Je me suis fait un petit plaisir mardi dernier. J’ai pris une journée de congé et j’ai filé en France voir le Tour. Je jubilais dans l’auto. Ce n’est pas souvent que la Grande Boucle emprunte les tracés des classiques du printemps ! La quatrième étape menait les coureurs tout près d’un lieu mythique de la chose cycliste: la trouée de Wallers-Arenberg, le légendaire secteur pavé de Paris-Roubaix, au cœur du pays minier. Il faisait une chaleur de four. Une galère pour passer les pavés après pas loin de 200 kilomètres sur la selle… Je me suis glissé dans les faubourgs de Wallers, à quatre kilomètres de l’arrivée, adossé à la vitrine d’un magasin de fleurs et peu à peu happé dans une conversation sur le cyclisme avec une dame pas toute jeune, dont la connaissance du sport cycliste m’a littéralement scotché.
Nous avons échangé nos perspectives sur l’état de la course, la tactique des favoris, le passage des pavés et aussi l’avenir du vélo, consultant ensemble mon numéro de l’Equipe pour vérifier le classement général et un peu plus tard les numéros de dossards des coureurs couverts de poussière qui passaient devant nous. Cette passion de la course m’a impressionné. Elle m’a aussi beaucoup ému.
J’avais écrit sur mon blog il y a quelques semaines un article sur le dopage dans le vélo. Quelques amis, surpris, m’ont interrogé sur cette passion pour la petite reine et aussi la rage qu’ils décelaient dans mon expression sur la malhonnêteté de certains milieux, dévoyant un sport formidable, une école de vie et aussi un patrimoine d’exploits que portent en partage des générations d’amoureux du vélo. Oui, je suis sévère et je le revendique.
J’ai sans doute été un amoureux aussi naïf que transi du vélo, me conduisant à tomber de bien haut quand j’ai compris que certaines chevauchées dites fantastiques ne s’étaient pas construites au Perrier. Sur les classiques du printemps, j’aimais en particulier le coureur flamand Johann Museeuw, dont le courage et le panache sur les classiques de printemps me passionnaient. Il avait construit certaines de ses victoires dans la trouée de Wallers-Arenberg. Il y avait aussi laissé une rotule lors d’une année de misère. Découvrant qu’il avait fini sa carrière avec un bon coup d’EPO, je m’étais senti, disons-le avec modération, un peu floué.
La conversation passionnante avec cette dame sur le bord de la route du Tour a renforcé mon sentiment. Ne nous laissons pas voler la légende par une bande d’escrocs. Le vélo a tant à donner, tant à apprendre. J’ai autant, sinon plus finalement, aimé cet après-midi pour ce bonheur partagé que pour le passage des coureurs en l’espace de quelques secondes. Il y avait là, sur ce trottoir de Wallers, toutes les générations, toutes les histoires, tous les milieux. C’est drôle de passer de Rik Van Looy à Roger de Vlaeminck et de Gibert Duclos-Lasalle à Fabian Cancellara. Le mieux, c’est qu’on y parvient tous en raison d’une passion commune. Protégeons cela, nous aussi, les spectateurs, pour vivre et faire aimer d’autres grands moments du sport cycliste dans les années à venir.
Je finis ce petit mot décousu (et je m’en excuse) pour dire combien j’ai été touché, Nelly, que tu fasses lire mon article sur le dopage à ton père, Jean, qui a tant donné durant des décennies pour faire vivre le cyclisme en Bretagne. J’ai la plus grande admiration pour son engagement, sa volonté et son désintéressement. Je suis certain que nous sommes nombreux, coureurs, anciens coureurs, passionnés tout simplement, à avoir pour lui une discrète mais grande reconnaissance.
Vive le vélo !