Les propos de François Baroin hier après-midi à l’Assemblée Nationale qualifiant d’effraction la victoire de la gauche en 1997 ne sont ni anecdotiques, ni fortuits. Le Ministre de l’Economie et des Finances n’était pas épuisé au point de perdre le sens des mots, lui qui d’ordinaire les manie si bien. Cette expression, réitérée au cours de son intervention, représente la conviction, aussi choquante soit-elle, que la droite possède par nature le pouvoir et que tout exercice de celui-ci par la gauche est nécessairement contre l’ordre des choses. Nous serions, femmes et hommes de gauche, illégitimes à exercer les responsabilités de l’Etat, même si c’est dans les urnes que nous en gagnons le droit.
Cela fait froid dans le dos à un âge où l’on voudrait imaginer que la démocratie soit apaisée et que le langage et plus encore les pratiques de sectarisme et de quasi-guerre civile appartiennent à un passé lointain et révolu. Ce n’est pas le Parti Socialiste, l’opposition ou même la représentation nationale que François Baroin a insulté hier, c’est le peuple français. Ce peuple souverain qui, au cours de son histoire, a fait le choix du mouvement et de l’audace contre le conservatisme et l’injustice. Ni Blum, ni Mendes France, ni Mitterrand, ni Jospin n’étaient illégitimes. Ils étaient entrés à Matignon ou à l’Elysée, non en forçant la porte des palais nationaux une nuit au pied de biche, mais par la décision du peuple français.
Parce que le pouvoir aurait ainsi été conquis « par effraction », faut-il aussi considérer illégitimes les conquêtes sociales au cœur de l’œuvre de la gauche, des congés payés de 1936 à la réduction du temps de travail de 1997 ? Lorsqu’on entend le Président de la République se défouler au G20 contre la décision de François Mitterrand en 1981 de réduire à 60 ans l’âge du départ à la retraite, c’est presque à une tentative de réécriture de l’histoire que l’on assiste. Et c’est insupportable. Faut-il rappeler ce qu’était l’espérance de vie du monde ouvrier à la fin des années 1970 ? La morgue et la haine de la droite aux abois font honte à la démocratie française et à l’idée même de la République.
Hier matin, j’avais longuement échangé avec un ami sur l’héritage de Pierre Mendes France, qui reste pour moi la référence historique, l’homme politique auquel j’attache la rigueur de jugement, l’éthique du pouvoir et le respect absolu de l’adversaire. L’affligeant spectacle donné quelques heures plus tard par François Baroin montre combien nous sommes malheureusement loin désormais de cette hauteur de vue qui, un jour, a pourtant eu cours dans les débats parlementaires français. La médiocrité de certains est consternante. Elle n’est pas une fatalité pour autant. Se battre, projet contre projet, en amont d’une élection est noble. Assurer la charge de la France comme aussi celle de l’opposition l’est tout autant.
Peut-on se sentir représenté comme citoyen par un gouvernement conduit par un homme ou parti pour lequel on n’aurait pas voté ? Je crois que oui car ainsi va (ou devrait aller) la République. Homme de gauche, je me suis senti représenté par le discours de Dominique de Villepin à l’ONU en 2003 ou le discours du Vel d’Hiv de Jacques Chirac en 1995. Et j’espère qu’à droite, nombreux ont été ceux qui ont partagé le même sentiment en écoutant les discours de François Mitterrand à la Knesset en 1982 ou au Bundestag en 1983. Pour se sentir représenté, il faut qu’il y ait respect. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas depuis quelques années. Ce sentiment-là est le ferment de notre communauté nationale. En 2012, nous veillerons à le restaurer.