’état d’urgence, dont le régime est à ce jour défini par une loi ordinaire votée en 1955. Le second article prévoit la déchéance de nationalité de binationaux nés français condamnés pour des crimes très graves. Le projet de révision sera soumis à l’Assemblée nationale et au Sénat au début du mois de février 2016. S’il est voté dans les mêmes termes par chacune des deux assemblées, il reviendra au Congrès réuni à Versailles en mars ou en avril prochain de l’approuver. Pour ce faire, la majorité des 3/5èmes des suffrages exprimés sera requise.
Le vote que j’émettrai à l’Assemblée nationale et éventuellement au Congrès comptera. Pour l’arithmétique de la révision bien sûr, mais aussi dans mon parcours de parlementaire et de citoyen. Le moment et la question sont graves, en effet. Je veux pouvoir voter en conscience, sans instruction, pression ou discipline. D’un côté, j’entends pleinement soutenir la lutte contre le terrorisme et les menaces qui visent notre pays, notre peuple, notre liberté et notre art de vivre. De l’autre, j’ai le sentiment que ni la constitutionnalisation de l’état d’urgence, ni la déchéance de nationalité ne sont des outils utiles et efficaces à cette lutte. Je ne pense pas en outre que le combat contre le terrorisme requiert d’opposer l’impératif de sécurité à la liberté et à l’égalité.
La constitutionnalisation de l’état d’urgence permettra, selon le Gouvernement, d’éviter qu’une possible majorité parlementaire liberticide ne décide un jour de faire usage de ce régime d’exception contre l’Etat de droit. J’entends cet argument et souhaiterais pouvoir l’appuyer. Cependant, ma lecture de l’article 1 est malheureusement autre. J’y vois d’abord le risque que les pouvoirs exceptionnels de l’état d’urgence n’échappent au contrôle du Conseil constitutionnel. Dès lors qu’une menace pour l’ordre public serait invoquée, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association et la liberté de manifester seraient de fait menacées. Et je ne crois pas que le contrôle du juge administratif, proche du gouvernement, apporte de garanties suffisantes dans un tel contexte.
Le juge des libertés individuelles, comme le rappelle l’article 66 de la Constitution, est le juge judiciaire. Le projet de révision organise sa mise à l’écart. Le Conseil constitutionnel a établi que les perquisitions non-autorisées par un juge, y compris dans des affaires de terrorisme, pouvaient porter atteinte à la liberté individuelle. Les assignations à résidence ou les perquisitions administratives doivent pouvoir être contestées devant le juge judiciaire. Le contrôle parlementaire de l’état d’urgence a mis en évidence de regrettables excès dont il faut vouloir tirer les leçons. Souvenons-nous enfin que le Royaume-Uni a rétabli le contrôle judiciaire sur les mesures anti-terroristes suite à une retentissante condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme.
Je conçois volontiers que dans notre Etat de droit, des restrictions aux libertés individuelles et collectives puissent être apportées. C’est l’essence même de la vie en démocratie. Néanmoins, ces restrictions doivent être strictement proportionnées au but d’intérêt général poursuivi et placées sous le contrôle du juge. De quelle manière, pour prendre un exemple récent, l’assignation à résidence de militants écologistes durant la COP 21, permise au titre de l’état d’urgence, s’inscrivait-elle dans l’objectif de lutte contre le terrorisme ? Ceci souligne, s’il était besoin, qu’outre le contrôle du juge judiciaire sur les décisions des autorités administratives et policières, le contrôle du Gouvernement par le Parlement reste, dans ce cadre, absolument nécessaire aussi.
Concernant la déchéance de nationalité des binationaux, je me suis déjà exprimé le 4 décembre dernier (lire ici). J’observe que le Conseil d’Etat a estimé qu’elle pourrait se heurter au principe d’égalité des citoyens, inscrit à l’article 2 de la Constitution, et qu’elle n’aurait au demeurant aucun effet face au terrorisme. Je m’oppose à la déchéance de nationalité car elle établit deux catégories de Français : les mono-nationaux et les binationaux. Or, un binational n’est pas un Français de seconde zone, c’est un compatriote à égalité de devoirs et de droits. L’idée d’une division des Français selon la manière dont ils auraient acquis à la naissance notre nationalité m’est insupportable.
Le débat est légitime, pour reprendre les mots du Premier ministre. Que soient également considérées légitimes les opinions diverses, réservées ou opposées au projet de révision constitutionnelle. J’attends du débat parlementaire qu’il fasse évoluer le texte du projet. Je m’y emploierai, comme bien d’autres. En l’état, pour les raisons que j’ai développées, je ne peux voter en faveur de cette révision. Je ne pourrais le faire que si le principe du contrôle du juge judiciaire était introduit dans l’article 1 sur l’état d’urgence et que l’article 2 sur la déchéance de nationalité était retiré. Peut-être y parviendrons-nous. Je l’espère. En tout état de cause, j’argumenterai sur les principes, sans nier l’attente de l’opinion publique, sans laisser les sondages me dicter ma conduite non plus.
Voilà les raisons en droit, mais aussi les considérations politiques et morales qui fondent ma position et que je me devais, comme député, de partager largement.
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