“Le Monde” consacre dans son supplément « Littératures » du 22 octobre une page très intéressante à la difficulté des auteurs de se séparer de leurs héros. Comment parvenir à mettre un terme à une complicité parfois longue de plusieurs décennies entre un écrivain et son personnage ? Le personnage s’impose peu à peu à l’écrivain, qui lui confie ses interrogations, passions et multiples regards au fil des intrigues. Cette cohabitation peut également se révéler un poil envahissante, au risque de rendre l’écrivain prisonnier de son héros. C’est ainsi, comme le rapporte « Le Monde », qu’Ian Rankin, passionnant créateur de l’inspecteur Rebus, a décidé de mettre son personnage au repos (à la retraite ?) à l’issue de « Exit Music », la dix-septième livraison des enquêtes de l’étrange inspecteur écossais.
Faut-il se séparer du héros, le sacrifier, organiser même sa tragique disparition comme dans certains feuilletons à rallonge lorsque les producteurs finissent par couper les budgets ? C’est toujours un peu triste pour le lecteur passionné. Quand Hergé est mort, j’ai mis des mois à comprendre que Tintin était parti avec lui. Et j’en étais désolé. J’aurais voulu que mon héros lui survive tant j’avais envie de vivre auprès de lui d’autres aventures. Bientôt 30 ans plus tard, je réalise que Tintin appartenait à une époque, celle des années 1950-1960. Il incarnait cette époque, ses rêves et ses incertitudes. Que serait-il devenu, personnage à l’éternelle jeunesse, dans notre monde d’Internet ? Il aurait été décalé, moins convaincant, moins passionnant.
Je préfère aujourd’hui relire avec tendresse mes vieux albums, rêver que le château de Moulinsart existe quelque part, que j’ai autour de moi quelques capitaines Haddock qui s’ignorent et garder l’esprit des aventures de Tintin bien au-delà de 77 ans. J’ai une autre héroïne, Mary Lester, la policière quimpéroise dont je parlais en avril sur mon blog. Voilà plus de 20 ans que Mary a 30 ans. Quelle chance elle a ! Quand je retrouve ma ville natale, j’aime passer par la Venelle du Pain-Cuit, où son créateur, Jean Failler, a indiqué qu’elle habitait. Je me dis qu’elle est là, quelque part, et file vite à la librairie toute proche acheter le dernier tome de ses aventures. J’ai simplement envie qu’elle continue de nous entrainer dans ses aventures aussi longtemps que Jean Failler en aura la passion.
Eternelle jeunesse, c’est vrai. Eternelle époque, pour certains. Maigret n’aurait plus fumé la pipe au début du XXIème siècle. Simenon non plus d’ailleurs. Mary Lester changera bientôt sa Twingo, j’en suis sûr.