Le Conseil des Ministres a adopté le 10 décembre dernier le projet de loi visant à prolonger l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017. Ce projet sera soumis au débat et au vote solennel de l’Assemblée nationale ce mardi soir 13 décembre. En conscience, j’ai décidé de ne pas le voter. Je ne conteste aucunement la réalité de la menace terroriste, invoquée pour maintenir l’état d’urgence. J’estime néanmoins que c’est dans le cadre du droit commun que les périls doivent, sur la longueur, pouvoir efficacement se combattre. Le droit commun peut être amendé au cas où l’évolution de la menace à l’égard de notre pays l’exigerait. Il l’a d’ailleurs été puisque pas moins de 4 lois anti-terroristes ont été votées au cours des deux années écoulées. A l’inverse, l’état d’urgence est un état de crise, qui conduit à suspendre certaines garanties ou libertés. Il ne peut supplanter le droit commun par prorogations successives. Si ce projet de loi était voté par le Parlement, il s’agirait de la 5ème prorogation depuis le décret initial du 14 novembre 2015.
L’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme permet à la France de recourir à un régime d’exception, c’est-à-dire de déroger à ses obligations au titre de la Convention « en cas de guerre ou d’autre danger public menaçant la vie de la Nation ». Il n’est pas sain, même si l’article 15 de la Convention ou la loi de 1955 n’en font pas mention, qu’aucune limite dans le temps ne soit fixée pour l’application d’un tel régime. Il est question ici de restrictions à la liberté de circulation et au respect de la vie privée et familiale, libertés parmi les plus fondamentales. C’est à l’initiative du juge judiciaire qu’une perquisition ou une assignation à résidence doit pouvoir être décidée, pas du préfet. Il n’est pas acceptable au regard des principes d’Etat de droit d’assigner à résidence des personnes pour une durée indéfinie. Le rapport sur l’état d’urgence adopté par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale le 6 décembre indique que sur les 434 personnes assignées à résidence depuis le 14 novembre 2015, 47 le sont depuis plus d’un an.
Les rapports parlementaires successifs sur l’état d’urgence ont mis en lumière l’utilisation de mesures d’exception hors de la lutte anti-terroriste. Ce fut le cas avec les assignations à résidence de militants écologistes durant la COP 21 ou l’interdiction faite à des personnes de prendre part à des manifestations contre la loi El Khomry au printemps dernier. C’est ce débordement du cadre anti-terroriste à l’origine du déclenchement de l’état d’urgence vers d’autres dossiers qui en fait un risque pour la démocratie. C’est une question de liberté, ce peut être une question de cohésion sociale aussi. Le 9 novembre dernier, l’Etat a été condamné par la Cour de cassation pour des contrôles au faciès. Alors qu’il faudrait tirer tous les enseignements de cette jurisprudence, je ne suis pas certain que la prorogation de l’état d’urgence conduise à une solution utile. La prorogation de l’état d’urgence n’est pas la solution. Il n’y a pas en France trop de droits et libertés, mais un Etat de droit à adapter dans le respect de garanties juridictionnelles effectives.
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