Le débat sur la réforme des retraites est une cause essentielle qu’il revient à la gauche d’embrasser. Il est des principes et des acquis sur lesquels il est impensable de revenir, sauf à accepter que toute ambition de progrès social soit désormais révolue. Ce ne sont ni les lobbies patronaux, ni la droite qui mèneront ce combat. Le droit du travail est pour eux toujours trop protecteur. A l’heure de la globalisation, il serait devenu un luxe insupportable pénalisant la France et son économie. Cette petite musique n’est pas nouvelle. C’est même une très pénible rengaine. Que ne l’avons nous pas entendue lors de l’adoption et, plus tard, de la modification de la loi sur les 35 heures.
Le MEDEF et ses alliés au Parlement sont désormais à l’œuvre pour rallonger la durée de cotisation pour la retraite. La pénibilité d’une vie professionnelle est passée par pertes et profits. Si l’âge de départ à la retraite est remonté de 60 à 63 ans, comme le veut le Gouvernement, les premiers qui en souffriront sont ceux pour qui l’espérance de vie est la plus courte en raison notamment de la dureté des tâches exercées.
Une vie de travail ne s’apprécie pas à froid, dans un exercice comptable. La souffrance, physique comme morale, doit être prise en compte. Il est un sujet dans ce cadre que la gauche doit porter : celui du harcèlement au travail. C’est un sujet difficile, même tabou, tant il touche à la dignité, à l’intime, à une souffrance difficile à exprimer, à mesurer et parfois aussi à guérir. C’est un fléau qui détruit des individus et des familles par dizaine de milliers. Chacun a à l’esprit France Télécom. Légitimement.
Au-delà pourtant, combien d’autres drames humains se cachent derrière la chape de plomb ou le silence gêné qui entoure le petit mot, glissé ici et là, sur la dépression ou le « burn out » du voisin, d’un collègue, de l’ami, d’un parent ? La misère, l’épuisement, l’effondrement proviennent certes de la course folle au rendement, aux profits, au court terme, mais trop souvent aussi du sadisme et de la perversité d’un supérieur. Rien n’est plus terrible que l’humiliation endurée jour après jour dans la perte progressive des repères et de l’estime de soi. J’en ai malheureusement fait l’expérience et puis témoigner, comme tant d’autres, de la souffrance qui s’en suit.
La gauche doit ériger la lutte contre le harcèlement au travail au rang de cause législative nationale. Il y a urgence car la situation actuelle, en dépit de la loi de janvier 2002, est un échec patent. Les chartes internes aux entreprises, les codes de conduite et l’encouragement, la main sur le cœur, à dénoncer le harcèlement ne sont que du vent lorsqu’il s’agit de passer de la théorie à la pratique. L’on est seul, tellement profondément seul. La médiation prévue par la loi est très rarement la solution. L’hypocrisie et l’omerta continuent de régner. Entre la solitude de l’un et la puissance de l’autre, le jeu est inégal et il n’y sera mis fin qu’en frappant fort au Parlement.
Il faut durcir lourdement la sanction pénale par de la prison obligatoirement ferme à l’encontre du harceleur et une amende sévère pour la société qui l’emploie, proportionnée à son chiffre d’affaires. La définition et le montant des dommages-intérêts alloués doivent être réévalués. Si peu est accordé au regard d’une vie fichue ou même perdue que c’en est indigne. Une campagne nationale de lutte contre le harcèlement au travail, reposant sur l’information et la prévention, doit être lancée par le Gouvernement avec les partenaires sociaux. Le Gouvernement devrait aussi élever le sujet au plan européen pour une action commune aux Etats membres de l’Union.
Au moment où le droit du travail est enfoncé comme jamais, il convient de nous mobiliser pour le défendre et pour le renforcer. La crise économique, la crainte de perdre son emploi, les emprunts à rembourser, la peur sourde de l’avenir conduisent finalement à tolérer de loin en loin la rudesse, la violence larvée de certaines relations de travail et tout au bout l’inacceptable. Face aux menaces et à l’humiliation, face à des méthodes de management reposant sur le harcèlement – comme ces e-mails auxquels il faut répondre dans l’instant, la nuit, le jour, les week-ends, en vacances – rompre le silence est la première des victoires.
Tendre à des relations solides, motivantes, respectueuses, en un mot harmonieuses au sein de l’entreprise n’est pas un baratin mièvre. Au contraire. S’il arrive que l’entreprise puisse être un lieu de conflit, elle doit avant tout rester ce lieu irremplaçable de création de richesses, y compris humaines entre les salariés.
C’est là un projet de société, qui recouvre l’objectif de transformation sociale au cœur du combat de la gauche, et il importe aujourd’hui que nous l’élevions au rang de priorité militante et électorale.
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