Le rideau est tombé sur la XIVème législature mercredi en fin de journée. Sauf improbable session extraordinaire, nous ne retrouverons plus l’Hémicycle. Il y avait comme un mélange de nostalgie et d’émotion à vivre ces derniers instants, symbolisés par la toute dernière question au gouvernement, posée, la gorge un peu nouée, par Catherine Beaubatie, députée de la Haute-Vienne. Nous avons siégé tant d’heures dans l’Hémicycle, au point parfois d’avoir comme l’impression d’y habiter. Je me souviendrai longtemps de ces 11 jours et 11 nuits de débats non-stop pour la première lecture du mariage pour tous, au cœur de l’hiver 2013. Nous étions en séance jusque 3 ou 4 heures du matin, puis réapparaissions pour la reprise à 9 heures 30, chaque jour un peu plus entamés. Une nuit, cuit de fatigue, je m’étais assoupi à mon banc et le collègue qui parlait, le remarquant, m’avait souhaité un sommeil apaisant. Ouvrant les yeux en sursaut, j’avais vu, braqués sur moi, tous les regards amusés des députés en séance…
Mercredi, j’ai caressé une dernière fois le velours rouge du fauteuil 377, ma place tout au long de ces 5 années. Au centre et en haut de l’Hémicycle, loin des caméras. J’ai embrassé (contre le règlement de l’Assemblée, qui interdit les démonstrations d’affection en séance…) mes voisines et voisins de bancs, promettant que nous nous reverrions, au-delà des fortunes ou infortunes électorales ou de la retraite que certains ont choisi de prendre. Et j’ai quitté l’Hémicycle ému, autant que je l’étais lorsque j’y étais entré la toute première fois le jeudi 21 juin 2012, fraîchement élu, bouleversé de me retrouver dans cet espace solennel où s’écrit depuis deux siècles l’histoire de la France. Je ne me suis jamais lassé d’y siéger, imaginant jusqu’au bout avec le même frisson d’émotion ce que furent les discours à la tribune des héros de mon Panthéon personnel : Jean Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendes France ou François Mitterrand. L’Hémicycle est mythique et c’est un immense honneur que d’y avoir agi, parlé et bataillé comme parlementaire de la République.
Une législature, c’est finalement une aventure humaine, avec ses moments heureux et ses peines aussi. Dans l’aventure humaine, il y a les gens que l’on rencontre, qui se révèlent. Et il y a quelques belles déceptions également. Ainsi va la vie. Je crois volontiers à la confiance et à l’amitié, choses pourtant assez peu politiques, au risque peut-être de naïveté. La complicité de débats partagés les construit. Dans un groupe parlementaire bien sûr, mais aussi au dehors. Je me suis fait des amis dans l’opposition. Cela n’a pas toujours été compris. Je me souviens de l’intervention en séance l’an passé d’un collègue de droite, choqué que je fus couvert d’insultes par ses propres amis durant un discours à la tribune en défense des droits des enfants nés de GPA à l’étranger. Nous n’avions pas, lui et moi, la même position du tout, mais le respect l’un pour l’autre s’imposait. Cela m’avait touché. La vérité de l’Hémicycle, ou tout du moins ma vérité à moi, au-delà du théâtre, du jeu de rôle et des colères surjouées, c’est cela : la dignité, l’écoute et le respect, toujours.
Quels souvenirs garderai-je de ces moments ? Sans doute celui d’être entré dans l’Hémicycle un matin à 9 heures 30 et d’en être sorti le lendemain à 7 heures 45, un peu « azimuthé » par plus de 20 heures de débats. Cela valait le coup : c’était le dernier jour et la dernière nuit du mariage pour tous. Cette même nuit où des collègues épuisés en étaient venus aux mains en séance… Je me revois aussi monter à la tribune, avec une belle cravate verte, ému, pensant intensément à mes enfants, pour prononcer mon discours de rapporteur de la ratification de l’accord de Paris sur le climat. Ou improviser à la même tribune un an plus tôt une défense quelque peu survoltée de la Cour européenne des droits de l’homme sous des quolibets que le Journal officiel des débats aura sûrement oublié. Je n’oublie pas non plus la colère et l’humiliation ressenties lorsque le président de ma commission, en début de législature, m’informa à mon banc de l’opposition du gouvernement à ce que je rapporte un projet de loi en raison d’une liberté de pensée et d’action jugée excessive…
Cette législature aura été marquée par des drames. L’horreur des attaques terroristes tout au long de l’année 2015 restera. J’étais à l’Assemblée lors de l’attaque contre Charlie Hebdo le 7 janvier. Nous étions sous le choc et errions dans les couloirs, hébétés, à la recherche d’informations. L’émotion était immense. Les forces de l’ordre prenaient position autour du Palais. Quelques jours plus tard, le discours de Manuel Valls et la Marseillaise entamée a capella par Serge Grouard, député du Loiret, nous avaient bouleversés. Comme une révolte, le meilleur de la France. Je n’oublierai jamais ce moment. Pas plus que je n’oublierai la séance du Congrès du Parlement à Versailles au lendemain des attaques de novembre. Rassemblés dans cet Hémicycle d’un temps passé, face au monde, pour défendre nos valeurs, nos libertés, notre art de vivre, pour rendre hommage aux victimes de cette folie. En ces jours de janvier et novembre 2015, j’ai ressenti comme jamais la force et la grandeur de la République. Et sa fragilité aussi.
Chaque jour, le lien avec la circonscription m’a permis d’avancer, d’enregistrer des progrès, de résoudre des difficultés et de changer, je crois, le quotidien de compatriotes. La circonscription, c’est la vraie vie. C’est à elle que l’on se doit. Une législature, ce sont des mails par dizaine de milliers. Et des kilomètres parcourus aussi par dizaines de milliers. Ne jamais renoncer, toujours se battre. Les victoires, petites et grandes, se construisent sur la durée, dans la résilience, dans la patience, à force de volonté. Un sourire symbolisera dans ma mémoire ces victoires conquises ou arrachées : celle d’un petit garçon pour lequel, à force de courriers, mails et appels, j’étais parvenu à obtenir le visa si longtemps espéré pour qu’il rejoigne en France sa famille adoptive. Il avait alors 2 ans. Toute sa vie changeait, celle d’une famille sans enfant aussi. Son bonheur et celui de sa maman m’avaient touché. Cela valait tout l’or du monde. Il était venu me dire merci à l’Assemblée. Je n’avais pas les yeux secs en lui offrant la mascotte des députés, un chien en peluche … bleu-blanc-rouge.
Voilà, c’est fini. J’ai aimé ces 5 années, intensément. Il reste tant à faire. Place désormais à la glorieuse incertitude du suffrage universel. Je vais me battre et, comme dit Arnold S., acteur devenu politique, dans un film et une phrase culte : « I will be back ».
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