Il y a quelques jours, j’ai reçu d’un religieux un mail avec le message suivant : « Si vous signez la proposition de loi de demain interdisant les sites Internet pro-vie, vous signez votre entrée dans l’enfer éternel ! ». Cette personne faisait allusion à la proposition de loi du groupe socialiste créant un délit d’entrave numérique à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dont l’Assemblée nationale devait en effet débattre le lendemain. Ce n’est pas la première fois qu’un message menaçant et cependant empreint de religiosité me parvenait. J’en avais reçu quelques-uns durant le débat sur le mariage pour tous, dont un m’avait frappé : il citait la date et le lieu de mon baptême pour me demander si j’en trahirais la promesse en permettant aux personnes de même sexe de convoler. Je l’avais traité avec distance, même si sa dimension très personnelle, voire intime m’avait affecté. Telle n’a pas été ma réaction dans le cas du mail de la semaine passée. Si les flammes de l’enfer, fut-ce éternel, ne me font pas frémir, j’ai peur en revanche pour les jeunes femmes vulnérables et souvent seules qui, naïvement, contactent des sites faussement neutres dont l’ambition, sous couvert d’information, est de les culpabiliser pour éventuellement les conduire hors délai. Derrière cela, il y a une forme indéniable d’abus de faiblesse qui me révolte.
L’entrave numérique existe bien. Elle n’est jamais que la forme contemporaine de l’entrave physique à l’IVG qui se manifestait durant les premières années d’application de la loi Veil, lorsque certains militants s’enchainaient aux grilles des hôpitaux. Le folklore bigot de ces années-là a fait place à la désinformation en ligne, sites rutilants, numéros verts et arguments pseudo-scientifiques à l’appui. Ce sont les conséquences et les dégâts de la désinformation sur les jeunes femmes et leur vie d’après qui justifient à mes yeux la création du délit d’entrave numérique. J’ai participé à une partie des débats dans l’Hémicycle le 1er décembre, écoutant avec attention les arguments de l’opposition. Tous tournaient autour de la violation de la liberté d’expression. Engagé à l’Assemblée nationale et au Conseil de l’Europe sur la protection des droits de l’homme, cette question aurait pu m’ébranler. Tel n’a pas été le cas car la proposition de loi ne remet aucunement en cause l’expression d’opinions hostiles à l’IVG. Ce texte n’est pas liberticide, contrairement à ce qui a pu être affirmé en séance avec véhémence par certains de mes collègues. Ce n’est d’ailleurs pas la désinformation qui est au centre du débat – le mensonge en soi ne peut être interdit dans l’espace public – mais bien les dégâts personnels qu’elle entraîne.
Le juge appréciera. Le juge constitutionnel d’abord, puisque l’opposition, représentée dans l’Hémicycle par les fidèles de la Manif pour Tous, a indiqué qu’elle saisirait le Conseil constitutionnel. Puis le juge des libertés, tout simplement, qui devra déterminer au cas par cas si la restriction à la liberté d’expression motivée par l’impératif de protection des femmes souhaitant avoir recours à l’IVG est fondée ou non. Rien de cela n’est choquant. Au contraire, ce seront des garanties pour tout le monde. Cette proposition de loi arrive tard en fin de mandature. Je le regrette. Je souhaite qu’elle aille au bout de la procédure législative et entre en application rapidement. L’IVG est un droit qu’il faut savoir respecter, tant dans la lettre que l’esprit. Or, une petite musique hostile monte peu à peu, jusque dans notre pays. La primaire de la droite et du centre l’a montré. Certaines interventions à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe m’en donnent une idée aussi. Le combat pour le droit des femmes doit être le combat de tous. Il faut tenir bon. Ce qui menace, c’est le déremboursement de l’IVG par une nouvelle majorité convertie à l’ordre moral ou sa détermination à nier à l’IVG le caractère de droit fondamental. 42 ans après la loi Veil, les débats de ces derniers jours montrent que rien n’est jamais acquis.
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