L’actualité de ce début de semaine a éclipsé pour une large part malheureusement la présentation du rapport de Niels Muiznieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, consécutif à sa visite officielle en France les 22-26 septembre derniers. Ce rapport très précis et incisif (lire ici) est consacré à l’intolérance et au racisme ainsi qu’aux droits des migrants, des gens du voyage, des Roms et des personnes handicapées. Le Commissaire aux droits de l’homme est une institution indépendante au sein du Conseil de l’Europe, créée en 1999. Sa mission est de promouvoir la prise de conscience et le respect des droits de l’homme dans les 47 Etats membres. Elle est aussi de déceler d’éventuelles insuffisances dans le droit et la pratique des Etats membres et de faire en retour des recommandations. Depuis mon arrivée à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), je suis de près les travaux du Commissaire Nils Muiznieks, ancien membre letton de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, que j’ai rejointe au titre de l’APCE en ce début d’année. Je reconnais au Commissaire aux droits de l’homme une réelle magistrature d’influence, très précieuse sur ces questions qui relèvent autant de la conviction que d’une culture de consensus.
Sur l’intolérance, le racisme et la résurgence de l’extrémisme en France, le Commissaire Muiznieks souligne à raison la solidité du cadre juridique et institutionnel de lutte contre les discriminations dans notre pays, mais pointe également des développements inquiétants qu’il est important de prendre à bras le corps. Parmi ceux-ci se trouve l’augmentation des actes et discours xénophobes, antisémites, islamophobes et homophobes. Les discours de haine se multiplient, libérés par les propos de certains responsables politiques qui en ont fait leur fonds de commerce. Or trop de ces discours et actes ne donnent lieu à aucune plainte ni poursuites et les moyens alloués à leur prévention sont notoirement insuffisants. Comment en effet porter la parole de tolérance et d’ouverture à l’autre dans les écoles lorsque manquent cruellement les budgets ? Le Commissaire recommande, entre autres, que la France mette en place un plan d’action sur les droits de l’homme qui fasse place à la lutte contre le racisme et l’intolérance. Il invite également notre pays à clarifier les qualifications pénales en matière d’infractions racistes et à ratifier le Protocole n°12 de la Convention européenne des droits de l’homme sur l’interdiction générale de la discrimination.
Concernant l’asile et l’immigration, les points positifs sont le projet de généralisation des centres d’accueil, la facilitation de l’accès à la procédure d’asile, la réduction des placements de familles en rétention administrative et la mise en place d’un protocole d’évaluation des besoins des mineurs isolés étrangers. Cependant, des préoccupations sont soulignées, tenant notamment à la complexité du cadre législatif relatif aux migrants, aux insuffisances dans l’accueil des demandeurs d’asile, à la persistance de recours non-suspensifs et au report au 5ème jour de rétention administrative du contrôle du juge des libertés. S’y ajoute aussi une mention sur les mauvaises conditions de vie des migrants massés à Calais depuis des mois, que j’avais pu constater de visu à l’occasion d’une mission en novembre 2014. Le Commissaire recommande d’augmenter le nombre de places en centres d’accueil afin d’offrir un accueil digne aux réfugiés et demandeurs d’asile et de renoncer dans l’attente à l’accélération des procédures. Il insiste à raison sur la nécessité de garantir la totale effectivité des recours ouverts aux demandeurs d’asile et aux migrants et d’améliorer l’assistance juridique. Il suggère de rétablir au second jour de rétention la présentation au juge des libertés.
Sur les droits des gens du voyage et des Roms, le Commissaire souligne l’augmentation des aires de stationnement, l’obligation légale faite aux communes de scolariser tous les enfants et, pour les Roms, les mesures visant à anticiper et accompagner les opérations d’évacuation des campements illicites. Il n’en reste pas moins, comme le montre le rapport, que subsistent et prospèrent un fort climat d’antagonisme et un discours de haine tant à l’égard des gens du voyage que des Roms. Les gens du voyage pâtissent de la non-reconnaissance des caravanes comme logement, les privant de fait des prestations sociales relatives au logement. La scolarisation de leurs enfants est toujours difficile en pratique. Les conditions de vie des Roms sont souvent insalubres. Le Commissaire pointe l’accès limité des enfants à l’éducation et des familles à la santé et au logement. Il regrette aussi que les mesures d’accompagnement des opérations d’évacuation de campements illicites soient insuffisamment mises en œuvre, notamment sur le relogement. Ses recommandations reposent prioritairement sur le besoin, par l’éducation, de sensibiliser le public et la jeunesse à l’histoire et à la réalité de la vie des gens du voyage et des Roms. Elles couvrent également la nécessité de mettre fin aux évacuations forcées aussi longtemps que n’existent aucune solution durable de relogement ni évaluation des besoins des enfants. Le Commissaire souligne aussi l’urgence d’améliorer l’accès aux soins, à l’éducation et au marché du travail.
S’agissant des droits des personnes handicapées, le Commissaire met en avant la priorité donnée en France à l’autonomie et à l’inclusion, en particulier grâce à la loi de 2005, le droit à la compensation des conséquences du handicap et l’augmentation du nombre d’enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire. Néanmoins, l’exclusion sociale et la marginalisation restent fortes. Les conditions de prise en charge en France sont inégales, conduisant au déplacement de milliers de personnes handicapées à l’étranger, notamment en Belgique. La formation des enseignants au handicap et le nombre d’assistants de vie scolaire ne progressent pas suffisamment. 20 000 enfants handicapés seraient encore sans solution de scolarisation, en particulier les enfants autistes. Enfin, l’accès à l’emploi et les inégalités salariales demeurent une réelle barrière. Les recommandations du Commissaire couvrent le renforcement de la scolarisation, en particulier pour les enfants autistes, l’investissement à consentir pour la formation des enseignants et le recrutement des auxiliaires de vie scolaire ainsi que le travail à mener pour permettre l’accès effectif des handicapés à l’emploi. Le Commissaire indique aussi qu’il considère le placement en structure fermée comme une privation de liberté requérant un suivi exigeant pour le respect des droits des personnes concernées.
Avec quelques collègues membres de la délégation française à l’APCE, j’ai pu rencontrer hier soir le Commissaire Muiznieks, qui achevait une visite d’une journée à Paris pour présenter son rapport. J’ai attiré son attention sur le défi, difficilement surmontable, qu’il y a à obtenir des résultats contre le discours de haine si la réalité est l’absence totale de moyens à cette fin. Par coïncidence, j’avais reçu dans la journée le référent avec qui je travaille au sein de l’Alliance parlementaire contre la haine, où je représente l’Assemblée nationale, et nous avions pu mesurer combien l’impact de notre travail souffrirait du manque de budget. J’ai informé le Commissaire que je préparerai pour le printemps un colloque à l’Assemblée nationale visant à rassembler les acteurs jeunesse français actifs dans la prévention des discours et actes de haine. J’ai également porté à l’attention du Commissaire les exemples concrets d’injustices pour l’accès à l’emploi des personnes handicapées en raison de l’absence d’une reconnaissance mutuelle de l’évaluation du handicap en Europe. Je lui ai parlé aussi de la situation des enfants français scolarisés dans les établissements de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEF), privés d’une prise en charge par la collectivité publique de leur auxiliaire de vie scolaire.
Avec le congé parlementaire la semaine prochaine et les développements de l’actualité, je crains qu’il ne soit difficile d’interroger le gouvernement français sur les conclusions du rapport du Commissaire Muiznieks. Je le regrette beaucoup. J’en ferai cependant la demande. Comme je suivrai en séance à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe le 22 avril la présentation de son rapport annuel par le Commissaire et me suis d’ores et déjà inscrit comme intervenant dans le débat qui suivra.
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