C’est un jugement qui fera date. Le 21 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le défaut d’union civile au bénéfice des couples de même sexe, en l’occurrence en Italie, constituait une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Dès lors, cet arrêt vaut obligation pour ceux des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne l’avaient pas encore fait d’introduire en droit national à tout le moins la possibilité d’une union civile pour les homosexuels. La Cour a jugé en effet que l’absence de reconnaissance juridique et de protection porte préjudice aux « besoins essentiels relatifs à un couple engagé dans une relation stable ». 23 Etats membres du Conseil de l’Europe, parmi lesquels l’Italie, la Grèce, la Russie ou encore la Turquie ne reconnaissent pas les unions civiles et a fortiori les mariages entre personnes de même sexe. Les pays de ma circonscription concernés sont l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Macédoine, le Monténégro, la Pologne, la Roumanie, la Serbie et la Slovaquie.
Cette jurisprudence consacre le droit à une union civile. Il y a encore quelques années, certainement parce que rares étaient alors les Etats européens qui disposaient d’une telle législation, un pareil jugement aurait été impensable. La Cour l’avait d’ailleurs initialement exclu dans une affaire largement similaire aux trois affaires italiennes traitées le 21 juillet. Les droits nationaux et la société ont évolué depuis lors. La Cour a su en tenir compte et c’est heureux. L’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut en effet se faire in abstracto, sans lien avec les débats et la construction législative des Etats européens. Sans doute ce jugement renforcera-t-il davantage la conviction de ceux de mes collègues qui, à l’Assemblée nationale, estiment qu’un gouvernement des juges est à l’œuvre à Strasbourg (lire ici). Ils auront tort. Loin d’être le résultat d’un gouvernement des juges, ce jugement ajoute au contraire une belle pierre à l’œuvre jurisprudentielle de la Cour, en phase avec son temps.
Il reste à voir si l’Italie fera appel devant la grande chambre de la Cour. C’est son droit. Elle a 3 mois pour le faire. Certains milieux religieux l’y pousseront certainement, le Vatican sans doute aussi. J’ai du mal, pour ce qui me concerne, à imaginer que l’on puisse, au nom de la foi, trouver matière à refuser des droits ou légitimer la discrimination à l’encontre de couples de même sexe. Cela m’apparaît être un combat d’arrière-garde. L’Irlande, Nation profondément catholique, n’a-t-elle pas voté au printemps à une très large majorité en faveur du mariage entre personnes de même sexe ? J’espère que l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, lors de sa prochaine session à l’automne, saura prendre appui sur ce jugement du 21 juillet, non pour contraindre, mais pour convaincre ceux des Parlements nationaux encore en retrait d’agir pour la reconnaissance et la protection de l’union entre personnes de même sexe.
Ce jugement souligne également, s’il en était besoin, la nécessité de suivre attentivement la jurisprudence de la Cour, qu’elle concerne notre pays comme les 46 autres Etats membres du Conseil de l’Europe. Car ce que la Cour dit pour droit vaut pour tout le monde. La France souffre d’un déficit en matière de suivi de la jurisprudence de la Cour et d’adaptation à celle-ci de sa législation. C’est la raison pour laquelle j’ai préparé en juin dernier une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer ce suivi (lire ici). Je la présenterai devant mes collègues députés socialistes membres de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale au mois de septembre. Le combat ne sera pas facile, si je lis entre les lignes quelques messages reçus récemment. Le sujet intrigue certains et l’outil constitutionnel que j’ai mobilisé pour forcer l’exercice en inquiète d’autres. En outre, si ma proposition de loi allait au bout, il faudrait la soumettre à référendum.
Je prends le pari qu’un débat préalable à l’Assemblée sur cette question, dont le jugement de la Cour du 21 juillet révèle toute l’acuité, pourrait convaincre le gouvernement d’inclure cette proposition, éventuellement amendée, dans un « paquet constitutionnel » plus large, que les parlementaires réunis en Congrès à Versailles pourraient adopter hors exercice référendaire. Le travail sera long, comme souvent sur les droits de l’homme. Il a cependant tout son sens, dès lors que l’on voit dans la Cour européenne des droits de l’homme la dimension constitutionnelle, voire suprême, que les pères de la Convention en 1959 et les principaux acteurs du Conseil de l’Europe depuis lors ont voulu lui donner.
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