Siégeant pendant près de dix années à la Commission des Lois de l’Assemblée des Français de l’Etranger, j’ai pris part régulièrement à des débats sur la question des enlèvements internationaux d’enfants. Il s’agit là d’un sujet à tout le moins douloureux, que les élus ont tous peu ou prou rencontré en cours de mandat. Ces drames sont malheureusement plus nombreux que l’on ne pourrait l’imaginer. Que faire lorsqu’une personne enlève un enfant dans un Etat pour le soustraire à la garde de son ex-conjoint ?
La Convention de La Haye du 25 octobre 1980, à laquelle sont parties tous les Etats membres de l’Union européenne, stipule que la règle est le retour automatique et immédiat de l’enfant dans l’Etat de résidence habituel. Sauf si, selon la Convention en son article 13 b, « il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable ».
C’est précisément cette exception que les juges allemands et autrichiens ont interprété très largement durant des années, établissant ainsi une jurisprudence en vertu de laquelle « l’intérêt supérieur de l’enfant » commande qu’il vive en Allemagne ou en Autriche en compagnie de son parent … ravisseur. Peu importe l’enlèvement, peu importe aussi l’irrespect de la décision de la juridiction d’un autre Etat membre sur la garde et le droit de visite.
Un véritable déni de justice, incongru et choquant au cœur de l’espace européen, source de souffrances pour des milliers d’enfants et de parents. Devant l’échec répété des tentatives des chancelleries pour résoudre cette difficulté, seule l’intervention de la Cour de Justice de l’Union européenne, saisie à titre préjudiciel par un juge national courageux, pouvait venir dénouer la situation.
C’est ce qui s’est passé avec l’arrêt Povse contre Alpago, rendu le 1er juillet dernier à Luxembourg. Interrogée par la Cour Suprême d’Autriche (merci à elle !), la Cour de Justice a établi que le seul tribunal compétent en matière de droit de garde et de visite est celui du lieu de résidence habituelle de l’enfant avant son enlèvement, en vertu de la primauté sur la Convention de La Haye du Règlement communautaire n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions judiciaires en matière matrimoniale et de responsabilité parentale.
La Cour de Justice va très loin, en ce qu’elle affirme que les exceptions doivent être réduites au minimum nécessaire et interprétées de manière restrictive. Elle établit en outre que la décision de justice ordonnant le retour de l’enfant peut intervenir même en l’absence d’une décision définitive sur le droit de garde.
Le principe de primauté du droit européen vient ainsi résoudre un lourd et douloureux conflit dans le domaine judiciaire. Il faut s’en féliciter. C’est un progrès considérable. La vigilance reste cependant de mise afin de veiller à ce que l’arrêt de la Cour de Justice soit scrupuleusement observé en Autriche et en Allemagne tant le sujet y a été disputé au cours des années écoulées. Dans ce cadre, la dynamisation du réseau judiciaire civil mis en place dans l’Union européenne est plus que jamais fondamentale.
Il lui manque encore les ressources et moyens susceptibles de réduire et prévenir à terme les conflits de compétence entre tribunaux de divers Etats membres. Ce doit être une cause de mobilisation citoyenne en écho à la proportion croissante d’Européens vivant dans un autre Etat membre que celui dont ils sont les ressortissants.
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