Voilà deux ans, depuis mon élection à l’Assemblée nationale, que je mène un combat acharné à Berlin, Paris et Bruxelles pour corriger une injustice affectant plusieurs dizaines de milliers de retraités français en Allemagne. Ces compatriotes, qui perçoivent une retraite complémentaire de l’AGIRC, de l’ARRCO ou de l’IRCANTEC, voient les autorités allemandes appliquer à cette retraite un prélèvement de 15,5% au titre des cotisations maladies. Les autorités allemandes estiment en effet que les retraites complémentaires françaises sont assimilables aux retraites d’entreprises allemandes, auxquelles le même taux de 15,5% est appliqué. Une différence de taille existe cependant : si les retraites d’entreprises allemandes ne sont pas obligatoires – personne n’est obligé d’y souscrire – les retraites complémentaires françaises, certes nées d’un accord entre partenaires sociaux, le sont en vertu de l’intervention du législateur en 1972. Ce n’est donc pas un taux de prélèvement de 15,5% qui devrait leur être appliqué, mais bien le taux de 8,2% applicable aux retraites de base telles que définies par le Règlement européen n°883/04 de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale et la nomenclature qui l’accompagne.
Un différentiel de 7,3% de prélèvement par mois, en particulier sur de petites retraites, cela représente une somme appréciable en termes de pouvoir d’achat. L’injustice est flagrante et j’ai entrepris d’y mettre fin. Mon objectif est double : ramener le taux de prélèvement sur les retraites complémentaires de l’AGIRC, de l’ARRCO et de l’IRCANTEC à 8,2% pour l’avenir et obtenir au bénéfice des retraités le remboursement des sommes indûment perçues au cours des 5 années écoulées, majorées des intérêts. J’en ai d’abord parlé avec les autorités françaises, dont l’initiale et prudente distance sur le sujet m’a rapidement convaincu que le combat serait plutôt solitaire. J’ai écrit au Ministre des Finances allemand Wolfgang Schaüble, qui m’a opposé une fin de non-recevoir, assise sur une interprétation juridique du caractère obligatoire des retraites de l’AGIRC, de l’ARRCO et de l’IRCANTEC que je ne pouvais partager. Face à cette impasse, j’ai alors saisi, au mois de juin 2013, la Direction-Générale des Affaires sociales de la Commission européenne. Celle-ci m’a répondu que le sujet avait déjà été tranché – dans le sens que j’attendais – par le tribunal social de Fribourg/Brisgau dans une affaire concernant le régime de retraites complémentaires suisse.
Ma saisine de la Commission européenne, si elle a pu ne pas réjouir les autorités allemandes, a eu le mérite de pousser les autorités françaises à intervenir à leur tour sur la base de mon argumentation juridique. Deux courriers ont ainsi été échangés entre le Directeur de la Sécurité sociale en France et son homologue allemand en fin d’année 2013. J’espérais voir la situation se débloquer en ce premier semestre 2014 quand l’Allemagne a malheureusement fait machine arrière au mois de mai, une caisse d’assurance maladie allemande interjetant appel devant le tribunal social fédéral d’un jugement de première instance qui avait tranché en faveur du taux de 8,2%. Le délai d’instruction de cet appel est d’environ deux ans et ceci fige donc pour la même durée toute perspective de solution favorable aux compatriotes concernés (comme d’ailleurs aux Allemands retraités de l’AGIRC, de l’ARRCO et de l’IRCANTEC). Je m’apprête à nouveau à saisir la Commission européenne face à ce blocage qui s’apparente à mes yeux à de la mauvaise volonté. Je me bats aussi pour que le sujet soit évoqué au plus haut niveau politique entre Ministres français et allemands, voire entre le Président et la Chancelière.
Ce sujet est en effet éminemment politique. S’il revêt une dimension juridique tenant à l’interprétation du droit européen de la sécurité sociale, il est surtout devenu un talon d’Achille pour des dizaines de milliers de personnes parce que, à l’instar d’autres sujets qui fâchent potentiellement de part et d’autre du Rhin, il a été prestement évacué des discussions de la coopération franco-allemande alors même qu’il aurait dû au contraire y être inclus au rang de priorité. Je ne conçois pas, comme parlementaire, mais aussi comme citoyen, que la France et l’Allemagne, qui rappellent sans cesse leur relation étroite, peinent tant à aborder et trancher politiquement les sujets concrets et citoyens qui suscitent des difficultés. Il ne fait pas de doute pour moi que les retraites complémentaires françaises entrent dans le champ d’application des régimes de retraites générales en vertu du caractère obligatoire de l’affiliation, de leur fonctionnement par répartition, de leur couverture généralisée des branches de l’économie, de l’indexation de leurs pertes sur la dette publique et donc de leur appartenance à la comptabilité générale du système social français. Il ne saurait être question dès lors de les soumettre à un prélèvement de 15,5% comme les retraites d’entreprise allemandes.
Après avoir évoqué le sujet avec le Ministre allemand des Affaires européennes Michael Roth en février dernier à Berlin, j’en ferai de même avec Harlem Désir, Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes à Paris lors d’un rendez-vous à la mi-juillet. Je suis persuadé que le droit, mais aussi le bon sens politique et, plus encore, la justice et l’équité, finiront par s’imposer.
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