Le 9 décembre prochain, la Commission des lois de l’Assemblée nationale examinera une proposition de loi organique et une proposition de loi ordinaire présentées par le Président Jean-Jacques Urvoas, toutes deux relatives à la modernisation des règles de l’élection présidentielle. Ces propositions sont nécessaires afin de prendre en compte en temps utile, c’est-à-dire avant l’année électorale de 2017, les difficultés relevées tant en 2007 qu’en 2012. Ces difficultés sont connues et font l’objet d’un large consensus quant à la nécessité d’améliorer les choses. C’est le cas en particulier du système de parrainage des candidats, des contraintes imposées aux médias, des règles relatives aux sondages ou bien encore des restrictions dans la divulgation des résultats. A cela s’ajoutent les remarques et recommandations faites dans leurs rapports respectifs par les différents organismes de contrôle intervenant à l’occasion de l’élection : le Conseil constitutionnel bien sûr, mais aussi le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Commission des sondages, la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne en vue de l’élection présidentielle et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
De ces difficultés, remarques et recommandations, Jean-Jacques Urvoas a tiré matière pour ces deux propositions de loi. Il faut saluer son travail. Dans la proposition de loi organique, aux articles 8, 9 et 10 figurent des dispositions relatives à la participation des Français à l’étranger. Il en est de même à l’article 3 de la proposition de loi ordinaire. L’article 8 met fin à la possibilité pour nous, Français à l’étranger, d’être inscrits sur une liste électorale consulaire et sur une liste électorale en France. Cette double inscription fait l’objet d’une recommandation de suppression par le Conseil constitutionnel à la suite de difficultés qui avaient vu plusieurs milliers d’électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires et cependant rentrés en France se présenter sans succès dans leur commune française de rattachement pour voter. L’article 8 établit que les électeurs inscrits sur les deux listes devront faire le choix exclusif de l’une d’entre elles dans un délai déterminé. En clair, l’on ne pourra plus voter aux élections locales dans sa commune de rattachement en France et aux élections présidentielles, législatives, européennes et consulaires ainsi qu’aux référendums à l’étranger. Sans expression du choix dans le délai imparti, l’électeur sera radié de la liste électorale consulaire.
L’article 9 de la proposition de loi organique autorise par principe la propagande à l’étranger dans l’ensemble des Etats. Rappelons qu’elle n’est autorisée à ce stade que dans les 47 Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 10 complète les interdictions à l’étranger de certaines formes de propagande électorale, notamment par la prohibition des appels téléphoniques en série aux électeurs et de l’usage des numéros d’appel gratuits. L’article 3 de la proposition de loi ordinaire toilette les règles relatives à l’élection des députés des Français de l’étranger et aux élections européennes, en cohérence avec la suppression de la double inscription posée par l’article 8 de la proposition de loi organique. Le 4 novembre dernier, j’ai reçu de Jean-Jacques Urvoas un courrier me présentant ces deux propositions de loi et sollicitant mes avis et réactions sur les articles relatifs aux Français à l’étranger. J’y ai répondu par courriel le 16 novembre, exprimant une position sur la double inscription que j’avais par ailleurs déjà détaillée dans ma lettre d’information du 14 juillet à destination des compatriotes d’Europe centrale et des Balkans.
Je suis opposé à la suppression de la double inscription. Nombre de compatriotes résidant à l’étranger sont attachés, familialement et/ou sentimentalement, à leur commune d’origine en France, au point d’y voter régulièrement, le plus souvent par procuration, aux élections locales et en particulier aux élections municipales. Je redoute que la perte possible du droit de participer aux élections locales, parce qu’elle casserait un lien citoyen et affectif, conduise nombre d’entre eux à renoncer à l’inscription sur la liste électorale consulaire. Et si la suppression était votée par le Parlement dans les termes de l’article 8, a fortiori avec une radiation d’office de la liste électorale consulaire en cas de non-réponse au choix proposé entre les deux listes, elle conduirait immanquablement à une réduction considérable de la taille de cette liste (qui compte environ 1,2 million d’inscrits à ce jour), ébranlant ainsi la représentation parlementaire (députés) et locale (conseillers consulaires et AFE) des Français à l’étranger au point, sans doute, de la démonétiser politiquement.
Je comprends l’inquiétude du Conseil constitutionnel au regard des difficultés relevées lors des scrutins de 2007 et de 2012. Une élection présidentielle se jouant à 25 000 voix au second tour – et cela peut arriver (Gerhard Schröder et le SPD avaient battu Edmund Stoiber et la CDU de 6 000 voix sur toute l’Allemagne en 2002) – mettrait nos imperfections d’organisation à l’étranger sous les projecteurs. Raison de plus pour s’en occuper avant 2017, mais d’une autre manière que celle proposée. Je pense en l’occurrence qu’un travail bien plus rigoureux en amont, au niveau des commissions administratives dans chaque centre de vote à l’étranger, pourrait permettre de toiletter la liste électorale consulaire efficacement et d’éradiquer ainsi les difficultés recensées à la pratique en 2012. Ces commissions ne se réunissent pas assez souvent. Certaines listes électorales consulaires sont énormes par la taille et requièrent certainement un minimum de 4 réunions par an pour accomplir un travail sérieux. C’est cette voie-là que je préconise, qui relève du pouvoir réglementaire. Il me paraît important également d’informer bien plus proactivement qu’à ce jour les électeurs des conditions de leur participation électorale l’année précédant l’élection présidentielle.
Je reconnais cependant par souci d’honnêteté qu’il est un argument qui militerait en faveur de la suppression de l’inscription sur les deux listes, argument curieusement peu ou pas mis en lumière. C’est le fait pour un électeur inscrit sur les deux listes de contribuer finalement à la constitution de deux collèges de grands électeurs sénatoriaux en parallèle : celui des sénateurs représentant les Français établis hors de France par sa participation à l’élection des conseillers consulaires et celui des sénateurs de son département français par sa participation aux élections locales et notamment municipales. Concernant l’autorisation de la propagande électorale sur l’ensemble de la planète et les compléments à l’interdiction de certaines formes de propagande électorale, j’y suis très clairement favorable.
Voilà ce que j’ai indiqué à Jean-Jacques Urvoas le 16 novembre. J’y ai rajouté deux recommandations supplémentaires. La première est que soit réglementée l’utilisation des adresses mail des personnes inscrites sur la liste électorale consulaire en dehors des périodes officielles de campagnes électorales. Ces dernières semaines, quelques messages électoralistes sans le moindre élément informatif ont été adressés à l’ensemble des listes électorales consulaires du monde, irritant profondément les compatriotes et conduisant à des demandes d’effacer l’adresse mail de la liste électorale, au risque de menacer finalement la capacité du/de la compatriote concerné(e) d’exercer son vote par Internet aux prochaines élections législatives. J’estime qu’il serait juste que l’usage de la liste électorale consulaire et des adresses mail qu’elle contient soit réservé à la diffusion de messages à contenu strictement informatif par les élus hors période électorale.
Ma seconde recommandation traite du vote par Internet. Je connais l’obstacle constitutionnel qui empêche de l’étendre à l’élection présidentielle pour les Français à l’étranger. Cet obstacle est-il absolu ? Il est difficile dans la réalité d’expliquer sur le terrain que l’élection présidentielle est une élection trop importante pour que le vote par Internet soit octroyé, mais que cela peut aller en revanche pour les élections législatives, dont le 1er tour a lieu seulement 4 semaines après le 2nd tour de l’élection présidentielle. C’est incompréhensible politiquement, sauf à conclure qu’une élection peut se faire sur des standards démocratiques moins exigeants que pour l’autre. Je pense qu’il faut que nous poursuivions au Parlement et avec nos compatriotes à l’étranger l’échange sur la possibilité d’étendre le vote par Internet à l’élection présidentielle. Voire au plan national, ce qui lèverait la difficulté constitutionnelle. Dans cet échange, tous les obstacles devront être examinés, en particulier technologiques et de sécurité. Je suis prêt à entendre qu’il soit techniquement difficile, voire impossible d’étendre le vote par Interne à l’élection présidentielle à l’étranger à ce stade. Je ne suis pas prêt à me satisfaire en revanche de la situation présente, qui voit ce sujet prestement évacué, comme si la question ne se posait pas.
Je participerai à la réunion de la Commission des Lois le mercredi 9 décembre. Le débat est essentiel pour les Français à l’étranger. Je suis bien entendu preneur de tous les commentaires, critiques et propositions en amont de ce débat.
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