Je me suis rendu hier à Sarrebruck. J’ai eu le plaisir d’y rencontrer, après une première réunion organisée à l’Assemblée nationale au début de l’année, la Ministre-présidente du Land Annegret Kramp-Karrenbauer. J’avais reçu Madame Kramp-Karrenbauer, alors plénipotentiaire pour les relations culturelles franco-allemandes, dans le cadre du groupe d’amitié France-Allemagne. La présentation que la Ministre-présidente avait tracée de sa « Stratégie France », qui vise à rendre la Sarre bilingue à l’horizon 2043, m’avait beaucoup impressionné et j’avais souhaité poursuivre l’échange avec elle. Cette seconde rencontre m’a permis de comprendre plus précisément l’ambition que la Ministre-présidente assigne à la formation professionnelle, continue comme initiale, au sein de la « Stratégie France ». Le soutien des milieux industriels est décisif. De l’autre côté de la frontière, en Lorraine, le développement récent d’une stratégie Allemagne à l’échelle régionale, bientôt reprise par la grande région ALCA, permettra utilement de compléter la dimension transfrontalière. La pratique insuffisante de la langue du partenaire, notamment du côté français, limite l’employabilité. C’est particulièrement regrettable lorsque sévit chez nous un taux de chômage record, notamment chez les jeunes, et que nombre d’emplois sont vacants du côté sarrois. L’apprentissage transfrontalier, cœur de la coopération entre les deux régions, est un défi majeur.
Le bilinguisme passe également par un effort auprès des enfants. Le travail conduit sur les kitas bilingues mérite d’être souligné et bien sûr encouragé. Reste cependant que le succès des kitas bilingues dépend aussi de la reconnaissance des formations d’éducateur entre nos deux pays. Force est de constater qu’il y a de ce point de vue bien du grain à moudre, sachant les obstacles soulevés par les autorités de part et d’autre, comme j’ai pu m’en apercevoir à Berlin le mois passé. Je me suis permis de le porter à l’attention de Madame Kramp-Karrenbauer au titre de ses anciennes fonctions de plénipotentiaire. Le suivi annuel de la réalisation des objectifs de la « Stratégie France » garantit que les progrès soient accomplis dans le cadre d’une feuille de route, dont l’administration du Land dans l’ensemble des compétences qui lui sont dévolues a la responsabilité. Madame Kramp-Karrenbauer m’a fait part de sa préoccupation face à la monté du Front National et du discours anti-européen dans notre pays. La récente manifestation de Florian Philippot à Schengen contre la libre circulation entre pays frontaliers a beaucoup choqué en Sarre. La Ministre-présidente m’a rappelé que tous les partis sarrois avaient apporté leur soutien au député-maire de Forbach Laurent Kalinowski lorsque celui-ci avait affronté en mars 2014 Florian Philippot dans une élection municipale serrée.
La Sarre est le laboratoire de la coopération franco-allemande. Au Consulat de France, avant ma permanence, j’ai reçu la Présidente et le Vice-Président de l’Université Franco-Allemande (UFA), Patricia Oster-Stierle et Patrice Neau. Le siège de l’UFA, comme celui du Programme franco-allemand pour la formation professionnelle, se trouve à Sarrebruck. L’UFA rencontre un succès considérable auprès des étudiants. Ses cursus bi-diplômants sont un atout pour les parcours professionnels. 70% des diplômés de l’UFA trouvent leur premier emploi dans les 3 mois suivant la fin de leurs études. L’UFA, en raison de ce succès, est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il lui faut disposer d’un budget renforcé pour maintenir l’effort engagé et développer les cours d’été. Or le nerf de la guerre fait défaut du côté français. Le gouvernement allemand a mis un million d’Euros de plus sur la table, mais la France n’a pas suivi. De sorte que le soutien allemand est désormais plus élevé que le soutien français (pour un budget de 12 millions d’Euros). Ce n’est pas acceptable. J’ai indiqué à la Présidente Patricia Oster-Stierle que j’attirerais l’attention du Président Hollande sur cette situation dans les tous prochains jours. On ne peut en effet vanter la coopération franco-allemande et ne pas y mettre les moyens à parité.
J’ai proposé à Madame Oster-Stierle et à la Ministre-présidente d’organiser à l’Assemblée nationale dans le courant du premier semestre 2016 un colloque sur l’Université Franco-Allemande, auquel seraient particulièrement conviés les étudiants, anciens étudiants et les entreprises. Il m’apparaît nécessaire en effet de mieux faire connaître l’UFA, notamment dans les médias. Tant pour l’excellence de ses formations que pour l’effort de financement à renouveler si l’on veut que ce projet, né dans les années 1990, donne tout son potentiel. J’ai suggéré également qu’un second colloque puisse être tenu en fin d’année 2016 sur la formation professionnelle et le couple franco-allemand. Il couvrirait notamment toutes les difficultés de reconnaissance des diplômes, qui demeurent malheureusement. Ce colloque comme le premier permettrait également d’aborder la question des réfugiés, présents par milliers en Sarre. Nombre d’entre eux parlent bien le français et, moyennant des cours accélérés d’allemand, pourraient rapidement s’insérer dans le milieu économique et social de la région frontalière. Cela implique clairement un renforcement du travail entre la Sarre et la Lorraine sur ce volet.
J’ai achevé ma journée en Sarre par une conférence sur l’apprentissage de la langue du voisin à la Union Stiftung, une influente et prestigieuse fondation de Sarrebruck. Pour être convaincant sur un pareil sujet, j’avais choisi de faire mon discours en allemand. La symbolique était importante et nous a conduits à passer d’une langue à l’autre dans les échanges, comme d’ailleurs avec la Ministre-présidente le matin. J’ai été marqué par les très nombreuses questions soulevées par la salle sur l’incompréhension qu’a suscitée en Allemagne la décision du gouvernement français de supprimer les classes bi-langues dans le cadre de la réforme du collège. J’ai rappelé sans détour que je déplorais moi aussi profondément ce que je crois être une erreur politique majeure et en tout état de cause une mauvaise manière faite à notre partenaire allemand, même si je n’ignore pas non plus que tous les Länder n’ont pas en Allemagne, contrairement à la Sarre, une politique conquérante d’apprentissage du français. C’est donc à un sursaut collectif que nous sommes appelés, Français comme Allemands, et je fonde beaucoup d’espoirs dans la mission jointe confiée à Annegret Kramp-Karrenbauer et à Jean-Marc Ayrault sur les questions culturelles et citoyennes par le Conseil des Ministres franco-allemands.
Je remercie le Consul général Fabrice Joureau pour la gentillesse de son accueil à Sarrebruck. Je serai de retour la semaine prochaine en Sarre pour assister à la commémoration du 60ème anniversaire du référendum, avec Annegret Kramp-Karrenbauer et Jean-Marc Ayrault, et en présence de la Chancelière Angela Merkel.
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