Eprouvante semaine politique, qui aura vu partir Christiane Taubira et une nouvelle mouture du projet de loi constitutionnelle être présentée devant la Commission des Lois de l’Assemblée nationale. Je regretterai profondément Christiane Taubira, dont le courage, la cohérence et la fidélité m’ont touché au long des quelque 4 années écoulées. Elle s’en est allée sur un désaccord majeur, a-t-elle dit. Je le comprends. Nous sommes nombreux, je crois, à le partager. Toute la semaine à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, nombre de collègues, élus d’autres pays et souvent aussi d’autres familles politiques que la mienne, sont venus me dire leur incompréhension face à ce débat français sur la déchéance de nationalité. Peut-on croire encore en vous, en votre message, en votre combat historique pour les droits et libertés ? Vous êtes le parti de Badinter, non ? Cela a tant résonné en moi que j’ai quitté Strasbourg jeudi soir quelque peu cassé moralement. Car oui, je ne comprends pas que nous nous retrouvions dans pareille situation, contraints d’accepter des idées que nous combattions ensemble il y a quelques mois encore, a fortiori lorsque chacun reconnaît que la déchéance de nationalité n’aura aucun effet dissuasif sur le passage à l’acte des criminels terroristes.
La nouvelle mouture de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle fait disparaître la mention initiale des binationaux. J’en suis heureux. Comme je suis heureux aussi que le Premier ministre ait annoncé que la France ratifierait la convention internationale de 1961, sur laquelle figure sa signature, qui interdit de créer des apatrides. Mais de ce cumul de deux bonnes nouvelles en résulte de facto une mauvaise : si la déchéance de nationalité vise tous les Français et qu’il devient impossible en droit de créer des apatrides, c’est donc bien toujours de la déchéance des seuls binationaux dont il est question, à ceci près que la référence à la binationalité n’apparaîtrait plus dans la Constitution. Je ne peux l’accepter. Je ne peux soutenir un processus qui en arriverait d’une autre manière à singulariser les binationaux, introduisant ainsi une rupture au sein du peuple français que j’estime profondément contraire au principe d’égalité. Plus généralement, ce débat qui traine depuis décembre a ouvert une terrible boîte de Pandore, libérant une hostilité à la binationalité que j’aurais voulu imaginer n’entendre que dans les milieux de la droite extrême. Mes trois jeunes enfants binationaux ne seront jamais moins Français que le mononational que je suis. Soutenir la déchéance de nationalité, ce serait voter contre eux.
Voilà pourquoi je reste opposé à la révision constitutionnelle, pour les raisons décrites dans mes posts du 4 décembre (lire ici) et du 11 janvier (lire ici). C’est pour moi une question de conscience. Je respecte les opinions divergentes de la mienne, mais n’entends pas accepter de leçon sur ma supposée mansuétude à l’égard des terroristes, ma possible naïveté personnelle ou mon défaut de solidarité avec le gouvernement. Se battre pour l’Etat de droit et des principes n’est pas le révélateur d’une faiblesse d’esprit ou d’une quelconque culture de l’excuse, bien au contraire. Je veux combattre les terroristes par tous les moyens du droit, mû par une seule exigence : l’efficacité dans l’action. Pour cette raison, je déposerai et défendrai plusieurs amendements lors du débat à l’Assemblée nationale qui s’ouvrira en fin de semaine. Ils viseront à supprimer la déchéance de nationalité et à la remplacer par une indignité nationale, à introduire le principe du contrôle du juge judiciaire dans le cadre de l’état d’urgence et à ajouter un titre à la Constitution obligeant à un suivi régulier de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Les trois amendements que je porterai sont annexés à ce post.
(illustration : Libération)
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