J’ai effectué un voyage au Kosovo du 28 au 31 mars. Mon précédent déplacement remontait à juin 2014 (lire ici). J’étais alors arrivé au lendemain d’élections législatives disputées, qui conduisirent à une crise politique de plus de 6 mois avant la mise en place de l’actuel gouvernement de coalition entre le PDK et le LDK dirigé par Isa Mustafa. Le Kosovo a-t-il avancé depuis ? Des nombreuses conversations que j’ai pu avoir à Pristina, la réponse est à tout le moins contrastée. La situation économique du pays reste en effet fragile, en dépit d’un taux de croissance soutenu et d’une gestion attentive des finances publiques. Le défi reste plus que jamais la construction d’une économie productive. Le Kosovo dépend toujours très largement de l’aide extérieure consentie par les organisations internationales et par les transferts de la diaspora. Ces transferts représentent de 12% à 16% du PIB. Le pays n’est pourtant pas dépourvu d’atouts, notamment dans les domaines miniers et de l’énergie. La clé du développement économique dans une société marquée par le chômage de masse (entre 30 % et 40% de la population active) et une corruption endémique, c’est une justice irréprochable, la sécurité juridique et fiscale, la stabilité politique et la volonté de dépasser les logiques claniques qui se cachent derrière une vie partisane peu lisible. Autant de sujets sur lesquels bien du chemin reste à accomplir.
Hashim Thaçi, prédécesseur d’Isa Mustafa comme Premier ministre et leader du PDK, a été élu Président de la République. Il prendra ses fonctions le 8 avril prochain. Il est important que le gouvernement français soit représenté par un Ministre à l’occasion de ce moment essentiel pour le Kosovo. J’ai adressé un message en ce sens à Harlem Désir depuis Pristina. Pourquoi ? Parce que la France a toujours été aux côtés du Kosovo, avant comme après son indépendance en 2008. Et parce que notre pays organisera à Paris le 4 juillet le prochain sommet des Balkans occidentaux (processus de Berlin), à l’occasion duquel sera notamment signée la convention créant un office balkanique pour la jeunesse. C’est en effet par le choix européen et l’engagement de sa jeunesse que le Kosovo se construira un avenir, qui passe par l’acceptabilité d’une société multi-ethnique, ouverte, moderne et respectueuse des différences. Ce message, la France le tient et il faut encore le renforcer. Si le dialogue politique entre le Kosovo et la Serbie a repris après la crise politique kosovare de 2014, conduisant en 2015 à la signature de 4 accords importants sur l’énergie, les télécommunications, le pont de Mitrovica et l’union des municipalités serbes du Kosovo, comment néanmoins ne pas être alerté par le fait que les Serbes au Kosovo ne représentent désormais plus que 5% de la population totale, 200.000 d’entre eux ayant fui le pays depuis l’indépendance ?
Durant mon séjour, j’ai rencontré plusieurs personnalités politiques kosovares : le Président du Parlement Kadri Veseli, le Président de la Commission des affaires étrangères Enver Hoxhaj, la Présidente de la Commission pour l’intégration européenne Teuta Sahatqija, le Ministre des Affaires étrangères par intérim Petrit Selimi, le Ministre de l’Intégration européenne Bekim Collaku et le Vice-ministre pour l’intégration européenne Ramadan Ilazii. A chacun d’entre eux, j’ai exprimé mon soutien à l’intégration européenne du Kosovo. L’expérience du débat de janvier dernier sur le Kosovo à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), auquel j’avais pris part (voir ici), m’a montré que le Kosovo jouit d’un large soutien au sein de la vie parlementaire européenne, sur lequel il lui faut capitaliser en progressant vers l’Etat de droit. J’ai rappelé également à mes interlocuteurs kosovars que l’APCE a voté en faveur du statut d’invité spécial pour les parlementaires du Kosovo, qui permettrait à certains d’entre eux de participer aux travaux de l’APCE dès le dépôt de la demande d’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe. Je suis favorable à cette demande d’adhésion tant le Conseil de l’Europe, maison européenne du droit et des libertés, pourrait apporter au développement du pays et de la société kosovare. La balle est dans le camp des autorités à Pristina.
Les défis sont immenses et le Kosovo doit pouvoir compter sur la présence internationale, en particulier dans les domaines de la sécurité, du droit et de la protection des communautés. J’ai été alerté par mon échange avec le père Sava Janjic, abbé du monastère de l’église orthodoxe serbe de Decani, que je suis allé visiter. Le père Sava, connu comme le « cybermoine » durant la guerre en 1999, lorsqu’il abritait Serbes et Albanais au sein du monastère, a partagé avec moi ses craintes sur la montée de l’islamisme radical au Kosovo. Il y a dans le pays un prosélytisme turc et des Etats du golfe qui déstabilisent le sécularisme religieux de la région. Le monastère de Decani, protégé en permanence par les soldats italiens de la KFOR, fait régulièrement l’objet de menaces. Récemment, 4 hommes armés de kalashnikov et se réclamant de Daesh ont été arrêtés à proximité. J’ai également rencontré plusieurs compatriotes travaillant pour la KFOR (force de l’OTAN au Kosovo) et EULEX (mission européenne pour l’Etat de droit). J’ai été reçu par l’Ambassadeur Jean-Claude Schlumberger, qui dirige depuis 4 ans et jusque septembre prochain la mission de l’OSCE au Kosovo. De ces entretiens sur la sécurité et la défense, je retiens qu’il ne faut en aucun cas baisser la garde tant les périls demeurent. Je regrette cependant le retrait progressif de notre pays des postes à responsabilités au sein de ces organisations. C’est une erreur. Les Kosovars attendent de la France qu’elle s’engage, pas qu’elle fasse un pas de côté.
Je me suis rendu à Shtime, une petite ville située au sud de Pristina, à la rencontre de l’ONG française Play International (anciennement connue comme Sport sans frontières). Depuis 2008, Play International a développé au Kosovo un programme de sport inclusif destiné aux enfants de toutes les communautés. L’an passé, ce programme a réuni plus de 3.300 enfants âgés de 7 à 12 ans, issus de 6 communautés (albanaise, ashkali, serbe, rom, bosniaque et turque) pour un total de 384 activités. A Shtime, avec la responsable du programme Christine Roy, j’ai vu de petits albanais et ashkalis, filles et garçons, jouer ensemble, encadrés par une équipe de jeunes volontaires, représentatifs eux-mêmes de la diversité du Kosovo. De tels moments font chaud au cœur tant ils donnent à croire en la capacité de la jeunesse, par le jeu et la camaraderie, de dépasser les haines et les atavismes qui ravagent depuis si longtemps cette partie de l’Europe. Je me suis adressé aux enfants de Shtime pour les encourager à aimer le sport, pour la performance et l’école de vie bien sûr, mais plus que tout pour la découverte de l’autre et les valeurs de respect qu’il véhicule. J’ai été impressionné par le travail de terrain accompli par Play International, une organisation qu’il faut faire connaître et soutenir. Elle jouit à Shtime du soutien total de la municipalité.
A Pristina, j’ai visité les nouveaux locaux de l’Alliance française en compagnie de la directrice Laure Guyot. Ces locaux ont été inaugurés en tout début d’année. 200 adultes et quelque 40 enfants y étudient notre langue. Des cours d’albanais et de serbe y sont également offerts. Sur 500 m2, au centre de la ville, l’Alliance dispose désormais de locaux modernes, comprenant outre les salles de cours une belle médiathèque et un espace de conférence. Le DELF et le DALF sont proposés. Il en sera de même du DELF junior à compter de juin prochain. L’Alliance propose aussi un accompagnement aux enfants inscrits au Centre national d’enseignement à distance (CNED), un programme d’autant plus important qu’il n’existe pas d’école française au Kosovo. 155 compatriotes vivent au Kosovo, essentiellement à Pristina. Le service consulaire de l’Ambassade de France, dirigé par Cécile Sangaré, intervient régulièrement pour la légalisation de documents au titre du regroupement familial. Ce travail évoluera en raison de l’adhésion du Kosovo à la convention apostille de 1961, qui supprime l’exigence de légalisation des actes publics étrangers. Une large part du travail du service consulaire de l’Ambassade est lié à la diaspora kosovare, en particulier avec les auditions avant mariage, nombre de personnes d’origine kosovare établies en France revenant au Kosovo pour s’y marier. Plus d’une centaine de mariages entre citoyens français et kosovars sont retranscrits chaque année.
Quel est l’avenir du Kosovo ? Avant tout ce que les Kosovars en feront. Si la présence internationale est forte et nécessaire dans tout le pays, le Kosovo est un Etat souverain, qui doit opérer démocratiquement ses propres choix, dans le respect de sa diversité. L’émancipation progressive de la présence internationale est la feuille de route. Reconnaissons cependant qu’elle prendra du temps. Le Kosovo a une obligation de résultat. Je m’en suis entretenu au plan économique et commercial avec les représentants de plusieurs sociétés françaises présentes à Pristina dans les domaines de la banque, de la distribution, des transports, de l’eau et de l’énergie. Des marchés existent et il nous faut les conquérir. Chacun de mes interlocuteurs kosovars m’a parlé de la libéralisation des visas. Je comprends cette demande, qui fait sens et doit être un objectif. L’on ne peut demander des résultats au Kosovo et lui fermer la porte en même temps. Il ne doit pas y avoir entre les Kosovars et nous de sujets tabous. Sur la base de progrès à accomplir et quantifier, y compris (et surtout) en matière de lutte contre le crime organisé, cet objectif doit pouvoir être envisagé.
Je remercie l’Ambassadeur Maryse Daviet et la première Conseillère Lise Moutoumalaya pour la gentillesse de leur accueil et leur soutien dans la préparation de mon séjour au Kosovo.
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