Une semaine durant, je suis passé devant la vitrine de la librairie qui présentait ce livre. Le visage avenant de Daniel Cohn-Bendit, son auteur avec Hervé Algalarrondo, me donnait envie de l’acheter. Qui n’aime pas Dany ? Ou qui, à tout le moins, laisse-t-il indifférent ? Le titre, en revanche, me laissait dubitatif, pour ne pas dire plus. J’ai lu ces derniers mois tant d’ouvrages politiques fadasses et creux, sans la queue d’une idée nouvelle, que je n’étais pas spontanément porté à rallonger ma bibliothèque de 200 pages supplémentaires que j’imaginais tout aussi insipides. J’ai cependant fini par craquer et pousser la porte du libraire. Non plus parce que Dany me semblait sourire tous les jours davantage dans la devanture, mais parce que je me suis fait la réflexion, peu à peu, que l’expression « connerie » n’était finalement pas aussi incongrue que cela dans l’actuelle vie politique et qu’elle était peut-être même fondée. Et c’est ainsi, au cours d’un long trajet en train mardi dernier, que j’ai lu ce livre comme on dévore un roman, pour finir convaincu, la dernière page tournée, qu’il y a en effet une série de « conneries » auxquelles il serait sans doute bienvenu de mettre un terme.
Que nous disent Dany et Hervé Algalarrondo ? Que l’écart est chaque fois plus grand, tous les 5 ans, entre les slogans et promesses de campagne et la réalité de l’exécution d’un mandat présidentiel. Ni « la rupture » de Nicolas Sarkozy en 2007, ni « le changement, c’est maintenant » de François Hollande en 2012 n’ont en effet connu la réalisation qu’attendait la majorité des électeurs. Pourquoi ? Parce que « il est compliqué de réformer un pays aussi rétif au changement en ayant contre soi tous les partis sauf le sien », expliquent les auteurs. C’est paradoxalement vrai. Car si Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient gagné dans la foulée de leur élection une confortable majorité à l’Assemblée nationale, tous deux avaient intériorisé dès leur entrée en fonction l’écart entre le poids électoral réel de leur parti et le pourcentage de sièges obtenus à l’Assemblée nationale. Par les vertus du scrutin majoritaire à deux tours, moins de 30% des voix peuvent en effet donner plus de 50% des sièges. La vérité, nous disent Daniel Cohn-Bendit et Hervé Algalarrondo, c’est que « nos gouvernement se révèlent incapables de gouverner parce qu’ils ont une assise trop étroite ».
Après 4 ans de mandat à l’Assemblée nationale, je suis arrivé peu ou prou à cette conclusion aussi. Moins tant la logique de la Vème République que l’inversement funeste du calendrier électoral en 2002, fixant les élections législatives après l’élection présidentielle à la faveur de la substitution du quinquennat au septennat, a réduit les élections législatives à un simple vote de confirmation du scrutin présidentiel, sans enjeux ni projets. Localement, dans les circonscriptions, les batailles existent, mais elles se font sans débat global. Plus besoin, puisque la présidentielle est déjà passée par là. L’illusion est rude et tout président élu sait au soir d’élections législatives gagnées que sa marge de manœuvre sera finalement faible. De sorte qu’aucune réforme d’ampleur, en particulier dans le domaine économique et social, n’aboutit alors même que la France, peinant à prendre sa place dans la mondialisation des échanges, en a chaque jour davantage besoin. Et plus l’on avance dans le mandat, accumulant l’impopularité, plus l’assise électorale déjà étroite du début fond, rendant impossible de tracer profondément le sillon.
Si ce système perdure, nous sommes condamnés à décevoir, si ce n’est à tromper toujours plus. Et ainsi à conduire inexorablement Marine Le Pen à l’Elysée. En 2017 peut-être, en 2022 plus probablement. Daniel Cohn-Bendit et Hervé Algalarrondo ont raison d’écrire que le vainqueur de 2017, qu’il/elle soit de gauche ou de droite, sera très probablement celui/celle d’une majorité présidentielle socialiste, écologiste, centriste et LR rassemblée pour faire barrage à l’arrivée de l’extrême-droite à la tête du pays. Ce(te) Président(e) aura contre lui/elle la difficulté supplémentaire d’avoir été devancé(e) au premier tour et d’avoir de fait une marge d’action inexistante dès le premier jour de son quinquennat, en dépit d’un probable succès aux élections législatives le mois suivant. Sauf à ce que cette majorité présidentielle inédite ne conduise à une majorité parlementaire identique, constituée après les élections législatives. Ce qui n’aurait de sens que si le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours cédait la place à la représentation proportionnelle. C’est la proposition majeure faite par les auteurs du livre.
Intuitivement, je me suis toujours méfié de la proportionnelle, parce que mes lointains cours de science politique m’avaient appris qu’elle débouchait sur des assemblées balkanisées, du type IVème République. Egalement parce que la proportionnelle remet le choix des candidats et donc des élus dans les mains des partis politiques, au risque que seuls les apparatchiks soient les lauréats, loin de la vraie vie. Et enfin parce que je n’imagine pas qu’un député soit efficace sans lien avec un territoire géographique, c’est-à-dire une circonscription. Mais après tout, pourquoi ne pas envisager un changement qui, donnant moins de sièges à l’Assemblée nationale au parti du Président, lui garantirait paradoxalement plus de pouvoirs pour agir, en recherchant après les élections législatives un contrat de législature entre formations politiques ? Un gouvernement majoritaire dans l’opinion et non plus seulement à l’Assemblée nationale aurait l’assise permettant d’impulser les réformes que notre pays requiert, à même de le réindustrialiser, d’engager la transition écologique et de réduire le chômage. Comment le faire si ce n’est en réhabilitant les élections législatives et en changeant le mode de scrutin ?
A ce point de réflexion, je devrais me dire que pareille perspective sonnerait le glas de ma vie politique. Je suis loin des logiques d’appareil et le changement de mode de scrutin me serait de toute évidence fatal. Le constat et les propositions de Daniel Cohn-Bendit et Hervé Algalarrondo ne rencontrent cependant pas mon hostilité de principe. J’ai le sentiment que notre pays ne peut plus bouger, coincé par toute une série de règles, traditions, conservatismes et autres atavismes, qu’aucune alternance, dans un sens ou dans l’autre, ne peut réellement bousculer. J’ai aussi la perception après 4 ans dans l’Hémicycle que la vie politique s’artificialise dans un débat gauche-droite surjoué jusqu’à la posture permanente, au détriment des convictions et de l’action. Je suis un homme de gauche, je sais de quelle culture et de quelle histoire je viens. Je n’en renie rien. Mais je perçois que seul le compromis entre formations politiques, y compris celles qui n’ont pas souvent agi ensemble, pourrait permettre de sortir notre pays de l’ornière. Par un contrat de législature, comme le proposent Daniel Cohn-Bendit et Hervé Algalarrondo ? Ou sur quelques textes et votes solennels ? Je n’ai pas la réponse immédiate.
J’ai beaucoup aimé ce livre que j’ai mis du temps à acheter. Il bouscule les certitudes, nous met devant nos responsabilités, pointe vers l’inéluctable arrivée au pouvoir du Front national si rien ne change, de nos pratiques comme du fond de nos politiques. Si, en somme, nous n’arrêtons pas les conneries.
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