Aujourd’hui s’ouvre à Hambourg la 26ème conférence annuelle de l’industrie solaire européenne. Elle s’étalera sur une semaine, mêlant présentations sur les derniers développements technologiques et rencontres commerciales. C’est peu dire que cette conférence se tient dans un climat de crise sévère du secteur photovoltaïque, tenant à la réduction des mécanismes de soutien à la production d’électricité solaire dans plusieurs pays européens (Allemagne, Italie, Espagne, France) ainsi qu’au renchérissement du coût des matières premières pour certaines technologies. La concurrence des pays à faibles coûts salariaux se fait de plus en plus sentir. Sur le marché allemand, de loin le plus grand du monde, plus d’un panneau installé sur deux est désormais de fabrication chinoise. Les fabricants allemands, florissants il n’y a pas si longtemps encore, se battent dos au mur. Certains ont annoncé d’ores et déjà des délocalisations en Asie.
Que s’est-il passé ? Pour l’essentiel, les fabricants ont tardé à réduire leurs coûts de production, profitant à plein de mécanismes de soutien à la production d’électricité solaire généreux et de la forte croissance des marchés. Ces mécanismes ont pour but de favoriser les échelles de production pour permettre aux industriels de réduire leurs coûts. Encore faut-il pour cela que les tarifs d’achat garantis s’accompagnent d’un taux de digression annuel ou semestriel obligeant les fabricants à répercuter leurs gains de productivité afin de rester compétitifs. C’est cette discipline qui a été insuffisamment requise de la part des fabricants. Or, l’industrie photovoltaïque ne se trouve plus en moyenne qu’à 4-5 années de distance seulement de la parité réseau en Europe. Voir les gouvernements sacrifier les mécanismes de soutien serait catastrophique au regard du chemin formidable parcouru depuis vingt ans.
Il s’agit pour les pouvoirs publics d’aider l’industrie à faire un dernier pas en confiance. Le contexte de crise économique et de contraintes pesant sur les finances publiques ne milite malheureusement pas facilement en ce sens. L’idée se répand – à tort – que l’électricité solaire serait trop chère pour toujours. En France, le marché est à l’arrêt ou presque en raison du moratoire décidé par le gouvernement en décembre 2010 et de la suppression du tarif d’achat pour toutes les installations de plus de 100 kW en mars 2011. Les projets industriels ont été gelés et de nombreuses PME ont mis la clé sous la porte. Environ 6 000 emplois ont été détruits depuis le début de cette année en raison de ces choix politiques ! Que faire ? Une relance des marchés appuyée sur un tarif d’achat réduit assorti d’un taux de digression exigeant est nécessaire. C’est le cadre le plus sûr pour les investisseurs.
Il faut libérer l’énorme potentiel de la France dans le secteur solaire. L’Allemagne, avec un territoire plus petit et plus densément peuplé que le nôtre ainsi qu’un niveau d’ensoleillement moindre, s’est imposée comme le leader mondial du photovoltaïque au cours des 10-12 années écoulées et vise un objectif de 51 GW de capacité installée cumulée en 2020, là où la France ne se contente seulement que de 5,4 GW à même échéance, soit presque 10 fois moins ! La France doit mobiliser ses très nombreuses toitures industrielles et ses espaces non-agricoles comme les carrières désaffectées ou les décharges sous surveillance trentenaire. Songeons que les carrières et décharges représentent plus de 50 000 hectares qui, s’ils étaient utilisés à hauteur de la moitié de cette surface, pourraient donner entre 8 et 10 GW d’installations photovoltaïques, l’équivalent de 4 ou 5 centrales nucléaires !
La filière photovoltaïque française (25 000 emplois en décembre 2010) est bien dotée en aval (assemblage, développement, installation), mais faible en amont (fournisseurs de matériaux, fabricants de cellules et de panneaux). En dehors de Photowatt, il n’existe en France aucun producteur intégré de panneaux, maîtrisant l’ensemble de la chaîne de valeur. C’est la grande différence avec l’Allemagne, qui compte 35 000 emplois pour la seule fabrication des cellules et panneaux. La construction d’une filière photovoltaïque en France mettant l’accent sur l’amont doit donc être une priorité. Il faut mieux utiliser et financer la R&D française (INES, CEA, CNRS). L’outil fiscal et une meilleure part des fonds du Grand Emprunt sont nécessaires pour soutenir le passage des dernières phases de recherche à la phase commerciale. Un investissement en R&D est nécessaire aussi pour les équipements électriques, où des solutions françaises dans le domaine des onduleurs et du stockage peuvent être développées. Enfin, dans un contexte de vive concurrence internationale, la France ne doit pas s’interdire d’envisager des règles qui bénéficient à la production locale tout en restant compatibles avec ses engagements européens et à l’OMC, comme une empreinte carbone maximum et des obligations de recyclage des panneaux.
L’Etat doit pleinement tenir son rôle de stratège par sa présence actionnariale au sein d’EDF pour que le photovoltaïque soit l’une des priorités de l’entreprise. L’accès prioritaire au réseau de distribution d’électricité est également une nécessité, de même que la modernisation de celui-ci, afin de gérer l’intermittence et la décentralisation des sources d’alimentation électrique. Le développement des énergies renouvelables est un défi qui ne sera gagné que si triomphe une volonté politique. Disons les choses telles qu’elles sont : les producteurs d’énergies fossiles et d’énergie nucléaire n’ont pas grande envie de voir l’énergie solaire progresser en France. Ils décrient régulièrement les tarifs d’achat mis en place, passant sous silence les nombreuses subventions dont bénéficient depuis longtemps et en toute opacité leurs énergies. La transparence doit être une exigence afin que les citoyens puissent juger des progrès accomplis par les énergies renouvelables par rapport aux énergies fossiles et au nucléaire.
Volonté politique, cela doit aussi signifier objectifs contraignants de part des énergies renouvelables dans la consommation. 20% en 2020 était une première étape. Il faut aller plus loin : 40% en 2030. Ces objectifs, parce qu’ils sont contraignants, créent les obligations nécessaires à charge des Etats membres et donnent de la visibilité aux investisseurs. Dans le contexte de sortie progressive du nucléaire, ces engagements sont un must. Ce sont eux aussi qui forceront la France à voir plus loin que son famélique objectif de 5,4 GW pour le photovoltaïque en 2020.
Seul un marché national annuel de 1,5 GW environ entrainera l’intérêt des investisseurs internationaux et qualifiera la filière photovoltaïque française pour construire une démarche d’exportation compétitive (en particulier vers l’Afrique du nord, le Proche-Orient et le Golfe persique). La France doit viser une capacité installée cumulée d’au moins 15 GW en 2020. Cela peut paraître beaucoup, mais c’est tout à fait réalisable.
Laisser un commentaire