Il y a quelques semaines est entré en vigueur le nouveau Règlement européen de coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale. Le sujet peut apparaître aride. Il est pourtant fondamental pour les plus de 10 millions d’Européens qui vivent aujourd’hui dans un Etat membre autre que celui dont ils possèdent la nationalité.
Ce Règlement (n°883-2004) garantit en effet que celles et ceux qui ont fait ou feront le choix de migrer à l’intérieur de l’Union ne seront en aucun cas affectés par la perte de droits sociaux acquis en matière d’assurance maladie, de retraite, de chômage et de prestations familiales. Il oblige les mécanismes nationaux de sécurité sociale à l’égalité de traitement quelle que soit la nationalité. Les règles qu’il fixe s’appliquent à tous les ressortissants de l’Union européenne, travailleurs salariés ou non, mais aussi fonctionnaires, étudiants et retraités qui se déplacent au sein de l’Union. Ces règles couvrent également les membres de la famille ou les survivants, qu’ils soient ou non ressortissants de l’Union.
Le Règlement (n°883-2004) n’est pas le premier texte de coordination européenne des mécanismes de sécurité sociale. Voilà en effet une matière qui possède plus de 50 ans d’histoire législative, le premier Règlement remontant à 1959 (Règlement n°3) et le texte de base durant des décennies datant de 1971 (Règlement n°1408/71). L’adoption d’un nouveau texte était devenue nécessaire au vu de l’évolution importante des législations nationales de sécurité sociale et des nouveaux risques assurés ces dernières années par les Etats membres.
C’est ainsi que le Règlement (n°883-2004) fait notamment entrer dans le champ de la coordination les prestations de paternité et les préretraites. Il prévoit aussi une affiliation temporaire pour qu’un migrant communautaire ne se trouve plus en situation de carence de couverture sociale dans l’hypothèse d’un désaccord persistant entre institutions compétentes des Etats membres quant à la législation applicable. Le Règlement met également en place un système d’échange électronique entre ces institutions visant à faciliter et accélérer les démarches des citoyens.
Les progrès accomplis sont donc réels. Ils restent cependant insuffisants au regard des difficultés concrètes rencontrées. Chaque année, près de 250 000 personnes bénéficient, au moment de partir à la retraite, des droits à la portabilité ouverts par la coordination des systèmes de sécurité sociale. Ces personnes ont en effet effectué leur carrière professionnelle dans plus d’un Etat membre de l’Union. Un nombre croissant d’entre elles possèdent aussi une ou plusieurs retraites complémentaires, pour lesquelles la transférabilité des droits demeure en revanche une véritable difficulté.
Une proposition de Directive avait été présentée par la Commission il y a quelques années dans le but d’y apporter réponse. Elle s’est heurtée à l’opposition hétéroclite des Etats membres, dont certains, à l’image de l’Allemagne, craignaient qu’une transférabilité plus aisée des droits aboutisse à dissuader les employeurs de généraliser ces régimes de retraite complémentaire. Il est urgent de relancer cette question au regard du rôle accru que les retraites complémentaires seront appelées à jouer dans la couverture du risque vieillesse.
Une autre limite du Règlement (n°883-2004) réside dans la portabilité limitée des allocations chômage. A l’évidence, le maintien entre 3 à 6 mois maximum du droit aux prestations de chômage pour le demandeur d’emploi se rendant dans un autre Etat membre aux fins de sa recherche de travail n’est pas suffisant. La portabilité devrait pouvoir être imaginée sur une période d’une année afin d’offrir de meilleures garanties de succès au demandeur d’emploi. C’est clairement un sujet sur lequel la mobilisation devra également être maintenue et amplifiée.
D’autres risques demandent aussi une attention particulière, dont notamment celui du handicap. La reconnaissance de l’évaluation du handicap entre Etats membres reste en effet difficile, conduisant parfois à la multiplication d’examens redondants et aussi à la perte du bénéfice de certaines prestations dans l’attente de l’évaluation par le pays d’installation. Ceci doit absolument évoluer.
La coordination européenne des mécanismes de sécurité sociale est un maquis complexe, mais elle touche fondamentalement à la réalité vécue de la libre circulation des personnes. Les limites du droit positif sont une première difficulté. Son inégale application en est une autre. De ce point de vue, il reste malheureusement encore du chemin à parcourir pour vaincre les petites habiletés protectionnistes sciemment glissées ici et là.
C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, que l’Allemagne se trouve en ce moment en procédure d’infraction pour la clause de résidence qu’elle impose pour l’accès des travailleurs migrants atteints d’un handicap (cécité et surdité, notamment) aux prestations handicapés offertes par le droit allemand. Cela s’achèvera sans nul doute par une condamnation du régime incriminé par la Cour de Justice de l’Union européenne.
Mais la méconnaissance du droit peut aussi conduire à des situations de discrimination manifestes. Elu à l’Assemblée des Français de l’Etranger, j’avais eu à traiter il y a quelques années du refus d’une petite caisse de retraite complémentaire française de verser un capital décès parce que le défunt s’était installé dans un autre Etat membre. Dur à croire, tant d’années après la naissance du projet européen !
Nombre d’affaires de sécurité sociale finissent ainsi à la Cour de Justice de l’Union européenne, soit dans le cadre d’une procédure en manquement initiée par la Commission européenne, soit par renvoi préjudiciel d’un tribunal national. La Cour de Justice, par sa jurisprudence, a fait scrupuleusement respecter le principe d’égalité de traitement, débusquant les discriminations les plus complexes. Elle ne peut cependant se substituer à la volonté politique et à l’action du législateur.
La définition des droits des patients en matière de soins transfrontaliers en est le meilleur exemple. Il est urgent d’adapter le cadre juridique progressivement développé par la Cour de Justice pour déterminer les règles applicables aux remboursements des soins de santé hospitaliers prodigués dans un autre Etat membre que celui d’assurance. La Cour a en effet condamné une bonne part des objections opposées par les institutions du pays d’assurance pour limiter la mobilité des patients au sein de l’Union européenne via l’autorisation préalable requise en l’état actuel du droit.
La Commission européenne avait présenté il y a quelques années une proposition de Directive sur la mobilité des patients au sein de l’Union. Cette Directive est désormais encalminée en raison d’une minorité de blocage au Conseil des Ministres, essentiellement composée d’Etats membres de l’Europe du sud, en particulier l’Espagne, inquiète de ce que l’incertitude quant à la définition de l’Etat membre d’affiliation conduise des retraités britanniques assurés au Royaume-Uni, mais résidant en Espagne, à demander à l’Espagne le remboursement de soins de santé prodigués en France.
La mobilité des patients peut en effet, si elle n’est pas rigoureusement définie, entraîner une déstabilisation financière des systèmes nationaux de santé. Cet argument ne doit pas pourtant conduire à ignorer le souci légitime des patients de recevoir les meilleurs soins hospitaliers dans le meilleur délai.
Pour prendre un exemple, dont j’ai eu aussi à connaître lorsque j’étais élu à l’Assemblée des Français de l’Etranger, il est regrettable que la rigidité des règles d’autorisation nationale actuelles rende improbable la possibilité pour une personne assurée dans un Etat membre de recevoir des soins hospitaliers lourds à proximité de sa famille établie dans un autre Etat membre.
Relancer la proposition de Directive sur la mobilité des patients doit être une obligation à charge de la nouvelle Commission européenne comme du Parlement européen élu l’an passé. L’idée d’instaurer un médiateur européen chargé d’examiner les litiges concernant les demandes d’autorisations préalables, le calcul des coûts et le remboursement doit être explorée, sans doute précisée, mais en tout état de cause défendue.
De la même manière, la coopération structurée entre Etats membres dans les zones frontalières doit être encouragée pour désenclaver les soins hospitaliers d’une seule logique nationale et surtout mutualiser les moyens. C’est le cas entre l’Allemagne et la France de part et d’autre du Rhin, avec les groupements européens de coopération territoriale. Le but est d’accompagner la mobilité des patients en Europe, non de la limiter.
L’objectif du législateur doit être de définir, par analogie avec le Règlement de sécurité sociale n°883-2004, une solution de couverture des soins de santé transfrontaliers reposant sur le paiement des frais par l’institution de l’Etat membre d’assurance, par opposition à la solution jurisprudentielle consistant à obliger le patient à avancer les frais et à tabler ensuite sur un remboursement ultérieur, ce qui limite concrètement la mobilité des patients aux catégories aisées seulement.
La mobilisation citoyenne et politique sur le front du droit européen de la sécurité sociale doit être un combat pour nous tous
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