Avant mon élection à l’Assemblée nationale en juin 2012, je ne connaissais pas l’Albanie. Je n’avais jamais eu l’occasion de m’y rendre. Comme beaucoup, j’avais lu Ismaïl Kadaré, mais ce que je savais de l’Albanie relevait finalement de lourds clichés : un pays prison durant des décennies et une population isolée du monde sous le joug d’Enver Hoxha, dictateur mégalomaniaque et paranoïaque, pratiquant l’autarcie économique, construisant son propre mausolée et truffant le territoire d’un demi-million de bunkers en prévision de l’attaque de nombreux et successifs supposés ennemis. Sur la carte de l’Europe de mon enfance, quand le communisme privait tant de peuples de liberté, l’Albanie m’apparaissait l’Etat le plus lointain et mystérieux. Tout au bout du monde d’alors. Je n’imaginais pas avoir un jour la chance d’y aller.
C’est en janvier 2013 que j’ai fait mon premier déplacement en Albanie, accompagné par Louis Sarrazin, conseiller à l’Assemblée des Français de l’Etranger (AFE), et mon ami Joachim Forget qui, s’il est genevois de vie, est un albanophone et albanophile passionné. De ce déplacement, je garde des souvenirs forts, faits de rencontres fascinantes avec la communauté française, divers responsables politiques albanais et les milieux économiques (lire ici). J’avais visité l’Ecole Française de Tirana avec son fondateur Patrick Pascal. J’avais inauguré la petite bibliothèque de l’Alliance Française de Librazhd, non loin de la frontière macédonienne et, avec ma première réserve parlementaire, j’avais financé l’achat de 5 000 livres en français pour les bibliothèques d’Albanie.
Rencontrant le président de la Chambre de Commerce française en Albanie, Julien Roche, une idée était née : celle d’organiser à Tirana un salon de l’agriculture et de l’agroalimentaire français pour le sud des Balkans. Pourquoi l’agriculture ? Parce qu’elle est un secteur stratégique pour l’économie albanaise et plus largement pour les Etats alentours que sont la Macédoine, le Kosovo, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine. En 2012, l’agriculture représentait 18,3% du PIB albanais et pas moins de 44% des emplois. Pourtant, les sociétés françaises du secteur n’ont pas encore suffisamment investi la région. Au retour d’Albanie, j’étais allé voir Guillaume Garot, le Ministre de l’agroalimentaire. Il avait accordé avec enthousiasme son soutien au projet, lancé dans la foulée par la Chambre avec le soutien actif de l’Ambassadeur de France Christine Moro et ses collaborateurs.
C’est avec Guillaume Garot que je devais me rendre le 24 avril à Tirana. Las, dans l’intervalle est intervenu un remaniement gouvernemental qui a mis fin à son parcours ministériel. Et c’est le sénateur Alain Richard, ancien Ministre et représentant spécial pour la diplomatie économique dans les Balkans qui a fait le voyage. Avec Alain Richard, l’Ambassadeur et le Ministre albanais de l’agriculture Edmond Panariti, nous avons inauguré le salon, où étaient présents plus d’une quarantaine d’exposants. Le Ministre a tenu à saluer l’initiative française. Peu avant dans son bureau, il nous avait dit sa volonté de mettre en place une réforme de la propriété agricole pour augmenter la taille des exploitations et intensifier la production. Ses principales priorités sont le développement du secteur des légumes frais, le soutien à l’élevage traditionnel et l’irrigation.
La coopération bilatérale entre la France et l’Albanie dans le domaine de l’agriculture existe depuis l’avènement de la démocratie au début des années 1990. Elle a reposé dans un premier temps sur la relance des productions avant d’évoluer vers le développement rural. Une table ronde dans le cadre du salon a permis ainsi de présenter le projet « Biodiv Balkans », lancé en 2012 pour l’Albanie, la Macédoine, le Kosovo et le Montenegro, pour promouvoir et protéger la biodiversité et les productions locales des zones montagneuses. Ce projet, d’un montant total de 4 millions d’Euros, est notamment financé par un don de 1,2 million d’Euros de l’AFD. De telles initiatives sont très précieuses, comme l’est également le micro-crédit en zone rurale. Avec Alain Richard, nous sommes passés quelques minutes à l’assemblée générale de l’Union Albanaise de l’Epargne et du Crédit, structure coopérative regroupant aujourd’hui 37 000 familles et née en 1991 sous la forme d’un projet de la Banque mondiale soutenu par le Crédit Mutuel et le Ministère des Affaires étrangères.
Le lien entre la formation universitaire et les professionnels de l’agroalimentaire est essentiel pour l’essor du secteur dans la région des Balkans. Nous nous sommes rendus à l’Université d’Agriculture de Tirana (UBT), où étudient 16 000 étudiants. Face à un amphithéâtre plein, en présence du recteur Fatos Harizaj et des doyens des 5 facultés de l’université, nous avons assisté à la signature d’un accord de coopération entre l’UBT et le groupe Carrefour, représenté par son directeur des opérations Pascal Belkowski. Carrefour emploie plus de 600 personnes en Albanie. Cet accord conduira des cadres du groupe à intervenir à l’UBT dans le cadre de divers modules d’enseignement, mais aussi au personnel de Carrefour d’être formé à l’UBT. Des stages seront proposés aux étudiants de l’UBT dans la grande distribution, qui est le cœur de métier de Carrefour, ainsi que dans les biotechnologies et la sécurité alimentaire.
L’essor du secteur agricole et agroalimentaire en Albanie a besoin d’une perspective européenne claire pour être pérenne. Cela aura été le cœur de nos entretiens avec le Ministre du Développement Economique Arben Ahmetaj et le Président du Parlement Ilir Meta. Tout l’engagement réformiste du gouvernement d’Edi Rama, en fonction depuis septembre 2013, obéit à l’objectif d’obtenir sans tarder le statut d’Etat candidat à l’Union européenne pour pouvoir engager les négociations d’adhésion. Ces dernières années, l’Albanie a fait de gros progrès en matière d’Etat de droit, de réforme de la justice et de lutte contre la corruption. Le gouvernement Rama, confronté à un contexte de réduction de la croissance consécutive à la faiblesse de la demande intérieure et à la crise en Grèce et en Italie, a conclu récemment avec le FMI un accord permettant d’apurer les dettes accumulées par l’Etat envers le secteur privé pour relancer l’économie.
Il reste à l’Albanie du chemin à couvrir, certes, mais le moment est venu de donner crédit au pays de ses premiers résultats. Comme beaucoup, j’attends du Conseil européen du mois de juin qu’il accorde à l’Albanie le statut d’Etat candidat et j’espère que le gouvernement français pèsera en ce sens. Il ne faut pas doucher les espoirs qui se lèvent et contribuent aux réformes nécessaires. Il ne serait pas compréhensible que l’Albanie reste, malgré ses efforts, aux portes de l’Europe lorsque ses voisins serbes et monténégrins ont obtenu le précieux statut. Reste que chacun doit être conscient en Albanie que pareil défi nécessitera une évolution de la culture politique du pays, trop manichéenne et complexe. Le succès de l’aventure européenne pour l’Albanie passera par un minimum de consensus entre majorité et opposition. C’est ce que, entre autres sujets couverts, je me suis permis d’exprimer au cours de ma réunion au Parlement avec mes collègues députés albanais à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe.
Durant ces trois jours en Albanie, j’ai également tenu une réunion publique de compte-rendu de mandat à l’Hôtel de Paris et j’ai rendu visite à l’Ecole Française de Tirana. L’Ecole, qui est hébergée au sein du lycée albanais Victor-Hugo et est homologuée par l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE), compte 33 élèves des classes maternelles à la 4ème. Pour la communauté française d’Albanie, le développement de l’école est essentiel. J’ai redit à la directrice Céline Civet et au président du comité de gestion Patrick Pascal mon engagement à leur côté pour soutenir l’école auprès des autorités de l’Etat à Paris. Je me félicite aussi que, sur le volet économique, le rôle de la Chambre de Commerce, qui doit tant au leadership de son président Julien Roche, présent en Albanie depuis longtemps, ait conduit à la signature d’un accord entre la Chambre et Ubifrance. C’est de cette manière, en privilégiant la valeur ajoutée des professionnels français sur le terrain, que nous gagnerons de nouveaux marchés.
J’ai achevé mon voyage en Albanie par une visite inédite, celle d’une mine de bitume, située à Selenica, dans le sud du pays, et rachetée à l’Etat albanais par Patrick Pascal en 2001. Plus de 120 personnes travaillent sur le site, qui produit des matériaux novateurs pour le revêtement routier. Avec Patrick Pascal et le Premier Conseiller de l’Ambassade de France Didier Guilbert, je suis descendu à 150 mètres sous terre, assistant in situ à l’extraction du minerai avant de découvrir en surface son traitement et la préparation des produits prêts à la livraison vers diverses destinations internationales. J’ai été très impressionné par cette visite et l’aventure de l’investissement industriel de Patrick Pascal. J’ai promis de revenir l’an prochain pour poursuivre l’échange avec la communauté française de ce pays si attachant au cœur des Balkans et de l’Europe.
Je remercie de tout cœur l’Ambassadeur Christine Moro et le Premier Conseiller Didier Guilbert pour la préparation de mon voyage.
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