J’ai participé les 30-31 octobre à Madrid à la réunion de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), suivie par un important séminaire sur le rôle des Parlements nationaux dans la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Entre les sessions de l’APCE à Strasbourg et les rendez-vous réguliers dans les bureaux parisiens du Conseil de l’Europe, il arrive que la Commission organise une ou deux réunions décentralisées par an à l’invitation d’un Parlement national. Ce fut le cas au printemps dernier en Finlande et cet automne en Espagne. A Madrid, nous avons, au-delà des débats inscrits à l’ordre du jour, eu l’occasion d’entendre sur la thématique de la sécurité et de la protection des droits de l’homme les interventions du Ministre de l’Intérieur espagnol Jorge Fernandez Diaz, du Directeur Général de la Police Ignacio Cosido Gutierrez et du Directeur Général de la Guardia Civil Arsenio Fernandez de Mesa. Le Ministre de l’Intérieur a brossé un tableau très complet du système de protection des droits en Espagne depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 1978 et l’adhésion de l’Espagne à la Convention européenne des droits de l’homme. Nous avons également pu échanger avec le Président du Sénat Pio Garcia Escudero.
Au programme de la réunion de la Commission figuraient 4 débats portant sur des rapports parlementaires en préparation sur les sujets suivants : drones et exécutions ciblées : la nécessité de veiller au respect des droits de l’homme ; l’accès à la justice et Internet : potentiel et défis ; la protection des témoins : outil indispensable pour la lutte contre le crime organisé et le terrorisme en Europe ; comment prévenir la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe. Le débat sur les drones a donné lieu à une discussion nourrie, certains parlementaires estimant le projet de rapport préparé par le sénateur espagnol Arcadio Diaz Tereja trop « droit de l’hommiste », d’autres lui reprochant à l’inverse d’être insuffisamment attentif au respect des droits dans l’utilisation des drones aux fins d’opérations de sécurité. Il a été convenu que la discussion, à ce stade non-conclusive, se poursuivrait lors de la prochaine réunion de la Commission à Paris en décembre. Une audition en présence de plusieurs experts a par ailleurs été organisée sur l’utilisation d’Internet dans les activités de médiation. Je l’ai trouvé peu probante, les experts peinant à mettre en évidence les avantages en termes de coûts et de temps de procédure des avancées technologiques présentées.
Sur la protection des témoins, la Commission a approuvé à l’unanimité le projet de rapport préparé par le sénateur Diaz Tereja. Le projet de résolution adopté souligne en particulier la nécessité pour les Etats membres du Conseil de l’Europe, outre bien sûr d’établir ou d’améliorer les mécanismes de protection, de renforcer leur coopération en échangeant les informations utiles et en concluant en tant que de besoin des accords sur la réinstallation de témoins. Nous avons insisté aussi sur l’intensification de la coopération avec les organes internationaux compétents, en particulier Europol, Interpol et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime. Le projet de recommandation au Comité des Ministres appelle celui-ci à faire le point sur la mise en œuvre d’une précédente recommandation, ancienne de près de 10 ans, et à entreprendre une étude complète sur le fonctionnement des programmes de protection des témoins existants dans le but d’harmoniser les dispositions pour une mise en œuvre transnationale. Le projet de rapport sera présenté au débat et vote de l’APCE en séance plénière lors de la session de fin janvier 2015 à Strasbourg.
Sur la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe, une note introductive préparée par le député luxembourgeois Yves Cruchten a fait l’objet d’un débat long et animé. Les ONG contribuent à l’existence d’une société civile active et au respect des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe a reconnu l’importance de la société civile en se dotant, au rang d’institution, d’une Conférence des organisations internationales non-gouvernementales, qui comprend plus de 400 ONG dotées d’un statut participatif pour ses travaux. En outre, le Comité des Ministres a adopté en 2007 une recommandation contenant un ensemble de normes minimales à prendre en compte par les Etats membres dans l’élaboration de leur législation sur les ONG. Malheureusement, dans plusieurs de ces Etats, notamment la Russie et l’Azerbaïdjan, mais aussi à un degré moindre la Hongrie et la Turquie, des règles ont été posées ces derniers mois dans le but évident, sous couvert de cadres juridiques et financiers très restrictifs, de réduire peu ou prou au silence les ONG actives dans le domaine des droits de l’homme. En Russie, une loi oblige ainsi toute ONG menant une « activité politique » et recevant un financement de l’étranger à s’enregistrer comme « agent étranger ». Et toute information diffusée par cette ONG doit porter la mention « publiée ou distribuée par …, effectuant des fonctions d’un Etat étranger ».
Derrière ces développements, c’est l’existence même de la société civile et du débat démocratique qui est en péril. L’an passé, le parquet russe a entamé un contrôle massif des ONG pour vérifier si elles respectaient toutes les obligations de la loi. Nombre d’entre elles sont désormais poursuivies devant les tribunaux, en particulier celles défendant les droits des communautés LGBT. Ces pratiques ont été considérées par la Commission de Venise et le Commissaire aux droits de l’homme comme contraires aux engagements consentis au titre de leur appartenance au Conseil de l’Europe par la Russie comme par l’Azerbaïdjan, où des développements similaires ont cours. Je suis intervenu dans le débat, auquel avaient été conviés les représentants des ONG « International Media Support » et « Memorial », pour souligner qu’il y a là une atteinte intolérable à ce que sont les valeurs et l’identité du Conseil de l’Europe. Aujourd’hui, au regard de telles pratiques, ni la Russie ni l’Azerbaïdjan ne seraient admis au Conseil de l’Europe s’ils en faisaient la demande. Si le dialogue est bien sûr fondamental pour convaincre les pays d’évoluer, il ne peut non plus durer indéfiniment si aucun résultat n’est malheureusement envisageable. Il en va de la crédibilité du Conseil de l’Europe en tant que maison de la démocratie. Nous ne ferons pas, tôt ou tard, l’économie d’un débat sur la place de la Russie et de l’Azerbaïdjan au sein du Conseil de l’Europe. Il ne saurait être question en effet pour le Conseil de perdre son âme.
En 2011, l’APCE avait voté une résolution demandant la mise en place d’une procédure parlementaire au niveau national permettant la vérification de la compatibilité des projets de loi avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et couvrant également l’application des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Le séminaire organisé à Madrid s’est inscrit dans le cadre de cette résolution. Certains Etats membres ont légiféré sur la base de la résolution, d’autres, parmi lesquels la France, n’ont pas encore agi. L’Allemagne possède un cadre intéressant, reposant au Bundestag sur deux commissions parlementaires : la commission des droits de l’homme et de l’aide humanitaire et la commission des affaires juridiques. La commission des affaires juridiques est compétente sur les questions touchant à la justice et à l’application des arrêts de la Cour, la commission des droits de l’homme couvrant toutes les autres questions. Un rapport annuel sur l’application des arrêts est également produit chaque année par le Ministère de la Justice et débattu au Bundestag. L’exemple du Royaume-Uni me séduit aussi. Un comité joint de la Chambre des Communes et de la Chambre des Lords en charge des droits de l’homme travaille en amont et en aval des débats législatifs sur le respect des engagements internationaux du Royaume-Uni sur les droits de l’homme, y compris sur l’application des arrêts de la Cour.
La France, malheureusement, ne connaît pas cela. Il y a à peine quelques semaines, des parlementaires de l’opposition demandaient au Premier ministre lors d’une séance de questions au gouvernement d’écarter purement et simplement l’application de l’arrêt de la Cour établissant que la France ne saurait refuser l’accès à la nationalité aux enfants conçus par une gestation pour autrui à l’étranger. Cet arrêt se fondait pourtant sur les dispositions européennes incontestables relatives au droit de l’enfant. J’ai cité cet exemple au cours du séminaire, soulignant combien le respect des droits de l’homme reste un combat de tous les jours. Appliquer les arrêts de la Cour est obligatoire, ce n’est pas une option. Dans une communauté de droits, il s’agit de respecter l’autorité de la chose jugée. Je suis en faveur de la mise en place d’un système d’astreinte pour forcer un Etat membre récalcitrant au respect des arrêts, à l’instar de ce que l’Union européenne a déjà mis en place à la Cour de Luxembourg. La proposition est en débat au sein du Comité des Ministres, qui ne semble pas vouloir la soutenir. Doit-on se contenter des arguments opposés par un Etat membre et prendre acte de l’absence de respect d’un arrêt ? Je ne peux m’y résoudre. Depuis 5 ans, invoquant les accords de Dayton, la Bosnie-Herzégovine refuse d’appliquer l’arrêt Seljic et Finci condamnant l’interdiction faite à un citoyen qui ne serait ni bosniaque, ni croate, ni serbe de se présenter à la présidence du pays. Doit-on l’accepter ? Non.
La France doit se doter d’un mécanisme parlementaire de contrôle de la conformité des projets de loi avec la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour. Ce mécanisme doit s’étendre à l’application des arrêts de la Cour concernant ou affectant la France. Je ne comprends pas qu’il ne se tienne jamais à l’Assemblée le moindre débat sur l’agenda du Conseil de l’Europe, ses travaux et l’activité des parlementaires français à l’APCE. Tous les ans, la France verse pourtant près de 40 millions d’Euros de contribution au budget du Conseil de l’Europe. Cela justifierait une légitime curiosité. Il faudrait qu’un rapport annuel sur l’ensemble des activités du Conseil de l’Europe et s’étendant aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme soit présenté chaque année par le gouvernement, forçant ainsi le débat parlementaire. Une proposition de loi avait été présentée en 2011 par mon collègue Jean-Claude Mignon, député UMP de Seine-et-Marne et ancien Président de l’APCE, mais elle n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il faudrait la compléter et la resoumettre. Je pense aussi, au regard de la masse de travail législatif incombant à la Commission des lois, qu’une sous-commission en charge des droits de l’homme, reposant sur des membres de la Commission des affaires étrangères en plus de la Commission des lois, gagnerait à être mise en place pour exercer une vigilance précieuse en matière de respect des droits de l’homme, épargnant à notre pays la difficulté de législations en rupture avec la jurisprudence de la Cour, comme ce fut le cas par exemple sur le régime de la garde à vue.
Sans doute manque-t-il encore en France comme dans bien d’autres pays d’Europe une culture des droits de l’homme dans le travail de construction législative. Nous devons apprendre à mieux solliciter l’avis du Défenseur des droits et plus encore le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Le Commissaire aux droits de l’homme, institution indépendante, est trop méconnu. Son indépendance et sa magistrature d’influence sont pourtant éminemment précieuses. Son bilan aussi. J’ai eu plaisir à Madrid à échanger avec Alvaro Gil Robles, ancien Ombudsman espagnol, qui fut le premier Commissaire aux droits de l’homme entre 2000 et 2006. Pour que le Commissaire soit plus présent auprès des Parlements nationaux (et aussi auprès de l’APCE), encore faudrait-il lui donner davantage de moyens qu’aujourd’hui. C’est une question à soulever à l’APCE et à Paris. Dans le combat quotidien pour les droits de l’homme, la conviction et la présence comptent plus que tout. Cette valeur ajoutée-là, le Commissaire aux droits de l’homme peut l’apporter.
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