Laissez-moi d’abord vous rassurer: ces intrigants 2% qui figurent comme titre de mon message ne sont pas les intentions de vote pour nous en vue de 2012! Elles sont fort heureusement bien plus élevées que cela. Non, ces 2% représentent la proportion d’Européens vivant dans un autre Etat membre de l’Union que celui dont ils possèdent la nationalité. Nous sommes en effet quelque 12 millions sur un total d’un peu plus de 500 millions de ressortissants de l’Union à avoir fait le choix de la vie dans un autre Etat membre La première réaction est de se dire que tout cela fait vraiment peu, plus de 50 ans après les premiers pas de l’intégration européenne. Ce n’est pas faux. Hormis le Luxembourg, avec une population composée de près d’un tiers par des ressortissants d’autres Etats membres, essentiellement des Portugais, rares sont les Etats qui se détachent par rapport au ratio communautaire : essentiellement la Belgique, l’Irlande, l’Allemagne et l’Autriche. Quant aux pays les plus représentés parmi les migrants européens, il s’agit de la Roumanie, de la Pologne, de l’Italie et du Portugal.
2%, c’est peu et c’est quand même beaucoup. Cela se traduit en rythme annuel par 350 000 mariages mixtes, 170 000 divorces mixtes et 100 000 successions transnationales . De quoi occuper nombre de maires, juges, avocats et notaires ! J’ai eu l’occasion de développer dans des posts précédents toutes les difficultés concrètes surgissant sur le parcours de vie d’une migrante ou d’un migrant au sein de l’Union, qu’il s’agisse du droit de la famille, de l’assurance sociale, des retraites et de la reconnaissance des diplômes. Il y a du boulot tant le chantier législatif de la libre circulation et de l’établissement reste encore inachevé. Le nombre de situations à caractère transnational se multiplie dans l’intervalle. Songeons par exemple, pour prendre une statistique française, que notre pays évalue à 25 000 le nombre annuel de transactions immobilières dans l’hexagone et outre-mer réalisées par des ressortissants européens. Il se dit aussi qu’autour d’un million d’Allemands possèdent un bien immobilier dans un autre Etat membre de l’Union.
Il ne faut heureusement pas voir une odyssée administrative ou judiciaire derrière chacune des situations à caractère transnational. Cahin-caha, les choses progressent, mais si lentement cependant. Cette lenteur tient à la méconnaissance profonde du droit européen par les administrations nationales. Il n’existe pas dans les territoires de préfets européens veillant avec zèle au respect et à la compréhension des règles ! De la même manière, les citoyens européens eux-mêmes méconnaissent tout ou partie de leurs droits. Il y a trois ans, un rapport de la Commission européenne avait montré que 85% des Européens ignoraient qu’il existe une citoyenneté de l’Union. Ce n’est pourtant pas les débats qui ont manqué sur ce sujet, notamment dans les pays ayant soumis à référendum la ratification du Traité constitutionnel européen. Le temps des campagnes de pub est révolu. Celui des petites brochures aussi, je crois. Si l’on veut faire progresser la cause de la libre circulation, c’est à l’action et aux travaux pratiques qu’il faut passer.
J’ai la conviction que le chantier du droit de la famille est essentiel dans cette perspective. Il s’agit de s’extirper du cadre classique (et lent) du droit international privé pour faire prévaloir une particularité européenne, correspondant à la fois à des attentes identifiées et à un idéal. La Commission internationale de l’état-civil elle-même a fait la proposition de créer un livret de famille européen. Avançons ! Je pense que nous parviendrons à des résultats en privilégiant l’instrument de la coopération renforcée. Sur beaucoup de ces sujets, je crois davantage en la force d’entrainement d’un noyau dur sur la durée qu’au miracle d’une codécision entre 27 Etats membres et plus de 600 députés sur deux, voire trois ans au plus. Imaginons par exemple le projet de définir une notion commune d’ordre public européen. Vaste et pourtant nécessaire entreprise ! Une réflexion et des propositions lancées à quelques-uns iraient plus loin et essaimeraient plus vite que dans le cadre législatif classique.
Il me semble en outre, même si c’est un concept de culture très française, qu’il faudrait mettre en place à l’échelle européenne une administration de mission dédiée aux progrès à faire sur les questions transnationales relatives à la libre circulation et à l’établissement. Le rythme et la multiplication des priorités au sein de l’Union requièrent ce saut. Cette administration aurait vocation à disparaître sitôt les progrès faits dans la législation européenne et son application concrète. Elle pourrait être placée sous la responsabilité d’un Commissaire européen, chargé des Européens dans le Monde. Ce serait un Commissaire travaillant dans une dynamique transversale, sollicitant les services européens, bousculant les Etats membres, interpellant les parlementaires européens et nationaux. Cette administration aurait aussi un rôle moteur à jouer dans la mise en place au plan local (grandes villes, préfectures ou équivalents, consulats) de structures de type « guichet unique », capables de donner l’information et les premiers documents sur tous les sujets européens touchant le citoyen. Ce qui exigerait en amont la mise en place d’un programme ambitieux de formation des administrations nationales et locales dont cette administration européenne de mission aurait également la charge.
Tout cela est ambitieux. Je crois que c’est la clé de la réussite citoyenne du projet européen. Il faut faire fructifier nos 2% et aller plus loin ! Nos vies à l’étranger sont le miroir du projet européen. Aimer l’Europe, c’est relativiser les frontières, apprécier nos différences et les dépasser en même temps, se reconnaître dans plusieurs Etats et histoires. Depuis 2009, 12 Etats parties à la convention du Conseil de l’Europe de 1963 ont décidé que l’acquisition volontaire de la nationalité d’un des Etats parties n’entrainerait plus la perte de la nationalité d’origine. Il s’agit de la France, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni. Belle initiative ! Après tout, en s’inspirant de cette initiative, pourquoi ne pas faire prospérer l’idée que celles et ceux des 12 millions d’Européens qui font partie de nos fameux 2% puissent ainsi acquérir s’ils le souhaitent la nationalité de l’Etat membre où ils ont fait leur vie ?
Ce serait un beau symbole concret de progrès européen et aussi un singulier pied de nez à la droite française au moment où certains de ses parlementaires veulent en finir avec la bi-nationalité.
Laisser un commentaire