Il y a bientôt un an, je faisais part sur mon site (lire ici) de mes multiples initiatives en réponse aux sollicitations et appels de nombreux agents de l’Office Européen des Brevets (OEB) concernant la détérioration inquiétante des relations sociales au sein de leur organisation. Je ne m’étais plus exprimé publiquement depuis lors, tentant néanmoins par des courriers, conférences téléphoniques, rendez-vous et autres visites auprès du gouvernement français comme de la présidence de l’OEB de contribuer à la recherche d’une solution qui mette un terme à la crise objective que traverse l’organisation. Le mois passé, me rendant à Munich, j’ai été reçu durant près de deux heures en tête à tête par le Président Benoît Battistelli, que je remercie. J’ai aussi rencontré plusieurs agents à leur demande, ensemble ou individuellement. Ces agents, comme ceux qui m’ont écrit, m’ont tous fait part du risque qu’ils prenaient à échanger avec moi, me priant instamment de ne pas révéler leur identité par peur de sanctions disciplinaires à leur encontre.
Je ne conçois pas et accepte encore moins que l’échange avec un parlementaire puisse se traduire par des menaces, des sanctions, voire une carrière professionnelle brisée. Derrière l’agent, il y a le citoyen. Tout cela est symptomatique, malheureusement, d’un climat social délétère. Je connais le monde des entreprises pour y avoir passé plus de 20 années de ma vie. Je sais que les relations sociales peuvent parfois être difficiles. Pour autant, je sais aussi qu’une sortie de crise demande de part et d’autre une volonté commune de comprendre les difficultés rencontrées et de trouver ensemble les moyens du rebond. La clé est là. J’ai la conviction qu’une organisation opérant dans une atmosphère aussi détériorée, marquée par la peur et la suspicion, et sans autre horizon que l’opposition de bloc à bloc, dans l’espoir que l’une des parties finisse à la longue par plier, est une organisation condamnée à ne pas tenir ses objectifs. Cette perspective ne peut constituer l’avenir de l’OEB, dont le rôle pour l’économie européenne, l’innovation et l’emploi est plus que jamais essentiel.
De retour de Munich, j’ai contacté le Ministre de l’Economie Emmanuel Macron et lui ai fait part de mon sentiment. Comme également d’une série de propositions. Je n’avais pas à l’origine envisagé de communiquer publiquement. C’est l’arrêt de la Cour d’appel de La Haye du 17 février dernier et les développements qui ont suivi qui m’ont fait changer d’avis. Il est en effet inédit ou presque que l’immunité d’une organisation internationale soit levée en justice. Comment ne pas être ébranlé quand une Cour aussi importante et prestigieuse estime que la défaillance du système de résolution des conflits au sein de l’OEB se traduit par une réduction inacceptable des droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme, conduisant ainsi à la levée de l’immunité de l’organisation ? Pareil jugement mériterait à tout le moins, au regard de ses attendus comme de ses conséquences, un débat des Etats membres réunis au sein du Conseil d’administration. Rien de cela. J’ai été stupéfait d’apprendre que le Président de l’OEB avait annoncé au personnel que l’organisation ne se soumettrait pas à l’arrêt de la Cour.
Il est temps pour les Etats membres de reprendre la main. La légitimité d’une organisation internationale, et l’OEB ne fait pas exception, repose sur eux. Lorsque l’on a perdu l’immunité de juridiction, il est vain d’invoquer en désespoir de cause l’immunité d’exécution. L’OEB souffre depuis des années d’une carence de gouvernance, imputable au désintérêt progressif des Etats membres pour tous les sujet relevant, peu ou prou, de la séparation des pouvoirs et des règles élémentaires de checks and balances, en particulier en matière d’audit et de contrôle interne. Voilà 15 ans que la conférence interministérielle prévue par le statut de l’organisation ne s’est plus réunie. La situation présente rend urgent d’en tenir une dans un avenir proche. Au demeurant, pareille réunion devrait pouvoir se tenir tous les 2 ans. La conférence fixerait le cadre de l’action de l’OEB et en confierait le contrôle au Conseil d’administration. Le pouvoir des grands Etats pourvoyeurs de brevets devrait par ailleurs être renforcé, en rompant avec la règle un Etat – une voix pour aller vers une pondération des voix. Et pour que le Conseil d’administration joue activement son rôle, un régime d’incompatibilité devrait être mis en place pour que l’exercice de la présidence du Conseil d’administration soit incompatible avec une candidature à la présidence de l’OEB.
Pour sortir de la crise actuelle, un audit social indépendant est nécessaire. C’est aux Etats membres d’en définir le champ et d’apprécier le contenu décisionnel qu’il conviendra d’accorder aux recommandations des auditeurs. L’avenir de l’OEB en dépend. Il ne s’agit pas ici d’une question de personnes ni d’un référendum sur la pertinence de la démocratie sociale. Une organisation, pour vivre, a besoin de concorde, de dialogue et de décisions comprises, partagées et acceptées. Telles sont, en amont de la réunion du Conseil d’administration de l’OEB des 25-26 mars, les positions et suggestions que je me suis permis, comme parlementaire, de porter à l’attention du gouvernement français.
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