J’étais ces derniers jours au Kosovo, seconde étape de mon déplacement de Podgorica à Skopje, dans les Balkans occidentaux. Ce séjour kosovar m’a permis de vivre in situ, au milieu des concerts de klaxon, des feux d’artifices et aussi de quelques lointains tirs (… en l’air) de kalachnikov, le débat politique national consécutif aux élections législatives, qui engage considérablement l’avenir du pays. Celui-ci s’abandonnera-t-il aux jeux dangereux de pouvoirs et d’intérêts, au risque de reculer dans la construction de l’Etat de droit et le développement économique, ou saura-t-il au contraire mettre en place une majorité parlementaire solide et cohérente, qui conjure les risques, y compris celui du nationalisme, pour poursuivre le travail engagé ces dernières années ?
Les électeurs kosovars étaient appelés le dimanche 8 juin à renouveler leur Parlement. Le PDK, parti du Premier Ministre Hashim Thaçi, chef du gouvernement depuis deux législatures, est arrivé en tête avec plus de 35% des voix. Cependant, l’opposition, divisée en campagne entre plusieurs partis aux positions peu conciliables, a décidé d’unir ses forces à l’issue du scrutin et de présenter la candidature de Ramush Haradinaj, leader du partir AAK, au poste de Premier Ministre. Ancien chef de la guérilla kosovare pour l’indépendance du pays, Ramush Haradinaj avait été brièvement Premier Ministre en 2004 avant de devoir démissionner pour affronter à La Haye un procès pour crimes de guerre devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, dont il est sorti acquitté en 2012.
Le PDK du Premier Ministre Thaçi, qui a engagé la construction du pays depuis l’indépendance en 2008, estime, aux termes de la Constitution, que le poste de Premier Ministre doit revenir au candidat du parti arrivé en tête aux élections législatives. Il est vraisemblable que la Cour constitutionnelle soit consultée pour déterminer si une coalition formée après le scrutin et devançant en nombre de sièges le parti arrivé en tête peut légalement voir l’un de ses leaders nommé à la tête du gouvernement par la Présidente de la République. En tout état de cause, le nouveau gouvernement devra, dans sa quête de la majorité requise de 61 sièges, obtenir obligatoirement le soutien des minorités, qui disposent au Parlement de 20 sièges réservés (10 pour la minorité serbe et 10 pour les autres).
A Pristina, j’ai été accueilli par l’Ambassadeur de France Maryse Daviet et ses collaborateurs. La France a reconnu le Kosovo dès le lendemain de sa proclamation d’indépendance. Notre pays est présent sur le terrain, en particulier au sein de la mission européenne pour l’Etat de droit EULEX, dont le Colonel de gendarmerie Joëlle Vachter, française, est la numéro 2. La France contribue aussi à la KFOR, la force de l’OTAN. La mission de l’OSCE au Kosovo est dirigée par Jean-Claude Schlumberger, un diplomate français. J’ai eu la chance également de rencontrer durant mon séjour des compatriotes travaillant pour les agences des Nations Unies au Kosovo (UNHCR, UNMIK) ainsi que pour des organisations non-gouvernementales. Au total, près de 150 Français vivent au Kosovo, pour l’essentiel à Pristina.
Le Kosovo est-il un pays ? A cette question abrupte et fréquemment entendue, la réponse est oui. La Cour Internationale de Justice a affirmé en 2010 que la déclaration d’indépendance du pays était conforme à la légalité internationale. Le Kosovo est reconnu par 104 Etats, parmi lesquels 23 des 28 Etats membres de l’Union européenne. Si l’Espagne, la Roumanie, la Slovaquie, la Grèce et Chypre ne l’ont pas encore reconnu, ceci ne l’empêche pas cependant de jouir d’une perspective européenne grâce au processus de stabilisation et d’association. Ce défi politique s’accompagne d’un défi économique considérable, qui est de construire un appareil productif valorisant les richesses du Kosovo (minerais, énergie et agriculture, notamment) pour réduire le taux de chômage (31%) et sa dépendance à l’aide extérieure et aux transferts de la diaspora.
La Serbie continue de revendiquer la souveraineté sur le Kosovo. Néanmoins, un dialogue concret entre les deux pays a été engagé ces dernières années, conduisant en avril 2013 à un premier accord d’ensemble. Cet accord important vise notamment le nord du Kosovo, où vit une majorité serbe. Des garanties de sécurité et d’autonomie ont été offertes aux Serbes du Kosovo en matière de police et de justice ainsi que dans le domaine socio-économique. En retour, la Serbie a pris l’engagement de démanteler les structures qu’elle avait maintenues ou mises en place pour la police, la justice et le renseignement. Il s’agit là de progrès essentiels au regard des difficultés initiales et c’est pourquoi il importe que l’incertitude institutionnelle consécutive aux élections du 8 juin n’entraîne aucun recul politique, diplomatique et économique.
Le Kosovo a besoin de la présence française et de son soutien. L’engagement de notre pays pour l’intégration européenne du Kosovo est précieux. Cela concerne aussi la dimension économique. Le Kosovo est en effet un marché à développer et à conquérir. Plusieurs sociétés françaises y sont déjà présentes, comme Alstom, Egis Route, Freyssinet ou Interex (filiale d’Intermarché). Aéroport de Lyon possède 10% du capital de l’aéroport de Pristina. Notre poste diplomatique travaille sur d’importants programmes de coopération entre les deux pays. C’est le cas par exemple dans le domaine de l’environnement, où un projet de soutien aux 2 parcs nationaux kosovars pourrait être mis en place sur la biodiversité et le développement économique. L’eau, l’assainissement, la propreté et l’agriculture sont aussi des secteurs où le Kosovo doit impérativement agir et où la France peut proposer des solutions.
Dans le domaine institutionnel, des coopérations sont nécessaires en particulier sur la propriété intellectuelle, l’autorité de régulation des médias, la magistrature et le défenseur des droits. Il en est de même en matière d’éducation et de formation professionnelle. Cet engagement requiert un effort budgétaire de la part de notre pays. Il est clair que nous devons faire mieux en matière de bourses universitaires pour master et doctorat : là où la France, en 2014, offre 2 bourses, le Royaume-Uni en propose 60 et les Etats-Unis 50 ! L’Alliance française, que j’ai visitée en compagnie de son jeune président Qendrim Gashi, professeur à l’Université de Pristina, enregistre près de 400 inscriptions aux cours de français, une hausse de 30% par rapport à l’an passé. La semaine du film francophone et la fête de la musique, avec le soutien de l’Ambassade, sont des succès qui montrent que la France est attendue.
J’ai été impressionné par les projets et réalisations de l’ONG Sport sans Frontière, qui, par la pratique collective du sport, partout au Kosovo, permet aux enfants de communautés antagonistes de dépasser les préjugés pour agir, jouer et gagner ensemble. Je tiens à rendre hommage à l’engagement de sa directrice Estelle Maître, dont l’enthousiasme et la volonté, malgré des moyens limités, suscitent l’admiration. J’ai également rencontré la cinéaste et directrice de la culture de la mairie de Pristina, Blerta Zeqiri, qui souhaite mettre en place de nombreuses initiatives intégrantes pour la jeunesse, fondamentales dans un pays dont la population est à 70% âgée de moins de 30 ans. Au contact d’Estelle, de Blerta et avec le soutien de l’Ambassade, l’idée m’est venue d’aider à la participation l’an prochain d’une équipe de football du Kosovo au désormais réputé mondial minimes de Plomelin, en France.
J’ai tenu une permanence au service consulaire de l’Ambassade de France. La sécurité est une préoccupation essentielle pour nos compatriotes au Kosovo. Le Consul Patrick Ventura m’a présenté les mesures mises en place à cette fin. Une part des activités du service consulaire tient aussi à la légalisation de documents, utiles pour le regroupement familial. Si notre communauté est petite au Kosovo, la diaspora kosovare est présente en France (environ 40 000 personnes), très souvent binationale, et revient régulièrement au pays. Ainsi, 150 mariages entre Français et Kosovars sont célébrés chaque année au Kosovo, qui requièrent certificats de capacité à mariage et transcriptions. Le Consulat est également fréquemment sollicité pour délivrer aux retraités les certificats de vie qui leur sont demandés. Sans doute faudrait-il structurer autour d’une association ou à tout le moins de quelques rendez-vous réguliers cette communauté française active et attachée à notre pays.
Je remercie l’Ambassadeur Maryse Daviet et la première conseillère Line Moutoumalaya pour la gentillesse de leur accueil et leur soutien dans la préparation de mon séjour au Kosovo.
Laisser un commentaire