Depuis une dizaine de jours, nombre de messages me parviennent de compatriotes inquiets des restrictions des libertés publiques intervenant dans le cadre de l’état d’urgence, voté par le Parlement à la suite des attentats du 13 novembre. Ces messages relaient parfois des informations alarmistes et autres rumeurs infondées, véhiculées sur les réseaux sociaux sans que le contenu n’ait été vérifié et que la source ne soit identifiée. L’expression de telles craintes doit être prise au sérieux. Nous avons tous vécu durement les attaques terroristes dont notre pays a été la cible. Il faut tout faire pour traquer ceux qui nous ont frappés, ainsi que leurs commanditaires et leurs sources de financement. C’est ce que le gouvernement a entrepris résolument. Pour autant, il est important aussi que ces évènements n’entrainent pas un recul durable des libertés publiques. La liberté n’est pas un luxe, dont il faudrait se défaire aujourd’hui, en se reprochant peut-être même d’en avoir trop joui. Au contraire, la liberté est notre art de vivre, la force de notre démocratie. C’est à elle précisément que les terroristes s’en sont pris. C’est elle, plus que jamais, qu’il nous faut protéger.
L’état d’urgence a été prorogé par le législateur pour 3 mois le 20 novembre au regard du péril consécutif aux attentats. Il permet de limiter certaines libertés fondamentales afin de protéger la sécurité des Français. Il s’agit, entre autres, de restrictions à la circulation des personnes ou des véhicules, d’assignations à résidence, d’interdictions de séjour, d’interdiction de réunions, de perquisitions à domicile de jour et de nuit ou bien encore de réquisitions d’armes. L’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît l’état d’urgence. Ainsi, la France, Etat partie à la Convention, a notifié la loi comme elle en avait le devoir au Secrétaire-général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland. C’est dans le cadre de ses engagements au Conseil de l’Europe que les décisions prises par notre pays au titre de l’état d’urgence doivent être appréciées. Le Conseil en assure un suivi, de même – et c’est une chose nouvelle – que le Parlement, puisqu’a été inséré le 20 novembre un nouvel article 4-1 dans la loi de 1955 sur l’état d’urgence, qui fait de la Commission des Lois une autorité de contrôle.
Je souhaite mettre l’accent sur ce contrôle parlementaire afin de bien établir que le pouvoir exécutif ne vit pas sa vie loin des pouvoirs législatifs et judiciaires et que la France ne devient pas un Etat policier, contrairement à ce que j’ai pu lire dans certains mails reçus. Ainsi, la Commission des Lois de l’Assemblée nationale s’est vue reconnaître les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête parlementaires. Deux co-rapporteurs, l’un de la majorité et l’autre de l’opposition, ont été désignés pour assurer la mission de contrôle. Dans ce cadre, ils peuvent se faire communiquer tous les renseignements et documents nécessaires, « sur pièce et sur place », pour reprendre les termes du droit. La Commission leur donnera mandat pour partager les informations qu’ils jugeront utiles de faire connaître. Une communication de synthèse a lieu devant la Commission toutes les 3 semaines. L’objectif est d’évaluer les mesures exceptionnelles mises en œuvre, tant pour leurs bénéfices attendus en termes de sécurité publique que pour le respect des libertés publiques.
Les co-rapporteurs sont destinataires chaque jour d’informations fournies par les Ministères de l’Intérieur et de la Justice. Elles portent notamment sur le suivi des procédures de l’état d’urgence, leurs suites judiciaires, leurs suites administratives et les recours intentés contre elles. En outre, le Défenseur des droits Jacques Toubon a mis à disposition ses 397 délégués territoriaux pour que ceux-ci transmettent toute information utile à la Commission des Lois. Il s’agit en particulier des éventuelles réclamations reçues de citoyens concernés par une mesure prise au titre de l’état d’urgence. La Commission nationale consultative des droits de l’homme a été également sollicitée afin qu’elle sensibilise les associations regroupées en son sein pour faire parvenir aux co-rapporteurs tous les documents et témoignages utiles. Enfin, chaque parlementaire peut faire remonter des observations. Je suis prêt à jouer pleinement ce rôle et me tiens à la disposition en temps réel de tous les citoyens qui souhaiteront me saisir.
La Commission des lois compte également sur le concours d’un réseau de 7 correspondants à l’Inspection générale de la police nationale, à la Direction générale de la sécurité intérieure, à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, auprès du Coordonnateur nationale du renseignement, au Parquet de Paris, auprès du Défenseur des droits et au secrétariat général du Conseil d’Etat. Ces correspondants, désignés par le gouvernement pour les cinq premiers, ont pour tâche de centraliser les informations utiles au travail parlementaire. De ce début décembre à la fin du mois de janvier, les co-rapporteurs conduiront leur travail et en rendront compte régulièrement à la Commission des Lois. A la fin de la période de 3 mois, une audition du Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve sera organisée. Un bilan de l’état d’urgence sera dressé sous la forme d’un rapport, qui sera débattu en Commission et, je l’espère, également en séance lors de l’une des semaines consacrées par l’Assemblée nationale au contrôle parlementaire.
Il m’est apparu important de faire connaître l’ensemble des détails de cette organisation afin d’informer et de rassurer sur ce qu’est le rôle du Parlement dans le suivi de l’état d’urgence. Egalement pour dire ma disponibilité et ma volonté d’étudier tous les témoignages qui pourront m’être adressés. Membre de la Commission des Affaires juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe depuis le début de mon mandat à l’Assemblée nationale, consacrant à ce titre une part de mon temps de député à la protection effective des droits de l’homme en Europe, j’entends exercer la plus grande vigilance sur le respect des libertés publiques en France, a fortiori ces semaines-ci. L’état d’urgence est un passage nécessaire et proportionné pour garantir notre sécurité. Il est aussi par essence un passage limité dans le temps, qui a vocation à prendre fin aussitôt que possible. Sauf si de nouvelles menaces, précises et imminentes, venaient à être identifiées, je ne m’engagerais pas en faveur de sa prorogation au-delà des 3 mois en cours, si tant est que cette éventualité, évoquée dans quelques mails reçus, puisse par ailleurs se dessiner.
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