J’ai participé du 26 au 30 janvier à la session d’hiver de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) à Strasbourg. En deux années de présence active à l’APCE, je n’avais jamais vécu une session aussi intense, marquée par des débats et des choix politiques d’une rare importance. Cette session a vu le retour des parlementaires russes, dont les droits de vote avaient été suspendus par l’APCE en avril 2014 pour toute la durée de l’année écoulée. Fallait-il, au regard de la récente et dramatique détérioration de la situation dans le Donbass, du statu quo en Crimée et de la détention sans jugement dans un hôpital psychiatrique de Moscou de la pilote et députée ukrainienne Nadejda Savtchenko, sanctionner à nouveau la délégation russe ? J’inclinais vers ce choix à l’ouverture de la session et je l’ai confirmé par mes votes. L’on ne pouvait en effet, sauf à voir le Conseil de l’Europe, la maison européenne du droit, se coucher par faiblesse politique et y laisser une bonne part de son crédit, accepter que le retour des parlementaires russes qui, faut-il le rappeler, ont voté l’annexion de la Crimée par leur pays, se traduise par business as usual. Mais le vote de sanctions par l’APCE ne risquait-il pas aussi d’entraîner le départ de la délégation russe, rendant ainsi plus difficile le développement de la démocratie parlementaire chère à l’APCE ? Tel était le dilemme posé aux membres de l’APCE.
A l’issue d’un débat passionné de plus de 3 heures dans la soirée du mercredi 28 janvier, l’APCE s’est finalement résolue à sanctionner la délégation russe, la privant jusqu’à la session des 20-24 avril prochain de ses droits de vote et de son droit de représentation dans toutes les instances dirigeantes de l’APCE. En fonction des progrès réalisés et initiatives prises par la Russie d’ici à cette session, les parlementaires russes, interdits par ailleurs de rapports et d’accès aux missions d’observation électorale, pourront retrouver leurs droits de votes et de représentation. C’est à eux et à leur pays de faire montre de volonté et initiatives pour mettre fin au conflit en Ukraine. Le rapport de l’APCE adopté mercredi pointe les responsabilités de la Russie dans l’enchainement des évènements et les atteintes graves et répétés à la souveraineté de l’Ukraine. Je reste malheureusement pessimiste sur la volonté de mes collègues russes de répondre aux attentes de l’APCE. J’ai été frappé par la rhétorique de guerre froide, la violence verbale, la désinformation et le chantage permanent affleurant dans nombre de leurs interventions. Il m’apparait hors de question qu’une assemblée parlementaire puisse travailler durablement dans un tel climat. Si rien n’intervient d’ici à avril, l’APCE devra avoir le courage de voter la mise hors-jeu de la délégation russe pour toute l’année 2015.
L’autre débat chargé d’émotion de cette session d’hiver aura été la réaction aux attaques terroristes de Paris des 7-9 janvier. L’APCE a voté à l’unanimité un très beau rapport préparé par Jacques Legendre, sénateur UMP, condamnant dans les termes les plus vifs ces actes épouvantables et appelant les gouvernements des 47 Etats membres, dans le respect des droits et libertés, à l’offensive contre le terrorisme, le djihadisme, l’antisémitisme et le racisme. Je suis intervenu dans le débat sur le rapport Legendre (voir ici), en défense de la liberté d’expression et du droit d’irrévérence. J’ai insisté aussi sur la lutte sans merci à mener contre l’antisémitisme, dont le développement insidieux est intolérable. Le sujet était d’autant plus lourd que l’APCE avait, comme elle se le devait, tenu à commémorer à l’ouverture de la session le 70ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau. Le soutien de tous les parlementaires aura été pour nous, députés et sénateurs français, d’un grand réconfort. Les discussions, sur le rapport Legendre comme sur celui du député social-démocrate croate Gvozden Flego sur la liberté de la presse, ont fait cependant apparaître des approches différentes, notamment en relation à l’acceptabilité de la caricature et du blasphème. Saisissant l’opportunité du discours du Ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders, président du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, j’avais posé à ce dernier une question orale sur le rôle assigné au Conseil de l’Europe dans la lutte contre le terrorisme (voir ici).
Outre mes interventions sur les attentats de Paris et leurs conséquences, j’ai également pris la parole en séance sur la sortie du Monténégro du processus de suivi de l’APCE (voir ici) et sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne (voir ici).
Il était juste que le Monténégro, en retour des progrès réalisés en matière d’Etat de droit ces dernières année, soit distingué par l’APCE. Des initiatives restent cependant à prendre, notamment sur la lutte contre la corruption, un réel fléau pour l’Etat et la société monténégrine, et sur le respect des droits des minorités, en particulier ceux de la communauté LGBT. Concernant les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, je suis intervenu sur l’avis de la Cour de Justice de l’Union européenne du 18 décembre dernier, qui marque un coup d’arrêt au processus d’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme. J’ai souligné le risque qu’un statu quo conduise à terme à des interprétations divergentes entre les Cours de Luxembourg et de Strasbourg quant à l’interprétation de la Charte des droits fondamentaux en relation aux dispositions correspondantes de la Convention européenne des droits de l’homme. Il ne peut y avoir une Europe à deux vitesses en fonction des géographies ou bien des compétences transférées ou partagées, qui rendent selon les cas la saisine directe de la Cour européenne des droits de l’homme possible ou impossible.
J’ai été nommé à la toute nouvelle Commission mise en place sur la sélection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme. Nous sommes 20 parlementaires au sein de cette Commission, dont la responsabilité en 2015 sera très lourde puisque l’APCE devra élire 15 nouveaux juges. Pour que ce mécanisme d’élection soit imparable et professionnel, la Commission devra, de mon point de vue, pouvoir partager avec tous les membres de l’APCE sa recommandation prioritaire en faveur d’un(e) des 3 candidats proposés à l’élection pour chacun des pays. Cette information n’est à ce stade pas transmise, au risque – malheureusement avéré – de voir l’élection happée par une logique partisane ou gouvernementale. Ainsi, l’élection du juge serbe à l’occasion de cette session aura vu le candidat le moins bien classé par la Commission approcher la majorité absolue au premier tour de scrutin. Une telle situation n’est pas acceptable pour la crédibilité du mécanisme de sélection et celle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui doit être composée des plus brillants juristes. Plusieurs sessions de travail sont prévues entre membres de la Commission durant l’année pour préparer les meilleures sélections possibles, mais ce travail n’aura de sens que si l’Assemblée et les Etats membres consentent en parallèle à changer certaines règles afin d’écarter tout risque d’instrumentalisation ou de politisation de l’élection des juges.
J’ai été désigné pour représenter l’APCE au sein de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI). J’ai la plus grande admiration depuis de longues années pour le travail de l’ECRI et me sens infiniment honoré que mes collègues aient accepté que je les y représente. L’ECRI accomplit une tâche formidable et par trop méconnue de revue des législations, politiques et mesures administratives de chacun des 47 Etats membres pour combattre le racisme, les discriminations, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance. Elle a le pouvoir également de proposer toute mesure aux autorités des Etats membres et du Conseil de l’Europe pour rendre plus efficace la lutte contre le racisme et l’intolérance. Je me réjouis de prendre part à ses travaux, ce d’autant plus que je siège au titre de l’Assemblée nationale au sein de la toute nouvelle Alliance parlementaire contre la haine. C’est un travail tout à la fois de revue législative, de prospective et de militantisme en faveur des droits de l’homme que cette désignation me permettra de mener. J’ai d’ailleurs pris part hier jeudi 29 janvier au lancement de l’Alliance à l’occasion d’un débat organisé sur le développement de l’antisémitisme. J’ai souligné à cette occasion le rôle crucial de l’éducation et le besoin de nommer formellement les actes antisémites et ceux qui en sont responsables. Je préparerai dans les prochaines semaines une série d’axes d’action en France pour le compte de l’Alliance, reposant, entre autres, sur des auditions publiques que je prévois d’organiser à l’Assemblée nationale.
Je poursuis le travail de recherche pour mes rapports sur les réseaux associatifs et d’enseignement à l’étranger des Etats membres (Commission de la culture, de l’éducation et des médias) et sur l’intérêt supérieur de l’enfant dans les conflits transnationaux d’autorité parentale (Commission des affaires juridiques). J’ai rencontré, à l’initiative de l’Ambassadrice de France Joëlle Caballero (que je remercie vivement), Regina Jensdottir, qui dirige la division des droits de l’enfant au Conseil de l’Europe, et le Professeur Christian Mestre, Doyen de Faculté de droit de Strasbourg, dont les travaux sur les droits de l’enfant sont très précieux. Je présenterai le 12 mars devant la Commission de la culture, de l’éducation et des médias un premier schéma de mon rapport et procéderai, avec la Commission, à l’audition du Président de la confédération Les Européens dans le Monde, Niels Thogersen. Pour le compte de la Sous-Commission des droits de l’homme, je préparerai une note sur la loi française relative à la protection des donneurs d’alertes dans les lieux de privation de liberté. Avec plusieurs membres de la délégation française à l’APCE, je rencontrerai le 17 février Adeline Hazan, récemment désignée Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
Voilà le bilan d’une semaine intense, passionnante et un peu harassante aussi. Une semaine que la belle humanité du Président irlandais Michael Higgins, en visite au Conseil de l’Europe, aura réussi à éclairer et marquer par une adresse pleine de fougue, d’idéal et d’encouragements dans l’Hémicycle. A Paris comme à Strasbourg, je prends plaisir à porter comme parlementaire ces travaux sur l’Etat de droit, nourrissant mes interventions et écrits de mon expérience en circonscription. J’aime cette Europe des droits, de la culture et de l’éducation, que l’on oublie souvent, peut-être parce qu’elle n’a pas d’immenses budgets. C’est pourtant elle qui, au quotidien, a changé la vie de générations d’Européens depuis 1949 et qui doit, plus que jamais, continuer de le faire.
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