Beaucoup a été dit sur le contenu de l’accord entre le Parti Socialiste et Europe Ecologie Les Verts signé le 15 novembre, en particulier sur le volet énergétique. La différence d’opinion sur le devenir de l’EPR en construction à Flamanville ne doit pas cacher ce qui est de mon point de vue un engagement fondateur : la fermeture de 24 des 58 réacteurs nucléaires actuellement en service pour 2025. Dans l’histoire de la politique énergétique française et plus largement européenne, cet engagement comptera. Si la gauche remporte en 2012 l’élection présidentielle et les élections législatives, la France optera pour une révolution ouvrant la porte à la sobriété énergétique, aux énergies renouvelables et à la modernisation de son réseau de transport d’électricité pour l’adapter aux sources d’énergie décentralisées et intermittentes.
Révolution, le mot n’est-il pas trop fort ? Non. Réduire de 78% à 50% la part de nucléaire en France en un peu plus d’une décennie est le projet, mais plus encore la cause d’une génération. La cause au sens environnemental comme également d’une politique industrielle et de l’emploi. C’est un chantier formidable, qui devra mobiliser des centaines de milliers de femmes et d’hommes, alimentant des vocations, ouvrant la porte à des carrières, créant une industrie manufacturière et un immense vivier de formation depuis les filières professionnelles jusqu’à l’ingénierie. Tout ou presque est à construire. Nous partons de si loin. Nous n’avons pas suivi le virage énergétique opéré par l’Allemagne sous la coalition SPD-Grünen à la fin des années 1990. Il faudra une majorité PS-EELV de choc au Parlement pour tenir et un Etat stratège pour réussir.
Le piège serait en effet d’en rester aux seuls mots et d’avancer petitement, timidement face à la tâche et aux oppositions. La droite, François Fillon et Eric Besson en tête, s’est empressée de hurler à la trahison de la politique énergétique engagée dans les années 1960 et le Président d’EDF, aiguillonné sans doute par l’Elysée, a surenchéri en annonçant la perte d’un million d’emplois et d’un point de PIB ! Rien que cela… Changer de politique énergétique n’est pourtant pas interdit par une quelconque règle d’or, encore moins lorsque le débat est porté pour la première fois devant le peuple souverain à l’occasion de l’élection présidentielle, ce qui n’avait jamais été le cas pour le choix du tout nucléaire. Quant aux chiffres annoncés par Henri Proglio, ils sont rigoureusement faux et desservent les engagements à prendre pour soutenir l’évolution des métiers de l’énergie nucléaire.
La bataille sera avant tout industrielle et elle sera rude. Autant j’étais convaincu que le nucléaire est une énergie de transition, autant je me sentais à ce jour peu à l’aise face à l’incantation anti-nucléaire, instruit sans doute par mon expérience dans le secteur des énergies renouvelables que le chemin à parcourir pour mettre en accord les résultats avec l’idéal serait long, difficile et coûteux aussi. J’étais prudent et réaliste. Je le reste. Sans pour autant en céder sur l’ambition. Pour réussir une telle transition, il faudra un Etat en contrôle des projets à mettre en place, avec des budgets et échéanciers solides. Il faudra un Etat actionnaire, attentif à ce que ses choix soient acceptés et exécutés par les principaux acteurs publics de l’énergie, notamment EDF et RTE. Il faudra un Etat qui valorise l’emploi national et européen afin que chaque Français touche du doigt la réalité de ce changement.
Je me souviens des négociations que je menais en 2006 avec quelques autres collègues de ma société pour construire à Francfort-sur-Oder, dans l’une des parties les plus déshéritées de l’ex-RDA, une usine de fabrication de panneaux solaires. Nous avions autour de la table le gouvernement fédéral allemand, le gouvernement du Land de Brandebourg et la ville de Francfort-sur-Oder, qui comptait plus de 20% de chômage à l’époque. Chacun avait la volonté d’aboutir parce que le cap politique était fixé. Notre usine a été inaugurée en 2007 et compte désormais plus de 1 200 salariés. D’autres sociétés de l’industrie photovoltaïque sont venues quelque temps après. Francfort-sur-Oder a changé, devenant un lieu d’excellence, une ville où l’on vient et reste désormais, au lieu d’en partir comme ce fut très longtemps le cas. Le chômage a baissé, considérablement. Un nouvel espoir est né de la conquête d’une politique énergétique alternative qui place en son cœur les énergies renouvelables.
L’Allemagne a fait ma vie professionnelle. Comme pour tant d’autres employés de mon secteur, du photovoltaïque à l’éolien en passant par la biomasse. La France a tellement d’atouts pour la révolution énergétique, entre son vaste territoire, ses côtes ventées, ses vagues et marées, son ensoleillement. Il y a tellement à faire dans notre pays, peut-être plus qu’en Allemagne, si nous savons imposer par les urnes cette révolution porteuse d’avenir et d’emplois. C’est d’ailleurs avec nos amis allemands que nous réussirons, partageant expériences et développant les projets industriels pour la transition énergétique.
Donnons-nous la chance de ce virage, de cette première étape vers un scénario différent, qui écrive autrement l’avenir de notre pays et de notre planète.
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