J’ai participé ces deux derniers jours à la quatrième édition du Forum mondial de la démocratie, organisé par le Conseil de l’Europe à Strasbourg. J’y ai présidé le panel (ou laboratoire) consacré à la lutte contre les discours de haine. Le Forum de la démocratie conduit chaque année des milliers de citoyens passionnés, venus de partout, à investir durant pas loin d’une semaine les salles et l’Hémicycle du Palais de l’Europe. Les débats sont chaleureux et vifs. Pour les parlementaires et les représentants des Etats membres du Conseil de l’Europe, ils sont l’occasion d’un challenge dans le meilleur sens du terme. La société civile nous interpelle, nous critique, nous encourage et surtout nous demande de rendre compte. C’est sain et c’est nécessaire. Beaucoup d’idées sont brassées, qui méritent attention et études. Elles viennent de loin et parfois d’ailleurs. Au cours de la séance d’ouverture mercredi, j’ai ainsi été interpellé par certains passages du beau discours de Michaëlle Jean, émigrée haïtienne au Québec, devenue journaliste de télévision, puis Gouverneure générale du Canada et aujourd’hui Secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie. Son expérience personnelle et sa passion ont parlé au cœur de tous ceux présents dans l’Hémicycle.
Je me réjouissais depuis des mois de participer au Forum et pourtant, après les attentats de Paris vendredi dernier, j’ai envisagé un moment de renoncer à m’y rendre. Ma place n’était-elle pas plutôt à Paris hier jeudi pour voter la prolongation pour 3 mois de l’état d’urgence ? J’ai finalement choisi de maintenir ma participation après avoir reçu l’assurance que je pourrais donner pouvoir à un collègue de voter en mon nom pour la prolongation de l’état d’urgence. Et j’ai jugé aussi qu’il était nécessaire, davantage encore après ce qui s’est passé le 13 novembre, qu’un parlementaire français s’exprime dans le cadre du Forum, dont le thème – très à propos – était cette année « Liberté vs contrôle, pour une réponse démocratique ». Je considère en effet qu’une lutte efficace contre les menaces terroristes qui visent notre société ne passe pas par la réduction des libertés individuelles et collectives. Au terrorisme, aux terroristes, à ceux qui les financent et les équipent, il faut opposer une lutte implacable et sans merci, qui repose sur le droit et sur la force. Pas sur la force, à l’exclusion du droit. Cette expression, partagée sur les réseaux sociaux, m’a valu quelques messages et mails agressifs ou insultants. J’y ai répondu.
En Europe et plus largement dans le monde, nos démocraties, confrontées à la menace terroriste, mais aussi économique, climatique ou bien encore technologique, sont confrontées à des défis nouveaux, peu anticipés, qui suscitent dans la population un sentiment croissant de vulnérabilité. Ce sentiment de vulnérabilité entraine la peur, voire la terreur. La peur déstabilise la société, conduit au repli sur soi, à la méfiance vis-à-vis d’autrui et, de loin en loin, exploitée ou suscitée par des forces extrémistes, au discours et aux actes de haine. Jamais sans doute la société n’a-t-elle exprimé autant qu’aujourd’hui un besoin de protection et de sécurité. Celui-ci doit être entendu et décliné en des mesures fortes. Sans pour autant réduire notre espace de libertés, qu’il ne faut pas considérer comme un luxe. N’oublions pas en effet que c’est parce que nous sommes libres, de nos mouvements comme de notre pensée, que les fondamentalistes s’attaquent à nous. Accepter un pas en arrière durable sur nos libertés serait une victoire pour l’obscurantisme. Défaire le terrorisme et ses causes peut être conduit sans sacrifier nos droits, la démocratie et les bénéfices citoyens de la révolution numérique.
Le Forum mondial de la démocratie repose sur des laboratoires d’idées, qui examinent des initiatives et processus visant à renforcer le contrôle démocratique des questions de sécurité. Ce n’est pas un panel au sens classique du terme, où les orateurs se succèdent les uns aux autres, sans lien ni conclusions opérationnelles. Au Forum, 3 initiatives ou processus sont présentés dans chaque laboratoire, revus en direct par des experts et soumis aux jugements et commentaires des participants. Les participants eux-mêmes éliront d’ailleurs une initiative ce vendredi, qui recevra le prix de la meilleure innovation démocratique et bénéficiera à ce titre d’un soutien du Conseil de l’Europe. Dans le jugement des experts et des participants, la responsabilisation, la participation, la transparence, l’accessibilité et l’efficacité sont – j’ai pu m’en apercevoir durant le laboratoire que j’ai présidé – les critères essentiels. C’est ainsi qu’ont été étudiées les initiatives suivantes : l’Alliance parlementaire contre la haine (présentée par Milena Santerini, députée italienne et rapporteure générale de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe sur la lutte contre le racisme et l’intolérance), la formation contre les préjugés dans les prisons (présenté par Antonios Zikos, directeur de la prison de Patras, en Grèce) et le projet de contre-discours de haine (présenté par Guillaume Buffet, président du think tank Renaissance numérique, basé à Paris).
Les experts étaient Cécile Kyenge (députée européenne italienne et ancienne Ministre de l’intégration), Paul Giannasi (superintendant de police au Royaume-Uni et responsable du programme intergouvernemental britannique de prévention des crimes de haine) et Qanta Ahmed (professeure de médecine à l’Université d’Etat de New York, journaliste et défenseure des droits de l’homme). Je connais l’Alliance parlementaire contre la haine pour en être membre moi-même. Je sais combien le discours de haine surfe sur un racisme décomplexé, auquel la vie politique, débordée ou découragée, mais parfois aussi complice ne répond plus suffisamment. Les membres de l’Alliance parlementaire contre la haine – nous sommes 41 à ce jour en Europe – ont pris l’engagement de réagir systématiquement en public contre les propos haineux. L’un des objectifs de l’Alliance est de promouvoir le 22 juillet comme journée européenne à la mémoire des victimes des crimes de haine, en référence notamment à la tuerie d’Utoya de 2011 en Norvège. J’ai été très touché par le témoignage de la députée Cécile Kyenge, qui vit depuis des années sous protection policière tant le déchainement raciste à son égard est vif en Italie. D’origine congolaise, elle a été comparée par l’ancien Ministre et Vice-Président du Sénat Roberto Calderoni à un orang-outan, sans que cela n’entraine de sanction au Parlement ni de poursuite pénale. Cécile Kyenge se bat aujourd’hui seule au tribunal contre ces débordements haineux.
J’ai été impressionné par les premiers résultats de l’atelier pour les quelque 700 prisonniers de la prison « Saint Stefan » de Patras. L’objectif de cet atelier est de lutter contre tous les stéréotypes en appliquant un modèle anti-rumeurs. Il s’agit de contester les fausses idées, les atavismes et autres préjugés, notamment sur les migrants (2/3 des prisonniers de Patras ne sont pas grecs), à rompre le silence et lutter contre les stéréotypes qui alimentent la discrimination sur la base de l’ethnicité et de la religion. Il ne faut jamais oublier que le premier lieu de radicalisation est la prison et que le combat pour « déradicaliser », reposant entre autres sur l’interaction, commence dès le premier jour de la privation de liberté. Enfin, j’ai été bouleversé par le témoignage de Guillaume Buffet, en référence aux attentats de Paris, dont l’un des très proches a été victime. Guillaume Buffet a souligné combien le troll consécutif à une expression sur les réseaux sociaux peut escalader un échange vers la haine et l’agression. Le projet de contre-discours mis en place par son think tank est convaincant, conduisant à réduire la tension par l’information. Il sera opérationnel sous quelques mois, sans doute dès le début 2016, et gagnera à être présenté devant plusieurs parlements. Je souhaiterais qu’une présentation puisse être donnée à l’Assemblée nationale devant l’une ou l’autre des commissions compétentes ou le groupe d’études sur le numérique.
La vie politique et parlementaire croise insuffisamment les initiatives citoyennes. Je me souviens encore du tollé qu’avaient provoqué en leur temps chez nombre d’élus les propositions de Ségolène Royal sur la démocratie participative. C’est pourtant un processus participatif qui fait aujourd’hui le succès et l’originalité du Forum mondial de la démocratie. Vie politique et initiatives citoyennes ne s’opposent pas, elles ont au contraire vocation à se compléter. C’est une rencontre essentielle pour la démocratie, la légitimité de l’action publique et son efficacité au service de tous. Je suis heureux d’avoir pris part à ces deux jours à Strasbourg, échangeant avec nombre de citoyens d’Europe et d’ailleurs. Le directeur de la prison de Patras Antonios Zikos et la députée européenne Cécile Kwengé m’ont impressionné. Comme un jeune homme venu me voir à l’issue du laboratoire, Adham Darawhasa, arabe israélien, médecin et président du conseil communal de la culture et pour la participation des citoyens étrangers de la ville de Palerme. Il m’a présenté la Charte de Palerme de 2015, « de la migration comme souffrance à la mobilité comme droit inaliénable ». Tout tient finalement dans cette phrase : un combat pour l’humain, un combat pour l’avenir. Longue vie au Forum mondial de la démocratie !
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