Ces trois derniers jours, j’ai fait faux bond aux hôtels confortables mais tellement neutres, qui abritent beaucoup (trop) de mes nuits au long de l’année. En voyage professionnel à Bordeaux, j’ai suivi le conseil d’un ami et ai découvert un merveilleux Bed & Breakfast situé – cela ne s’invente pas – chemin du bord de l’eau à Macau, au bord de la Garonne, là où commencent les beaux vignobles du Haut-Médoc. De l’accueil chaleureux et de la cuisine formidable de Stéphanie et Serge Tchekhov, mes hôtes, au calme absolu de la nature environnante, j’ai adoré. Au point que ce déplacement que je redoutais, tant est lourd le climat actuel pour l’industrie solaire en France, s’est avéré être un réel bonheur. Et j’ai même secrètement espéré que la grève d’Air France hier me coince une journée de plus en Aquitaine pour rester dans ce lieu unique. Mon patron se demandera sans doute ce que je fabriquais dans un Bed & Breakfast au moment de revoir ma note de frais ! Je lui dirai que c’est là-bas qu’est la vraie vie plutôt que dans les hôtels aseptisés à la décoration fadasse et à la carte ennuyeuse.
Le bonheur d’une jolie chambre, surtout quand elle n’a pas de télévision, c’est l’invitation à la lecture jusque tard dans la nuit. A Macau, dans le silence du chemin du bord de l’eau, j’ai lu deux livres d’Eric Fottorino : « L’homme qui m’aimait tout bas » et « Questions à mon père ». Il y a quelques mois, Eric Fottorino était pour moi un grand journaliste, patron du Monde jusque récemment, dont je ne manquais jamais les articles. J’ai découvert l’écrivain presque par accident, en achetant l’été passé durant le Tour de France le livre « Je pars », qu’il avait écrit en 2001. Cette lecture sur la passion du vélo m’avait tellement passionné que j’ai poursuivi avec « Le dos crawlé » il y a quelques semaines, puis ces deux livres acquis chez Mollat à Bordeaux. Ce qui me touche dans l’écriture d’Eric Fottorino, c’est cette émotion pudique et vraie qui se révèle au au fil des pages, ce recul tendre sur les bonheurs et détours de la vie, cette volonté de regarder devant en n’oubliant rien d’hier.
Peut-on aimer deux pères ? Voilà la question que posent ensemble « L’homme qui m’aimait tout bas » et « Questions à mon père ». Le premier livre est un hommage bouleversant à Michel, le père adoptif d’Eric Fottorino, disparu en 2008. Le second livre raconte la découverte par l’auteur de l‘histoire de son père biologique, Maurice, leurs conversations et l’affection qui peu à peu se construit. Quelques lignes très émouvantes dans les deux livres décrivent l’unique et belle rencontre de Michel et Maurice lors du mariage de leur fils, quelques mois avant la disparition de Michel. Mystères de la vie et vérité des sentiments, loin de tout mélo, oui, « comme on peut aimer deux enfants, on peut aimer deux pères » écrit Maurice à Eric Fottorino. Je suis très ému par ces lectures, cette conclusion, peut-être parce qu’en cette année qui a vu disparaître quelques-uns des miens et naître mon petit Marcos, j’ai mesuré combien la vie est courte et belle, si l’on sait la vivre simplement, en prenant le temps d’écouter et de la comprendre.
J’associerai le 123, chemin du bord de l’eau à l’écriture d’Eric Fottorino. Lorsque j’y retournerai, j’apporterai un livre d’Eric à Stéphanie et Serge. Et peut-être qu’un jour, Fottorino, le gamin du Grand-Parc, chevauchant son « Jimmy Casper », marquera l’arrêt au 123 pour rencontrer les Tchekhov, partager les passions, respirer à pleins poumons l’odeur du fleuve et ajouter d’autres pages à une œuvre admirable.