La « loi travail » a été approuvée hier en première lecture par l’Assemblée nationale. Non à l’issue d’un débat parlementaire classique, qui aurait vu l’examen successif des articles et amendements avant le vote solennel de l’Assemblée sur le texte, mais par le rejet d’une motion de censure, déposée par l’opposition après que le gouvernement eut fait le choix de recourir à l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi sans vote. Je regrette ce recours à l’article 49-3. Il se trouvait certes, bien plus que sur la loi Macron l’an passé, une incertitude quant à l’existence d’une majorité sur tout ou partie du texte, mais l’essence même de la vie parlementaire est de réconcilier les positions dans la recherche d’un compromis qui commandait que, de part et d’autre, un pas soit fait et une majorité assurée. Cela valait bien sûr pour la gauche, mais pour l’opposition aussi. Je ne crois pas en effet que le rejet par principe de projets essentiels pour l’avenir du pays, parce qu’ils seraient « issus du camp d’en face », doive être l’horizon ultime du débat dans l’Hémicycle. Et ce jugement s’applique, pour être juste, aux mandatures passées également.
Je souhaitais voter en faveur de la « loi travail », corrigée par une série d’amendements préparés par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée. Peut-être sera-ce le cas en seconde lecture, lorsque le texte reviendra du Sénat. Sur le fond, je juge ce texte nécessaire pour le marché de l’emploi dans notre pays. J’avais eu l’occasion de l’écrire une première fois sur mon site le 10 mars dernier (voir ici), sans toutefois creuser davantage, faute à ce moment-là de disposer d’un projet de loi dûment approuvé en Conseil des Ministres. A la faveur d’un échange avec le Front de Gauche dans la 7ème circonscription des Français de l’étranger, je l’ai fait ces derniers jours. Vous trouverez en pièce jointe le courrier que m’avait adressé le Front de Gauche le 7 mai et la réponse que je lui ai faite hier 12 mai. Je remercie le Front de Gauche pour cet échange, comme pour sa compréhension à l’égard de ma réponse un peu tardive, liée à la priorité à donner à la finalisation de mon rapport sur le climat. Sur la « loi travail » comme sur bien d’autres projets législatifs, il importe d’écouter les positions des uns et des autres, sans caricature ni posture. L’échange doit être sincère. C’est ce dont la vie publique a besoin.
Comme mes collègues députés, j’ai reçu ces derniers jours de nombreux messages de citoyens m’enjoignant de voter la censure pour rejeter la « loi travail » et renverser le gouvernement. Je ne l’ai pas fait. J’ai répondu individuellement à tous les courriels personnels, expliquant précisément ma position. Une idée revenait régulièrement dans ces messages : celle de pressions ou menaces exercées par la direction du Parti socialiste ou le groupe socialiste à l’Assemblée nationale pour que je ne vote pas la censure. Il n’en a rien été. Je n’ai été contacté par personne, ni au gouvernement, ni au groupe socialiste, ni au PS. J’ai arrêté librement mon choix de vote. J’ai pu connaître des pressions sur d’autres textes, mais pas sur celui-ci. En tout état de cause, depuis 4 ans, j’ai assumé ma liberté de ton et de vote lorsque j’ai rencontré des désaccords majeurs avec le gouvernement, comme sur la loi renseignement, la réforme du collège et la suppression des classes bi-langues, le prélèvement de la CSG et de la CRDS sur les revenus des non-résidents, la reconduction de l’état d’urgence ou bien encore la révision constitutionnelle et la déchéance de nationalité. Mon soutien à la « loi travail » est l’expression d’un parlementaire libre, loin de toute crainte ou calcul. Je me devais de l’expliquer et je reste bien sûr disponible pour en débattre.
Réponse à la lettre ouverte du Front de Gauche de la 7ème circonscription des Français de l’étranger
sur la « loi travail » (12 mai 2016)
Je vous remercie pour la lettre que vous m’avez adressée le 7 mai dernier. J’y réponds bien volontiers. Dans l’intervalle, un évènement majeur est intervenu avec le choix du gouvernement le mardi 10 mai de recourir à l’article 49-3 pour permettre l’adoption de ce projet de loi sans vote, sous réserve du rejet d’une motion de censure déposée par l’opposition et qui sera débattue en fin de journée ce jeudi 12 mai. Je regrette le recours à l’article 49-3. Je pense que pour un texte d’une telle dimension, engageant a fortiori le paritarisme et la démocratie sociale, il aurait fallu que la procédure législative aille au bout, obligeant les parlementaires et le gouvernement à définir les compromis nécessaires permettant de trouver une majorité pour le texte. Je l’écris d’autant plus librement que j’étais favorable au projet de loi et entendais le soutenir en séance, même si je souhaitais aussi que des amendements puissent être adoptés, notamment ceux issus de la Commission des Affaires sociales, où le rapporteur, mon collègue député de Saône-et-Loire Christophe Sirugue, avait accompli un travail remarquable de construction législative.
Comme vous le relevez dans votre lettre, j’avais écrit le 10 mars dernier sur mon site un post recommandant de donner sa chance à la « loi travail » (voir ici). Dans ce post, j’expliquais qu’il m’était difficile de me prononcer de manière définitive sur le fond, la version finale du projet de loi n’ayant pas encore été adoptée en Conseil des Ministres à cette date. Elle l’a été depuis, y compris dans plusieurs versions successives. Je pense ce projet de loi nécessaire. L’économie française ne crée pas suffisamment d’emplois, malgré la politique favorable mise en place depuis 2012 pour reconstituer les marges des entreprises, relancer l’investissement et donc encourager l’emploi. Il faut pouvoir toucher à d’autres paramètres de l’équation et notamment aux règles d’embauche et de licenciement, dont la réelle complexité peut être dissuasive au moment de décider de créer des emplois, a fortiori dans les petites et moyennes entreprises. C’est mon expérience passée dans l’industrie qui me conduit à cette conviction. Sans doute ne serais-je pas parvenu à cette conclusion sans cette expérience. J’en retire par ailleurs un autre enseignement : dans le contexte international de concurrence et d’évolution rapide des métiers, mieux vaut sécuriser le parcours professionnel du salarié sur la longueur de sa carrière que son emploi à un moment précis.
C’est cela qui me conduit à soutenir la flexi-sécurité. En tout état de cause, l’exercice doit être gagnant-gagnant pour l’employeur et le salarié. L’employeur y gagne la souplesse qui peut lui permettre, face à des temps difficiles ou bien au contraire à un surcroit bienvenu de commandes, d’adapter utilement son organisation, le salarié y gagne des droits à la formation tout au long de la vie, repris dans le compte personnel d’activité (CPA) que la « loi travail » souhaite mettre en place. Cette flexi-sécurité manque dans l’économie française. Plusieurs pays, notamment le Danemark et la Suède, ont instauré des mécanismes de flexi-sécurité qui leur ont permis de faire face à l’évolution de la conjoncture économique et ont conféré de nouveaux droits au monde du travail. Ces pays sont considérés comme les plus protecteurs des droits des salariés en Europe et dans le monde. Ils sont également très compétitifs dans leur offre industrielle et de services. Les droits des salariés n’y ont pas été réduits, ils ont évolué vers la sécurisation des parcours professionnels. Le CPA que la « loi travail » propose est, je le crois sincèrement, un très grand progrès social. En vue du débat en séance cette semaine, le groupe socialiste proposait d’ailleurs de multiplier par deux le crédit du compte personnel de formation pour les personnes sans qualification et d’autoriser la mobilisation du CPA pour une formation dans l’un des pays de l’Union européenne.
La « loi travail » a cristallisé les oppositions. Le front syndical s’est déchiré. Je le regrette. De nombreuses erreurs ont été commises dans la présentation du projet de loi. Il existe depuis le début un lourd déficit de pédagogie et d’information autour de ce projet. Au-delà, les différences d’appréciation sont également tangibles et compréhensibles. Je les respecte volontiers. Je voudrais imaginer que nous avancions en France d’ici la fin de la mandature sur la participation. L’idée que tout salarié puisse être intéressé aux résultats de l’entreprise, par le don ou l’achat à prix réduit de parts ou/et un complément de salaire lié aux résultats, est à prolonger. Ce sont des rémunérations différées appréciables, qui associent toute la force de travail au destin de l’entreprise et à son projet. Je l’ai vécu à titre personnel à deux reprises au cours de ma carrière et cette organisation m’a séduit. Je vous rejoins sur l’idée qu’un plafond de rémunération du chef d’entreprise puisse être défini. C’est d’ailleurs l’absence de résultat tangible sur les retraites chapeaux et autres rémunérations indécentes qui m’a conduit à m’opposer au plafonnement des indemnités prudhommales. La loi sur le Betriebsrat, que vous citez, est pour moi une référence en ce qu’elle requiert l’échange constructif qui, malheureusement, n’existe que trop peu encore dans les relations sociales en France.
Le 3 mai dernier, nous avons célébré les 80 ans du Front Populaire. Mon soutien à la « loi travail » est-il une contradiction avec l’héritage de cet épisode glorieux de l’histoire de notre pays et du mouvement syndical ? Je le crois pas. Il s’agit toujours pour nous tous, à gauche, de protéger le salariat et permettre son émancipation. Les droits doivent pouvoir évoluer face à l’évolution des économies et notamment leur ouverture à la concurrence internationale. La flexi-sécurité s’inscrit dans cet héritage. Ma propre histoire militante s’est faite dans la trace d’Edmond Maire, de Michel Rocard et de Jacques Delors. Je crois profondément en l’idée de contrat, de négociations, d’accords d’entreprise et de convention collective plutôt qu’en la seule force de la loi. La démocratie sociale permet d’agir efficacement au plus près des réalités économiques et commerciales. La France a besoin d’une unité syndicale qui lui fait cruellement défaut et conduit de fait à craindre par principe qu’un accord d’entreprise soit défavorable aux salariés. Prenons la « loi travail » comme une incitation puissante à la mobilisation et à l’unité des organisations de salariés. Et regardons les entreprises et leurs dirigeants comme des partenaires, non comme des adversaires. Je suis persuadé que nous pouvons y parvenir.
Pour ces raisons, je soutiens le projet de « loi travail », amendé par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, et ne voterai pas la censure du gouvernement ce jeudi 12 mai.
Bien cordialement,
Pierre-Yves Le Borgn’