La compilation dans un fichier unique des données personnelles et biométriques de tous les détenteurs d’une carte d’identité ou d’un passeport français soulève de mon point de vue de nombreuses et légitimes interrogations quant à la protection des données personnelles et de la vie privée. J’ai pris connaissance avec surprise en début de semaine de la publication au Journal officiel le 30 octobre du décret formalisant la création de ce fichier, qui concernera les quelque 60 millions de compatriotes détenant ou ayant détenu une carte d’identité ou un passeport français. Comme parlementaire, l’avoir appris par la bande ne m’a pas ravi. Je déplore qu’une telle initiative n’ait pas fait l’objet d’une communication préalable, si ce n’est également d’un débat devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce n’est pas rien en effet de constituer un tel fichier (intitulé « Titres électroniques sécurisés » ou TES), qui contiendra notamment la photo numérisée du visage, les empreintes digitales, la couleur des yeux ou bien encore les adresses postales et électroniques des Français concernés.
Je n’ignore pas que la création de ce fichier était prévue par une loi votée au début 2012 par la précédente majorité de droite. J’observe cependant que cette loi avait fait l’objet d’une censure partielle par le Conseil constitutionnel au motif que le fichier ne devait pas permettre l’identification de personnes. Il serait à tout le moins nécessaire que le gouvernement garantisse à la représentation nationale que le TES respectera bien cette limite. Plus fondamentalement, attaché à la protection des données personnelles, je suis convaincu que les données biométriques doivent être conservées sur un support individuel, à savoir une puce sur les cartes d’identité ou les passeports, par opposition à un fichier centralisé comme le TES. Je redoute un risque de piratage ou d’accès non-autorisés dès lors que, et c’est le cas, nombre de services pourront y avoir accès dans le but de « prévenir les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Que se passera-t-il au demeurant si un futur gouvernement, peu regardant sur les droits et libertés, décidait de modifier l’usage du fichier ?
J’ai déposé ce vendredi une question écrite au Ministre de l’Intérieur pour lui faire part de mes inquiétudes. J’ai également saisi le président du groupe parlementaire socialiste à l’Assemblée nationale pour lui demander qu’un débat sur ce fichier, sa vocation, ses usages et la protection des données personnelles soit organisé à l’Assemblée. Membre de la Commission des affaires juridiques et des droits de l’homme à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, je pense que le fichier TES est contestable au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Je n’ignore aucunement les dangers auxquels notre pays doit faire face, mais je répète comme lors des débats parlementaires sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence et la déchéance de nationalité que la protection de notre sécurité ne peut procéder d’un recul de l’Etat de droit. Non seulement parce que l’Etat de droit ne se négocie pas, mais parce que son respect est la condition-même de la réussite de l’objectif de protection poursuivi.
Voici ma question écrite au Ministre de l’Intérieur :
M. Pierre-Yves Le Borgn’ attire l’attention de M. le Ministre de l’Intérieur sur les interrogations quant à la protection des données personnelles et de la vie privée de la constitution du fichier unique TES, formalisé par la publication au Journal officiel le 30 octobre 2016 du décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d’identité. Il appelle le Ministre à garantir que le fichier TES ne pourra en aucun cas permettre l’identification des personnes, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Les Français doivent recevoir toutes les informations nécessaires concernant la vocation du fichier, ses usages et les services, nationaux et internationaux, y ayant accès, en totalité ou en partie. Il demande également au Ministre de préciser les garanties prises pour prévenir tout risque de piratage ou d’accès indus à ce fichier.
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