Un débat explosif traverse la France concernant le projet de loi sur le travail porté par la Ministre Myriam El Khomri. Près d’un demi-million de personnes, parmi lesquelles beaucoup de jeunes, étaient dans la rue hier pour affirmer leur opposition à cette réforme. Une pétition avec plus de 1,2 million de signataires exige son abandon. Député, il me reviendra de me prononcer à l’issue, je l’espère, d’un échange fructueux du gouvernement et des partenaires sociaux, puis d’un examen minutieux à l’Assemblée nationale. J’entends le faire librement, sans contrainte d’aucune sorte. Rien n’était plus calamiteux que de découvrir il y a quelques semaines au détour d’une interview de la Ministre du Travail que le gouvernement prendrait sur cette réforme ses responsabilités, claire allusion au recours à l’article 49-3. Vouloir passer en force serait ici la recette assurée du désastre. Il faut entendre les partenaires sociaux, rechercher un accord avec eux, prendre en compte les éléments de consensus dans la rédaction finale du projet et faire assaut de pédagogie dans sa présentation au pays. Il faut résister également à la tentation de caporaliser la majorité. Le Parlement et les parlementaires doivent être respectés.
Le projet de loi n’existe pas encore. Il sera présenté en Conseil des Ministres le 23 mars. Il m’est dès lors difficile d’afficher une position précise ou définitive, faute d’en connaître à ce jour l’exact contenu. Je souhaite cependant partager une conviction : le marché de l’emploi aurait beaucoup à gagner de l’assouplissement de certaines dispositions du droit du travail en retour de l’introduction d’éléments sécurisant les parcours professionnels. Je ne peux accepter l’idée que tout aurait été tenté en France en matière de lutte contre le chômage et que le seul horizon serait finalement les emplois aidés. En 2015, seuls 4 pays de l’Union européenne sur un total de 28 ont vu leur chômage augmenter et la France était malheureusement l’un d’entre eux. Malgré les efforts budgétaires inédits consentis par l’Etat depuis 2012 pour réduire le coût du travail et relancer l’investissement, malgré un alignement exceptionnel des planètes économiques (Euro bas, taux d’intérêt bas, prix du pétrole bas), nous n’y arrivons pas. La croissance à elle seule ne fait pas l’emploi ou bien alors elle le fait insuffisamment. Il faut lever les craintes conduisant aujourd’hui les entreprises à ne pas embaucher, cette part d’incertitude qui pèse lourd en particulier auprès des PME.
Je viens du secteur privé industriel. J’y ai passé plus de 20 ans de ma vie. Le dernier projet que j’ai porté avant d’être élu à l’Assemblée nationale en 2012 était la construction en France d’une usine qui devait employer près de 500 personnes. Je travaillais pour une société allemande, filiale d’un groupe américain. La gestion de ce projet, durant près de 3 ans, a agi sur moi comme un révélateur des difficultés de notre pays, d’autant que j’avais connu le même exercice en Allemagne quelques années plus tôt et mesurais combien la création d’emplois y est finalement plus simple. J’ai le souvenir en particulier de la difficulté qu’il y avait à faire accepter dans le cadre du droit social français un fonctionnement d’usine reposant sur des shifts de 12 heures par opposition à des shifts de 8 heures. Or, cette organisation sur 12 heures était commune au sein de l’industrie des semi-conducteurs dans laquelle opérait mon groupe et toute exception faite pour la France aurait condamné la rentabilité du projet d’investissement que je portais. Travailler 12 heures un jour, puis 12 heures le lendemain et enchaîner ensuite avec 3 jours de récupération était, pour les salariés et pour l’entreprise, une manière d’organiser différemment et efficacement le temps de travail au bénéfice de tous.
C’est cette souplesse d’organisation qui manque en France et qui ne peut reposer que sur des accords d’entreprise, entre direction et représentation du personnel. Voilà pourquoi je crois, entre autres, à l’idée d’accords « offensifs » en faveur de l’emploi, permettant à la direction d’une entreprise de moduler les horaires et les rémunérations afin de répondre aux exigences de nouveaux marchés à conquérir. Je vois également le bénéfice pour l’emploi de l’assouplissement du temps de travail et d’un régime nouveau d’heures supplémentaires par accord d’entreprise. Je le vois moins en revanche sur le plafonnement des indemnités prud’homales. Ces assouplissements envisagés, en particulier sur la définition des motifs de licenciement économique, doivent s’accompagner de sécurisation pour les salariés à travers des droits tout au long de la vie professionnelle. Il faut donner un contenu concret au compte personnel d’activité, qui intégrerait le compte formation et le compte pénibilité. Ce n’est plus, au regard de l’évolution de l’économie, l’emploi qu’il faut sécuriser, mais le parcours des salariés. De ce point de vue, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas et l’Allemagne ont mis en place des politiques d’encouragement à la formation dont nous gagnerions à nous inspirer. A condition d’engager aussi une réforme profonde de la formation professionnelle et de l’assurance-chômage.
Ces sujets sont explosifs dans la société française. Mon histoire et celle de ma famille se confondent avec celle de la gauche. Si je me suis engagé politiquement, c’est pour le progrès social, pour le progrès partagé. Or, ce progrès est-il partagé lorsque tant de nos compatriotes, et notamment les jeunes, n’ont pas aujourd’hui la chance d’avoir un contrat à durée indéterminée (CDI), condamnés de fait à des contrats à durée déterminée (CDD) qui les rémunèrent moins, les empêchent de se lancer dans la vie, d’avoir des projets, autant pour accéder à la formation qu’au logement ? Les entreprises préfèrent un CDD, qui leur coûte pourtant davantage, qu’un CDI qu’elles redoutent de ne pouvoir rompre. Si le but de la réforme du travail, détails (à venir) à l’appui, est de réduire l’écart entre le CDI et le CDD, sur la base d’un équilibre à définir entre une moindre incertitude pour les entreprises et le développement du droit à la formation pour les salariés, alors j’ai la conviction que ce projet peut être une chance historique pour notre pays. La France d’aujourd’hui, et c’est un constat qui va croissant depuis des années, est divisée entre les « insiders », qui se trouvent sur le marché du travail et y jouissent d’une protection, et les « outsiders », qui ne peuvent y accéder, pour les raisons développées un peu plus haut. Nous avons fait par défaut le choix des « insiders ». Une part de nos difficultés est là. Cela doit changer.
Voilà ce qu’est à ce jour ma perception de la loi sur le travail ou à tout le moins de ce qu’elle devrait être pour que je la vote. Je ne veux donner aucun chèque en blanc. Je serai vigilant et exigeant. J’attends de lire ce projet non encore écrit. J’attends aussi de pouvoir l’amender. Encore faut-il pour cela donner la chance au dialogue et à la recherche du compromis. C’est la condition pour que notre pays, le corps social, les salariés et les entreprises s’approprient cette réforme. Le droit du travail doit évoluer, non pour réduire les protections, mais pour les adapter à l’évolution du travail, de la mobilité et des technologies. Le progrès pour tous est à ce prix, le redressement de la France aussi.
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