L’une des plus belles expressions du projet d’intégration européenne est, pour moi, celle de communauté de destin. Faire la paix et se construire un destin commun, au sein duquel la solidarité des peuples et des gens est une valeur essentielle, un déterminant de la culture européenne. La tempête soufflant sur la zone Euro et sur l’Union depuis des mois mine cette communauté de destin, précisément parce qu’elle relègue très loin la préoccupation de solidarité.
Quel spectacle avons-nous vu, sinon celui d’égoïsmes nationaux étriqués renvoyant toujours la décision à plus tard alors qu’il y avait déjà le feu à la maison et pas simplement dans une seule de ses pièces qui se nommerait la Grèce ? A l’arrivée, les Européens paient au prix fort l’indécision, les rivalités, la petitesse de leurs dirigeants. Aider la Grèce, c’était aider l’Europe et le coût d’une intervention aurait été incomparablement plus gérable financièrement et politiquement en janvier qu’il ne l’aura finalement été dans la débandade du mois de mai. La note nous est désormais présentée sous la forme de plans d’austérité, de coupes sociales, de recul des politiques d’avenir. C’est peu dire qu’elle est salée.
Sans doute passerait-elle moins mal si l’on avait la sensation que nos dirigeants ont tiré les leçons des derniers mois. Ce n’est même pas le cas et c’est bien là qu’est la désespérance de celles et ceux pour qui l’Europe est un idéal. Sans gouvernance économique, sans coordination budgétaire, sans ressources fiscales propres, sans recours à un emprunt européen, sans politique industrielle européenne, l’Union court à sa perte.
J’aime l’Allemagne et prends soin de dire que les critiques qui suivent sont dirigées contre son actuel gouvernement de droite, non contre le pays et ses habitants, qui trinquent lourdement au demeurant. Angela Merkel et son équipe jouent perso en Europe.
Le plan d’économie budgétaire de 80 milliards d’Euros annoncé la semaine passée va assécher la consommation outre-Rhin alors même que, dans une logique de solidarité européenne, il eut fallu au contraire qu’elle soit encouragée au bénéfice de la croissance de la zone Euro. Aucune pression des marchés financiers sur les emprunts d’Etat allemands ne justifiait en effet ce tour de vis supplémentaire.
Or, sans croissance, qu’adviendra-t-il des achats des clients européens des entreprises allemandes ? N’est-il pas temps pour l’Allemagne de relativiser un modèle de développement national qui, certes, a fait ses preuves, mais qui, poussé à l’extrême, joue contre les plus faibles, en Allemagne et en Europe ? Le temps des chanceliers allemands, souvent rhénans, pour qui l’Europe était le fil conducteur d’une vie politique est révolu. C’est vrai pour Angela Merkel. Çà l’était déjà aussi pour Gerhard Schröder.
A leur décharge, le partenaire français, qu’il s’appelle Nicolas Sarkozy aujourd’hui ou Jacques Chirac hier, ne donne ni confiance ni envie, tout appliqué qu’il est à faire régulièrement la leçon aux autres pour mieux masquer ses échecs économiques et son absence confondante de vision politique.
Egoïsme allemand, faillite française, c’est ainsi qu’on en arrive à un projet de gouvernement économique qui marche sur la tête, n’articulant même plus la volonté de réduire les écarts de compétitivité. Par contre, il est bel et bien question de priver de droits de vote les Etats membres qui s’affranchiraient des règles du pacte de stabilité…
L’Europe échappe ainsi un peu plus encore aux peuples et aux gens. Militant de la cause européenne, comme tant d’autres, je ne peux accepter que des débats si fondamentaux pour l’avenir soient confisqués au bénéfice de jeux diplomatiques aussi abscons que vains, desquels la solidarité s’efface peu à peu au point de menacer la communauté de destin sur laquelle tout le projet européen se fonde.
Si l’avènement d’un gouvernement économique européen est plus que jamais nécessaire, il ne pourra se faire sans appui populaire, sans mobilisation militante, et, disons-le, sans réouverture des Traités. C’est une lourde erreur que de vouloir esquiver cette question.
C’est avec les peuples qu’il faut refonder le projet européen, non sans eux, encore moins contre eux.
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