Les marchés financiers ressemblent depuis bientôt deux bonnes semaines à de gigantesques jeux de yoyo et de dominos réunis. Les télévisions renvoient les images de traders affolés devant des écrans tous rouges, de chefs d’Etat inaudibles (Obama) ou décalés (Sarkozy à vélo du côté du Cap Nègre…), et d’inconnus hébétés, interrogés au hasard et sans grand ménagement au bord de la plage ou à la terrasse d’un café. A l’arrivée, saoulé d’images et de mots, on en déduit que c’est la panique générale, que tout fout le camp, que c’est grave si l’on a des placements, mais aussi que çà l’est beaucoup moins lorsqu’on n’a pas un sou vaillant. Pas sûr qu’avec la somme de tous ces clichés et raccourcis, l’on prenne la mesure des évènements et plus encore de ce qu’il convient d’entreprendre pour y faire face.
Ce qui se passe est grave pour tout le monde parce que cela annonce peut-être une lourde récession économique, moins de trois ans après celle de 2008. La récession, c’est le chômage, la précarité, la pauvreté pour des millions et des millions de personnes. Elle peut naître d’une paralysie du marché interbancaire, qui verrait les banques ne plus se prêter entre elles. A l’arrivée, faute de liquidités, l’économie serait étranglée et les faillites s’enchaîneraient. Si la crise des dettes souveraines au sein de la zone Euro s’étend à l’Italie et à l’Espagne, puis à la Belgique, à la Grande-Bretagne et peut-être même à la France, on y va tout droit. Signe de cette inquiétude, ce sont les entreprises allemandes les plus dépendantes du commerce mondial qui prenaient le plus dangereusement la tasse hier à la bourse de Francfort. Comme si les investisseurs avaient déjà intégré l’imminence de la récession.
Les chefs d’Etat et de gouvernement européens donnent l’impression de vouloir envers et contre tout réparer un pneu percé de tous les côtés avec de simples rustines. La capacité d’emprunt de 440 milliards d’Euros du Fonds européen de stabilité financière ne sera pas suffisante s’il s’agit de sauver l’Italie et l’Espagne. Plutôt que d’élever la capacité du Fonds, suggestion faite par Jose Manuel Barroso au grand déplaisir du gouvernement allemand deux semaines seulement après un Sommet européen dont on se demande finalement à quoi il aura servi, ne faudrait-il pas mobiliser la Banque Centrale Européenne pour qu’elle rachète massivement sur le marché secondaire la dette des pays en difficulté, quitte à prendre le risque d’une toute petite inflation ? Et aller vers la mutualisation européenne des risques ? Ce sont ces questions-là, les plus dures et dérangeantes, qu’il faut désormais se poser.
La bourrasque que nous traversons relève, entre autres raisons, d’une crise profonde de l’action et de la parole du politique, dont le crédit est en chute libre. Ce ne sont pas seulement les agences de notation qu’il s’agit de blâmer, mais aussi les réactions tardives et les dénis de réalité. La dette américaine n’est pas un sujet nouveau, apparu il y a deux ou trois semaines alors que démocrates et républicains approchaient du quinzième et dernier round du match Congrès – Maison Blanche. Cela fait des années que les Etats-Unis vivent au-dessus de leurs moyens et que tout le monde le sait. Le temps où ils pouvaient financer à faible coût un endettement pourtant abyssal est désormais révolu. Même si S&P a commis une erreur d’évaluation, même si Fitch et Moody’s maintiennent pour le moment le triple A, un déclin tout symbolique a été acté vendredi dernier, qui ne peut qu’inquiéter au plan économique parce qu’il sera difficilement réversible.
Tout cela pour dire que la réforme des agences de notation, pour nécessaire qu’elle soit, se saurait être la panacée. Et c’est moins tant le caractère privé de ces agences qu’il faut combattre en leur opposant une agence publique, voire européenne, que prioritairement le manque de transparence et le conflit d’intérêt permanent dans lesquels elles baignent. Dépendantes des institutions financières, qui les rémunèrent, elles peuvent par leurs notations précipiter la crise et la spéculation. Mettre un terme à ce conflit d’intérêt doit être une priorité. L’économie est affaire de flux, d’échanges, d’instantanéité, c’est vrai. Mais elle est aussi au service des peuples, dont le destin ne peut s’écrire entre indécision et spéculation. La récession qui guette serait tragique et inhumaine. Voilà pourquoi les moments que nous traversons sont graves et appellent le sursaut politique.