
Chaque époque connaît sa petite révolution. Mes enfants grandissent. Sur le chemin de leur adolescence s’ouvre pour eux comme pour nombre de leurs amis une possibilité, un rêve, un Graal : avoir un smartphone, synonyme de liberté, d’échanges, de conquête. Doit-on résister à la liberté ? Assurément, non. Faut-il mettre en garde contre les risques et dangers de cette liberté ? Oui. J’ai fait sourire mes enfants il n’y a pas très longtemps en leur apprenant – ce dont ils se doutaient, vu les chiffres canoniques sur mon récent gâteau d’anniversaire – que les smartphones n’existaient pas lorsque j’avais leur âge et qu’au demeurant, la moitié de la France de l’époque attendait toujours le téléphone lorsque l’autre moitié, certes équipée, attendait la tonalité. C’est dire combien je viens de loin. A leur sourire s’est alors ajouté une interrogation affleurante : quel pouvait bien être dès lors le rêve d’émancipation et de liberté de leur malheureux papa sans téléphone dans ce monde d’avant ? Un vélo, un vélomoteur ? Un peu sans doute. J’ai eu les deux. Mais je n’eus pas à lutter et convaincre pour les recevoir. Mes parents aimaient les deux roues. J’ai pédalé, j’ai roulé et j’ai adoré cela. Mon rêve d’émancipation était ailleurs et il était bien différent : je rêvais d’avoir les cheveux longs.
J’ai grandi dans les années 1970. Cela fait un sacré bail. Si la machine à remonter le temps existait, je serais heureux de retourner faire un tour à cette époque. Les Trente Glorieuses s’achevaient et les chocs pétroliers n’étaient pas encore venus. Pompidou gouvernait. La France voyait arriver les premiers supermarchés et les pièces de nos maisons se couvraient de papiers peints oranges et marrons, couleurs fétiches et un peu criardes de ces années. J’ai le souvenir d’une modernité attendrissante et heureuse. La mode, c’étaient les pantalons longs aux pattes d’éléphant. On voyait cela partout. Les jeunes femmes les portaient et bon nombre de jeunes hommes également, en même temps qu’ils arboraient des cheveux longs. A l’école primaire, les cheveux poussaient aussi, mais pas les miens et j’en étais bien triste. Mon père était adepte pour lui d’une coupe à la brosse nette et fréquente ne laissant aucune place à une mèche rebelle. Ma grand-mère était coiffeuse. Nous allions tous les mois la voir à Quimerc’h, notre village, et le dimanche passé avec elle s’achevait toujours par une coupe, d’abord pour mon père, puis pour moi. Court devant et ras derrière, disait-on alors. J’essayais timidement et vainement de plaider pour des coups de ciseaux moins décisifs.
Les cheveux longs avaient une histoire et mai 1968 y était pour beaucoup. Tous les carcans et toutes les convenances confites avaient été secoués. Il était devenu interdit d’interdire. La société française respirait un air de liberté enivrant. Ma jeune maman et mon papa aux cheveux en brosse avaient fait mai 1968. Les libertés gagnées étaient un peu partout chez nous, à l’exception notable des coiffures masculines. Le saut était sans doute trop brutal. Je me souviens d’une grand-tante que j’aimais beaucoup, syndicaliste CGT et communiste, qui affirmait que les hommes ne devaient pas ressembler aux femmes et que les cheveux longs étaient un scandale pour cette raison. Le côté anar et relâché de mai 1968 n’avait pas embarqué tous les gens de progrès. Reste que du haut de mon enfance et bientôt de mon début d’adolescence, je ratais le train des bouclettes et des longues mèches indisciplinées que je voyais avec envie sur la tête de mes copains. J’essayais, j’argumentais avec un peu plus de persistance, je négociais face aux ciseaux et au miroir. Ce n’était pas simple. Ma grand-mère coiffeuse était bienveillante, mais mes explications ne la convainquaient guère. Les cheveux longs que je décrivais étaient en vogue à Quimper, pas vraiment dans les campagnes de Quimerc’h.
Tristement, la disparition de ma grand-mère nous conduisit vers un autre salon. J’y étais juste un jeune client parmi d’autres. Le coiffeur n’était plus juge et partie comme avait pu l’être ma grand-mère, qui me manquait beaucoup. Peu à peu, me rendant seul au salon, je pus m’affranchir et gagner ma liberté. Ce ne fut pas radical, pas tout de suite en tout cas. Mon père veillait et ma mère faisait attention. Progressivement, ma tignasse s’épaissit et les oreilles se couvrirent. Il fallait cependant que tout cela ait encore une forme. Lorsque ce n’était plus le cas et que le peigne devenait d’un secours relatif, la visite chez le coiffeur s’imposait. A la longue, c’est ainsi que je rattrapai les années de retard que j’avais sur mes copains pour embrasser le mouvement capillaire de l’époque. Je n’en ai pratiquement aucune photo. Les smartphones – encore une fois – n’existaient pas et si j’avais bien un petit instamatic, j’étais celui qui photographiait les autres sans imaginer un instant qu’il soit possible de retourner l’objectif vers moi pour ce que l’on appellerait un selfie une génération après. Me voilà ainsi forcé d’espérer que le lecteur de ces lignes croira sur parole que j’eus les cheveux longs jusqu’au début de l’âge adulte et qu’une rechute au milieu de la trentaine me rapprocha même un moment du catogan.
On a les rébellions qu’on peut. Je confesse les miennes. Il est permis et même recommandé d’en rire. Je ressens une forme de tendresse à raconter tout cela. C’était il y a longtemps. Les ciseaux ont repris depuis lors le contrôle de mes cheveux, lesquels virent doucement au poivre et sel, le sel l’emportant même bientôt sur le poivre. Une amie me racontait il y a quelques mois combien elle n’aimait pas la coiffure commune aux amis adolescents de son fils et des miens. « Ils ont tous des têtes de brocolis », me disait-elle. Le souvenir courroucé de ma grand-tante un demi-siècle avant me revint et je ne pus réprimer un sourire. Chaque époque a sa mode et ses moments plus ou moins heureux d’émancipation capillaire. Mes fils ont la coiffure qu’ils veulent. C’est leur liberté. Et surtout, rien n’est au fond jamais écrit. Je me souviens ainsi que, la retraite venue après 40 ans d’enseignement face à ses élèves de lycée, mon père se laissa pousser la barbe, mais aussi et surtout les cheveux. Finie la coupe en brosse. Il était allé au bout de son mai 1968 à lui. Secrètement, j’avais trouvé cela chouette. Il n’eut pas le temps de connaître les smartphones si chers à ses petits-enfants, mais il s’était affranchi des ciseaux. Il s’était dit à raison que la liberté fait du bien et qu’elle n’appartenait qu’à lui, qu’à nous.
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Accord de Paris : réussir, parce que c’est encore possible
Il y aura 10 ans dans quelques semaines, la COP 21 s’achevait par l’adoption de l’accord de Paris sur le climat. Je garde un souvenir fort de ce moment. Rien n’était sûr jusqu’à quelques heures de la conclusion de la conférence. Toutes les parties étaient là et leurs ambitions, leurs différences et leurs divergences étaient nombreuses. Il y avait près de 200 Etats représentés. A la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, je suivais jour après jour et bientôt heure par heure les informations qui nous parvenaient du Bourget. J’avais le sentiment que si la conférence débouchait sur un échec, le cadre multilatéral de l’action climatique n’y survivrait pas. L’enjeu était considérable. Connaissant le sujet climatique de ma vie professionnelle passée, j’avais suivi comme député les COP précédentes et la préparation de la COP 21. J’avais été le rapporteur de l’Assemblée sur la prolongation du Protocole de Kyoto. J’étais convaincu qu’il y aurait à Paris en cette fin d’année 2015 un momentum diplomatique, politique et sans doute économique à saisir. Au finish, l’accord fut adopté. J’ai encore en mémoire l’émotion de Laurent Fabius, qui avait présidé la conférence avec persévérance et passion. Il y avait sur les visages la fatigue de nuits trop courtes et la joie d’un dénouement si longtemps espéré.
Dix ans ont passé. J’ai été le rapporteur du projet de loi de ratification de l’accord de Paris à l’Assemblée nationale au début 2016. C’est mon meilleur souvenir de vie parlementaire. Je voulais aller chercher le vote unanime de mes collègues députés et j’avais mis toutes mes tripes dans la rédaction de mon rapport. Au moment de monter à la tribune, j’avais ressenti à mon tour cette même émotion submergeante devant l’énormité du sujet : l’habitabilité de notre planète et l’avenir de la vie. L’accord de Paris a pour objectif de limiter à la fin du XXIème siècle le réchauffement climatique nettement au-dessous de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle et de poursuivre l’action pour ne pas dépasser 1,5°C. A cette fin, l’accord prévoit que les Etats parties augmentent tous les 5 ans leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre et qu’une aide financière massive est versée aux pays en développement par les pays développés, principaux responsables de la crise climatique en raison de leurs émissions et de leur forte consommation. L’accord de Paris est entré en vigueur à la fin 2016. Tous les Etats l’ont ratifié à l’exception de l’Iran, de la Libye et du Yémen. Les Etats-Unis en sortiront en janvier prochain. Il reste pour tous l’ensemble des autres pays le cadre d’action commune.
Les 10 dernières années ont été les plus chaudes depuis que les températures sont enregistrées et l’objectif de ne pas dépasser 1,5°C est malheureusement devenu illusoire. Pouvons-nous encore rester sous la barre des 2°C ? Si le rythme des émissions devait demeurer à son niveau actuel, les 2°C seraient dépassés à leur tour sous une trentaine d’années. Les émissions continuent d’augmenter, même si leur augmentation annuelle est désormais bien moindre. Tout le défi est d’aller chercher au plus vite le pic mondial d’émissions et de réduire celles-ci massivement par la suite. Aujourd’hui, une décennie après l’accord, le réchauffement projeté pour la fin du siècle serait de 2,8°C. C’est certes plus faible que les 4°C modélisés avant la COP 21, mais cela reste toujours terrifiant pour la vie humaine et l’avenir des écosystèmes. L’accord de Paris est parvenu à ralentir le processus de réchauffement de la planète, mais insuffisamment à ce stade, et si tous les Etats parties ont présenté leurs plans de réduction des émissions pour 2030, moins de la moitié d’entre eux l’ont fait pour 2035. Or, c’est sur ces plans et leur mise en œuvre que tout se jouera. Si les engagements étaient tenus et que les objectifs de neutralité carbone pour 2050 et 2070 étaient respectés, rester sous la barre des 2°C serait encore possible.
Voilà où nous en sommes. L’accord de Paris et sa mise en œuvre ne sont pas les échecs flagrants que décrivent les milieux climato-sceptiques et les lobbies des énergies fossiles, mais la crise climatique demeure dans toute son amplitude. A nos latitudes d’Européens, nous avons tous expérimenté des canicules éprouvantes, parfois aussi des inondations et des tempêtes d’une violence insoupçonnée, et bien pire est à venir si les engagements de l’accord de Paris étaient privés de leur substance et de leur dynamique. L’ébranlement du monde joue contre l’action climatique, qu’il s’agisse de la guerre de la Russie en Ukraine ou des guerres commerciales de Donald Trump et de la Chine au reste du monde. Les priorités budgétaires sont désormais au réarmement et bien moins à la protection du climat. L’Union européenne s’est écartée de son Green Deal sous la pression de certains gouvernements. Il faut combattre frontalement le travail de sape entrepris contre la cause climatique par Donald Trump et qui s’étend jusqu’à une remise en cause insensée de la science. L’affirmation récente de la justice climatique est un atout précieux pour maintenir l’action, en particulier l’avis de la Cour internationale de justice de juillet 2025 sur les obligations contraignantes des Etats pour le climat.
Que faire ? Se battre à l’échelle des COP – et notamment à celle de Belem en ce mois de novembre – et de chacun des Etats parties pour porter plus loin les plans volontaires de réduction des émissions. Ces plans dans leur contenu actuel conduiraient à une réduction des émissions mondiales de 10% à l’horizon 2035 par rapport à 2019, alors que c’est a minima une réduction de 35% qu’il faudrait viser pour rester sous la barre des 2°C. Dans ce cadre, la question énergétique est majeure et incontournable. La production d’énergies fossiles continue d’augmenter, malgré le déploiement record des énergies renouvelables encouragées par l’accord de Paris. Un travail considérable et largement révolutionnaire est à conduire sur l’électrification des usages et procédés industriels, et sur la flexibilité de production et consommation permettant de faire de l’intermittence des énergies renouvelables non un obstacle, mais un atout décisif. C’est ainsi que l’on détournera des énergies fossiles les nombreux secteurs industriels et de service qui en restent à ce jour largement dépendants. Il faudrait pour cela le signal politique fort d’un objectif de sortie des énergies fossiles, daté et quantifié globalement, qui devienne la clé de voute des plans volontaires de réduction des émissions.
L’avenir de l’action climatique dépend enfin de la diplomatie. Aussi difficile que cela puisse paraître, c’est avec la Chine que l’Union européenne doit chercher une alliance. Il s’agit de limiter l’activisme de Donald Trump. Pour trois ans au moins, les Etats-Unis agiront hors du jeu pour ruiner la cause climatique, pressions politiques et menaces commerciales à l’appui. Mais s’ils représentent 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, leur retrait de l’accord de Paris n’est cependant pas un drame absolu si une dynamique parvient à se créer face à eux et qu’elle sait faire le pont avec les attentes des pays en développement. Ce pont relève non seulement du devoir, mais aussi de la stratégie diplomatique renouvelée. Cela requiert d’accroître les financements à destination de ces pays. La dernière COP à Bakou avait été une déception pour eux. C’est un financement de 1300 milliards de dollars par an qui est attendu à Belem et il devra reposer bien davantage sur des dons que des prêts. Il devra aussi mobiliser les banques internationales de développement. Dix ans après l’accord de Paris, c’est par la résilience de l’action diplomatique et par sa capacité à dépasser les postures que l’action climatique pourra continuer en dépit des tensions géopolitiques et des bouleversements du monde.
Il m’arrive parfois de tourner quelques pages de mon rapport sur l’accord de Paris. J’ai toujours le souvenir de mes interrogations d’alors. Devais-je privilégier la technicité ou parler avec le cœur ? Sans esquiver la technicité, j’avais choisi le cœur. Je pensais à mes trois enfants. Quel monde serait le leur ? Derrière chaque dixième de degré d’augmentation de température évité, il y a des millions de vies et de destins épargnés. C’est immense. J’avais essayé aussi de ne pas opposer l’action climatique au développement économique. On ne sauvera pas le climat sans l’économie, l’entrepreneuriat, l’innovation, la croissance. Dans mon entreprise allemande de fabrication de panneaux solaires, nous avions cette formule : « Klimaschutz beschäftigt uns » (la protection du climat nous emploie). Je l’avais citée dans mon discours. Je crois profondément au rôle et à la responsabilité de l’entreprise. Comme je crois également que la cause climatique est indissociable de la justice sociale, que son acceptabilité et donc sa réussite en dépendent. Et je défends ardemment la préservation des espaces naturels et des puits de carbone. Il y a tant à faire. Nous n’avons d’autres choix que de nous battre, encore et toujours. Nous devons aux générations futures de ne pas renoncer. Et de réussir parce que c’est encore possible.