J’ai participé du 10 au 14 octobre à la dernière session de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) pour l’année 2016. Cette session était particulièrement dense, tant en raison des rapports et projets de résolution soumis à débat que des intervenants extérieurs invités à s’exprimer dans l’Hémicycle. C’est également cette semaine que devait être remis le Prix des droits de l’homme Vaclav Havel pour 2016, décerné chaque année par l’APCE, en partenariat avec le gouvernement tchèque, la Bibliothèque Vaclav Havel et la Fondation Charte 77. Le Prix a été attribué à Nadia Murad, militante yazidi des droits de l’homme, enlevée à l’âge de 21 ans par Daesh dans le nord de l’Irak et réduite en esclavage sexuel des mois durant avant de parvenir à s’enfuir vers l’Allemagne. J’ai été bouleversé par son témoignage sur la traite des femmes et enfants capturés par Daesh. Il n’existe pas pire barbarie, bestialité et horreur. Nadia Murad a été nommée le mois passé Ambassadrice de bonne volonté des Nations Unies pour la dignité des survivants de la traite des êtres humains. Les deux autres candidats pré-sélectionnés pour le Prix étaient présents aussi : Gordana Igric, journaliste et défenseure des droits de l’homme en Serbie, et l’Institut international des droits de l’homme / Fondation René Cassin, qui œuvre depuis près de 50 ans par l’enseignement et la recherche dans le domaine des droits de l’homme.
Je suis intervenu en séance dans plusieurs débats importants. J’ai soutenu le rapport et la proposition de résolution de la députée espagnole Carmen Quintanilla (PPE) sur le sport pour tous, présenté comme un pont vers l’égalité, l’intégration et l’inclusion sociale. J’ai rappelé dans mon intervention (voir ici) que la pratique du sport, essentielle pour la santé et le mieux-être personnel, doit être encouragée aussi au nom des rencontres et échanges qu’elle permet. Le sport est un atout considérable pour le « vivre ensemble ». Avec l’appui de Carmen Quintanilla, j’ai défendu avec succès deux amendements à la résolution finale. Le premier insiste sur la dimension d’espace de rencontres entre personnes différentes (citadins et ruraux, personnes socialisées et personnes isolées, personnes de communautés différentes, femmes et hommes) qu’offre la pratique du sport pour tous. Ce faisant, j’ai voulu distinguer le travail effectué depuis des années par Pl4y International, une organisation que je connais bien, auprès des enfants de toutes les communautés du Kosovo. Le second amendement recommande la création d’un label européen « sport pour tous », permettant de valoriser et mieux faire connaître toutes les actions en faveur du sport pour tous à l’échelon local en Europe.
Ma seconde intervention a porté sur les conséquences politiques du conflit en Ukraine (voir ici). J’ai apporté mon soutien au rapport et à la proposition de résolution préparés par la députée tchèque Kristyna Zelienkova (ALDE). Je suis heureux que l’APCE ait rappelé très largement, comme l’y engageait la rapporteure, l’exigence de respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, tant en Crimée, occupée illégalement par la Russie, qu’au Donbass, où les forces séparatistes bénéficient du soutien actif de Moscou. La sortie du conflit passe par la stricte application des Accords de Minsk, feuille de route pour la Russie et pour l’Ukraine, dont il est attendu qu’elle conduise pleinement la réforme nécessaire de ses institutions vers la décentralisation et l’éradication de la corruption endémique qui sévit. Je fais partie des membres de l’APCE qui espèrent le retour à Strasbourg des députés russes, absents depuis 2014. Il est nécessaire pour que reprenne la diplomatie parlementaire afin de sortir d’un conflit qui ébranle l’Europe toute entière. Pour autant, à la différence d’une part de mes collègues, j’estime que ce retour doit se faire sans qu’aucune condition ne soit posée par les députés russes. C’est à raison que par deux fois, en réaction aux évènements en Crimée et au Donbass, l’APCE a sanctionné par une levée de ses droits de vote la délégation russe.
M’exprimant comme porte-parole du groupe socialiste, j’ai soutenu le rapport et la proposition de résolution préparés sur la Cour pénale internationale par le sénateur belge Alain Destexhe (ALDE). Dans mon intervention (voir ici), j’ai souligné le courage de la Cour, son intégrité et son indépendance. Sa création il y a près de 20 ans a été l’un des développements internationaux les plus marquants pour la justice et le droit. Six Etats membres du Conseil de l’Europe (Russie, Ukraine, Turquie, Azerbaïdjan, Arménie et Monaco) n’ont toujours pas ratifié le Statut de Rome portant création de la Cour. Je les ai appelés à le faire sans plus attendre. Le refus de ratification n’est pas compatible avec l’esprit même de l’appartenance au Conseil de l’Europe. Le Statut de Rome a été amendé en 2010. Nombre d’Etats membres, parties au Statut de Rome, n’ont pas ratifié ces amendements, qui élargissent le champ des crimes relevant de la compétence de la Cour. J’ai profité de mon intervention pour appeler également à leur ratification. La dernière partie de mon propos couvrait le besoin de modifier nos législations nationales afin de permettre, au-delà de l’exercice formel de ratification, la pleine mise en œuvre du Statut de la Cour. Enfin, j’ai souligné la nécessité de former les juges, procureurs, avocats et forces de l’ordre au Statut de Rome et le soutien à apporter aux ONG qui se battent pour la justice pénale internationale.
Le quatrième et dernier rapport sur lequel je me suis exprimé portait sur l’harmonisation de la protection des mineurs non-accompagnés en Europe (voir ici), préparé par le député italien Manlio di Stefano (non-inscrit, Mouvement cinq étoiles). L’an passé, près de 90.000 mineurs non-accompagnés sont entrés légalement dans l’Union européenne et plus de 10.000 d’entre eux ont ensuite disparu. Faute d’échanges suffisamment étroits et de moyens en droit, les Etats membres de l’Union ont manqué collectivement au devoir de protection qu’ils devaient à ces enfants, car un mineur non-accompagné est, en droit et au regard de l’expérience de vie, un enfant. J’ai plaidé pour une coordination renforcée des polices nationales contre la traite des mineurs, pour l’harmonisation des conditions de désignation et de mission des tuteurs et pour le respect absolu du droit au regroupement familial, sujet sur lequel j’avais également interrogé le Secrétaire-général du Conseil de l’Europe Thorbjorn Jagland en début de session (voir ici). C’est de volonté politique dont il doit être question. Cela passe par l’arrêt immédiat de la rétention des enfants, que certains Etats membres du Conseil de l’Europe continuent de pratiquer au mépris de leurs engagements. Et par la reconnaissance du droit des mineurs non-accompagnés à l’éducation, à la santé et au logement.
Ayant atteint le total autorisé d’interventions en séance, je n’ai pu prendre la parole dans le débat d’actualité consacré à la situation en Turquie après le coup d’Etat militaire avorté du 15 juillet. Mon expression aurait été celle d’une large majorité de mes collègues : s’il est heureux que ce coup d’Etat ait échoué, il est inquiétant et inacceptable que la politique mise en œuvre depuis lors par le Président Recep Tayyip Erdogan se place en profonde contradiction avec les engagements internationaux de la Turquie en matière de libertés et d’Etat de droit. Un Etat membre du Conseil de l’Europe ne peut envisager de rétablir la peine de mort sur son territoire, sauf à quitter le Conseil de l’Europe. Mettre en détention des milliers de personnes, révoquer des milliers de fonctionnaires et museler la presse est intolérable. Je n’ai pas été convaincu du tout par le propos du Ministre des Affaires étrangères turque Mevlüt Cavusoglu devant l’APCE. J’aurais attendu un discours plus courageux et vrai de la part de l’ancien Président de l’APCE qu’il fut entre 2010 et 2012. J’estime nécessaire pour l’APCE d’ouvrir une procédure de suivi à l’égard de la Turquie, sans se laisser intimider par la violence verbale et les menaces larvées des partisans de Monsieur Erdogan, y compris de ceux qui siègent avec nous à l’APCE.
J’ai suivi avec attention trois autres débats. Le premier était consacré aux droits de l’enfant nés de GPA. Le rapport préparé par la sénatrice belge Petra de Sutter (écologiste) appelait à l’élaboration de lignes directrices européennes pour la reconnaissance des droits des enfants nés de GPA et à la collaboration avec la Conférence de La Haye de droit international privé sur le statut de ces enfants, filiation comprise. Ces enfants existent, quoi que l’on pense de la GPA, et leur refuser l’égalité au motif de leur mode de conception me choque profondément. Une majorité de l’APCE a rejeté le rapport de Sutter et je le regrette. Les deux autres débats portaient sur les enseignements à tirer de l’affaire des « Panama Papers » pour la justice sociale et fiscale, sur base d’un rapport du parlementaire autrichien Stefan Schennach (socialiste), et sur les mutilations génitales féminines en Europe, dont la rapporteure était la députée monégasque Béatrice Fresko-Rolfo (PPE). Dans les deux cas, les résolutions ont été largement soutenues, y compris à l’unanimité pour celle consacrée aux mutilations génitales. Enfin, je me suis joint à plusieurs collègues pour dénoncer l’atteinte à la liberté et au pluralisme des médias par le gouvernement hongrois de Viktor Orban, avec la disparition récente de Népszabadsag, le plus grand journal d’opposition hongrois.
Durant la session, j’ai pris part à un side event sur le thème de « la Cour européenne des droits de l’homme et les Parlements nationaux ». J’ai débattu dans ce cadre avec le juge islandais à la Cour Robert Spano, l’ancienne Présidente de l’APCE Anne Brasseur, les professeurs Philip Leach et Alice Donald (Middlesex University) et l’ancien chef d’unité en charge des affaires juridiques et des droits de l’homme de l’APCE Andrew Drzemczewski. J’ai exprimé mon inquiétude sur l’avenir du système de la Cour européenne des droits de l’homme en raison de la non-application prolongée d’arrêts de la Cour par de nombreux Etats membres, des attaques à l’encontre de la légitimité de la justice européenne portées dans certains Parlements nationaux et de l’imperfection des mécanismes d’élection des juges à la Cour. J’ai été choqué par les manœuvres politiques du groupe PPE et les pressions de la représentation macédonienne en début de session pour faire élire – ce qui est arrivé – l’un des 3 candidats au poste de juge macédonien à la Cour. Je voudrais imaginer que seule la connaissance de la Convention et de la jurisprudence de la Cour compte, pas le copinage politique et l’exportation de controverses nationales. Je pense que la procédure d’élection des juges doit évoluer vers la publicité de l’audition des candidats devant la commission de sélection mise en place à l’APCE et à laquelle j’appartiens.
J’ai partagé ces réflexions sur l’avenir de la justice européenne avec deux groupes de visiteurs que j’ai reçu, avec quelques autres collègues, durant la session : une délégation d’élèves de l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) de Bordeaux et une soixantaine d’étudiants de l’Institut d’études politiques de Strasbourg et de l’Institut d’études diplomatiques de Paris. Ces rencontres, toujours utiles et intéressantes, m’ont donné l’occasion aussi de souligner combien le travail de l’APCE, à travers rapports et résolutions, irrigue l’œuvre conventionnelle du Conseil de l’Europe, que nos Parlements nationaux retrouvent ensuite en aval pour ratification. Nombre de résolutions de l’APCE ont conduit à des conventions du Conseil de l’Europe telles la convention sur les langues minoritaires et régionales ou la convention de Faro sur le paysage. Elles suscitent parfois aussi l’élaboration de lignes directrices pour les Etats membres, comme récemment sur les droits et la diversité culturelle. Je crois profondément à l’influence et à la valeur ajoutée du Conseil de l’Europe, organisation à la communication souvent (trop) discrète. Avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, tout ce travail engagé depuis les années 1950 influence profondément et pour le meilleur nos législations nationales.
Durant cette session, nous avons eu le plaisir d’entendre le Président François Hollande. C’était la première fois depuis le Président François Mitterrand en 1992 que le chef de l’Etat du pays hôte du Conseil de l’Europe s’exprimait devant l’APCE. J’ai apprécié le discours du Président (voir ici), solide sur l’acquis du Conseil de l’Europe et l’attachement de la France à l’Etat de droit. Plusieurs collègues parlementaires ont pu ensuite interroger le Président Hollande, pour l’essentiel sur le contexte diplomatique (Syrie, Ukraine). J’ai regretté toutefois que le Président ne prenne pas le temps d’un échange avec les parlementaires français. Je me félicite qu’il se soit rendu à la Cour européenne des droits de l’homme où, je crois, aucun Président français n’était jamais allé. Outre le Président Hollande, l’APCE a également reçu durant la session le Ministre des Affaires étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier et la Ministre des affaires étrangères estonienne Marina Kaljurand, dont le pays préside jusque novembre prochain le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Les autres visiteurs durant la session auront été le Président du Comité International Olympique Thomas Bach et la Secrétaire-générale adjointe de l’OCDE Mari Kiviniemi, par ailleurs ancienne députée finlandaise.
Mes prochaines étapes à l’APCE seront les réunions des commissions de la culture et des affaires juridiques à Paris au début décembre. Je présenterai mon rapport sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme devant la commission des affaires juridiques en mars et devant l’APCE lors de sa session d’avril 2017.
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