Alors que la presse bruisse de rumeurs sur la prochaine composition du gouvernement, la lutte fait rage entre tous les candidats à un fauteuil ministériel, strapontin compris. Je me demande parfois quel intérêt il peut y avoir à être Secrétaire d’Etat à pas grand-chose, sans budget ni moyens, et pour quelques mois tout au plus. Sans être cynique, force est d’avouer que c’est davantage sans doute le titre que l’action ministérielle qui motive certains. Au risque d’un bilan plutôt maigre. Je crois à l’inverse en la capacité d’une femme ou d’un homme politique de renverser le cours des choses sur quelques sujets qui lui tiendraient à cœur et auxquels il ou elle vouerait tout un engagement politique, parlementaire et éventuellement ministériel. Au soir d’une vie publique, plus nombreux que l’on pense sont ces élus qui, sans nécessairement avoir été au gouvernement, laissent une trace par la profondeur et la cohérence de leur action.
J’écris cela en pensant à un homme, un camarade du SPD, qui nous a quittés hier. Il s’appelait Hermann Scheer. Il était député au Bundestag depuis 1980. Hermann Scheer n’aura jamais été Ministre, tant au plan fédéral que dans son Land de Hesse. Peut-être l’aurait-il souhaité, nul ne le sait vraiment. Scheer était un visionnaire. Il restera dans l’histoire de l’Allemagne contemporaine comme étant celui qui, avec son ami député vert Hans-Josef Fell, aura conduit à l’adoption de la loi sur les énergies renouvelables (Erneuerbare Energien Gesetz/ EEG) durant la coalition rouge-verte entre 1998 et 2005. Hermann Scheer avait fait des énergies renouvelables la cause de sa carrière parlementaire et même de sa vie, depuis ses première années de recherche à Stuttgart et Karlsruhe jusqu’au dernier combat pour la création de l’agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA). Ses convictions étaient inébranlables et sa volonté contagieuse.
C’est grâce à lui que l’Allemagne est devenue aujourd’hui le leader mondial pour les installations éoliennes, photovoltaïques ou de biomasse. Ces installations produisent une énergie propre et contribuent à la création de nombreux emplois. Songeons que l’on recense ainsi plus de 63 000 emplois directs dans le seul secteur photovoltaïque, dont quelque 35 000 pour la fabrication des panneaux. Une chaîne de valeur industrielle complète est née en Allemagne, reposant sur la formation, la recherche, l’équipement des usines et le développement de projets. Elle a fait du pays une référence dans la lutte contre le réchauffement climatique et pour le soutien à l’économie verte. Les entreprises allemandes des énergies renouvelables, après avoir construit leur marché national, exportent désormais leurs produits, leur savoir-faire et leurs projets sur tous les continents. En Chine, les machines de production des panneaux solaires sont allemandes.
Rien de cela n’aurait existé sans l’action opiniâtre d’Hermann Scheer. La EEG, c’est un pari formidable, à l’encontre des vents dominants du libéralisme : garantir par la loi et pour 20 ans un prix garanti pour le rachat de l’électricité verte produite par le propriétaire d’une centrale solaire ou d’une éolienne. Le prix garanti est financé par une petite surcharge sur la facture d’électricité du consommateur final. Le pari est que ce mécanisme donnera aux producteurs de panneaux solaires ou d’éoliennes la sécurité nécessaire pour investir et produire ainsi les échelles nécessaires en vue de réduire les coûts de fabrication, démentant à terme la fausse vérité selon laquelle les énergies renouvelables seraient chères pour toujours. Un taux de digression annuel sur le prix les oblige au demeurant à répercuter dans leur politique tarifaire leurs gains de productivité, évitant ainsi que ne se crée une rente financière indue.
Scheer et son ami Fell partaient de loin. La EGG avait contre elle les gros de l’électricité bon marché, peu soucieux d’énergie verte. Certains milieux communautaires, rigoristes défenseurs de la concurrence, criaient de leur côté aux aides d’Etat, oubliant au passage que la notion de concurrence dans le secteur de l’énergie est plus que relative. Le coût de la EEG inquiétait jusque dans les rangs du SPD. Hermann Scheer a tenu bon, envers et contre tout, et la naissance de l’industrie allemande des énergies renouvelables est le meilleur témoignage de la justesse de son jugement. Mieux, la EEG a essaimé depuis lors, inspirant avec plus ou moins de bonheur la législation sur les énergies renouvelables en Italie, en France et en Allemagne. Si les énergies renouvelables atteignent à la fin de la décennie la parité énergétique avec les sources d’énergie fossiles, c’est largement au pari d’Hermann Scheer que la société le devra.
L’histoire d’Hermann Scheer et l’œuvre qu’il laisse pour un pays, des générations et finalement notre planète n’ont épousé aucun parcours gouvernemental. Elles avaient la passion comme simple et irrésistible moteur. C’est le meilleur de la politique