J’ai accompagné jeudi dernier l’Ambassadeur d’Allemagne Susanne Wasum-Rainer à Quimper, ma ville natale. L’idée de cette visite était née en novembre 2013 lorsque, à la faveur d’une conversation, l’Ambassadeur me fit part de sa préoccupation croissante quant aux propos, entendus ici et là, attribuant la cause de la crise de l’agroalimentaire breton au recours des abattoirs allemands au détachement de travailleurs venus de Roumanie et de Bulgarie. Je lui conseillais alors, non d’échanger par voie d’interviews ou de communiqués, mais de se rendre en Bretagne au contact direct des professionnels. Et je lui suggérais de préparer ce déplacement avec Bernard Poignant, maire de Quimper, qu’elle avait rencontré par coïncidence quelques semaines auparavant lors d’une présentation par Vincent Bolloré de son groupe devant un parterre de diplomates réunis au Quai d’Orsay.
A Quimper jeudi, l’Ambassadeur a visité l’usine Monique Ranou, qui fabrique divers produits de charcuterie pour la grande distribution. Cette société, seconde de France pour la charcuterie libre-service, appartient aujourd’hui au groupe Intermarché. Elle emploie plus de 600 personnes sur la commune de Saint-Evarzec et réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 200 millions d’Euros. Monique Ranou a produit l’an passé près de 50 000 tonnes de marchandises, dont 24 000 tonnes de jambon. Ses fournisseurs sont pour l’essentiel les abattoirs bretons. Sur le site de l’usine, à l’issue de la visite, l’Ambassadeur a pu rencontrer les présidents des chambres consulaires André Sergent (chambre d’agriculture), Jean-François Garrec (chambre de commerce) et Michel Guéguen (chambre des métiers) ainsi que plusieurs élus locaux pour un débat informel et dense sur l’avenir de l’agroalimentaire breton.
L’Ambassadeur n’a pas nié que des abus aient pu intervenir en Allemagne dans le recours à la directive sur le détachement des travailleurs, précisant cependant que ceux-ci seraient désormais empêchés par l’entrée en vigueur imminente d’un salaire minimum dans l’industrie agroalimentaire allemande comme aussi par la révision en cours d’achèvement de la directive sur le détachement impulsée par la France et l’Allemagne en fin d’année 2013. L’Allemagne est-elle principalement responsable, par voie de concurrence déloyale, des pertes massives d’emplois dans l’agroalimentaire breton ? Non, selon l’Ambassadeur. De fait, l’absence d’une stratégie de valeur ajoutée permettant la montée en gamme de l’offre bretonne sur la qualité et l’appellation d’origine aura certainement contribué aussi à la crise actuelle, en parallèle de l’évolution de la politique agricole commune et des exigences environnementales.
L’Europe pose le cadre d’une concurrence loyale. Pour autant, chaque Etat membre reste maître de sa souveraineté fiscale comme de ses choix sociaux et environnementaux. L’innovation et la recherche de la valeur ajoutée sont les éléments clés permettant à un pays d’affronter la concurrence dans le marché unique et au-delà. Cela aura été le sujet du déjeuner offert par le Préfet du Finistère Jean-Luc Videlaine en présence de plusieurs industriels finistériens. Dans un tissu économique comme celui du Finistère, reposant essentiellement sur les PME et aussi de belles entreprises de taille intermédiaire, à structure familiale et volontiers exportatrices, la réussite du fameux Mittelstand allemand fait référence. Une bonne part de cette réussite repose sur la stabilité du cadre fiscal, législatif et financier applicable à ces entreprises, a rappelé l’Ambassadeur.
Dans l’après-midi, l’Ambassadeur a visité l’usine Blue Solutions de fabrication de batteries à base de lithium métal polymère du groupe Bolloré à Ergué-Gabéric, inaugurée par le Président François Hollande en septembre 2013. Ces batteries sont destinées notamment à la voiture électrique Blue Car de Bolloré, mais aussi aux services d’autopartage comme Autolib’ à Paris. Sur le site d’Ergué-Gabéric se trouve aussi la station pilote Blue House (école et dispensaire), reposant sur le stockage de l’énergie électrique issue du photovoltaïque et de l’éolien. Cette station pilote présente un énorme potentiel de développement, en particulier pour l’Afrique. L’Ambassadeur a pu également découvrir l’usine de fabrication de films en polypropylène, située à proximité et qui est aujourd’hui au troisième rang mondial pour la production de films en polyoléfine rétractable pour les emballages. A Ergué-Gabéric, commune où est née il y a plus d’un siècle l’aventure Bolloré, le groupe emploie aujourd’hui plus de 600 personnes.
Je suis heureux, avec le maire de Quimper Bernard Poignant, d’avoir œuvré à la venue de l’Ambassadeur Susanne Wasum-Rainer et d’avoir pu contribuer ainsi, je l’espère, à réduire les différences de points de vue qui avaient pu se faire jour l’an passé. La Bretagne est la première région de France pour l’agroalimentaire et la cinquième en production industrielle. Elle compte de nombreux atouts, à commencer par une solide main d’œuvre. Il y a beaucoup à retirer d’une relation forte avec l’Allemagne et les professionnels allemands, tant en termes de relations commerciales que de jumelages consulaires (comme par exemple le jumelage entre les chambres régionales des métiers bretonne et bavaroise). L’Ambassadeur s’est engagé à préparer un déplacement de responsables professionnels finistériens et bretons en Allemagne cette année. Ce sera la prochaine étape.
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