Les résultats des élections européennes des 23-26 mai 2019 marquent incontestablement un tournant dans l’histoire parlementaire de l’Union européenne, qui peut avoir des conséquences quant aux priorités politiques de l’Union pour la mandature qui s’ouvre (2019-2024) et à ses perspectives financières (2021-2027). Des enseignements peuvent également être tirés du vote en France, qui voit le Rassemblement National devancer de peu la République en Marche dans un contexte d’effondrement du parti Les Républicains, de balkanisation de la gauche et de poussée d’Europe Ecologie Les Verts.
Le Parti Populaire Européen (démocratie-chrétienne / centre-droit) et le Parti Socialiste Européen (social-démocratie / centre-gauche) ont perdu la majorité absolue en sièges au Parlement européen qu’ils détenaient ensemble depuis la première élection au suffrage universel direct en 1979. La somme des députés élus sous les bannières des partis membres du PPE et du PSE sera inférieure de plus de 50 sièges à la majorité absolue de 376 sièges. C’est pour ces deux formations un échec cuisant, même si leurs groupes parlementaires resteront en taille les deux premiers dans l’Hémicycle du Parlement européen.
Les réels vainqueurs de ces élections européennes sont l’ALDE (libéraux) et les Verts. Ces deux formations progressent largement en sièges. La perte de la majorité absolue par le PPE et le PSE leur donne un rôle-pivot inédit non seulement pour la désignation du Président de la Commission européenne, mais surtout pour orienter et construire les compromis législatifs et budgétaires permettant de peser dans l’échange avec le Conseil des Ministres. Tout dépendra pour l’ALDE de sa capacité à intégrer les députés de la République en Marche et à attirer certains députés de centre-gauche. Pour les Verts, l’influence se mesurera à la volonté du groupe parlementaire de substituer une logique de construction à une posture de protestation.
Les forces nationalistes et souverainistes ont enregistré des gains significatifs en sièges. Pour autant, le probable départ des députés britanniques cet automne et l’hostilité de principe des partis nationalistes à l’Union européenne priveront ces groupes d’une réelle influence sur la définition des positions politiques du Parlement européen. En vérité, ces sièges gagnés par les nationalistes sont autant de sièges perdus pour le travail parlementaire. Et la leçon majeure à en retirer, c’est que les pays envoyant un gros contingent de députés nationalistes au Parlement européen y verront leur influence de facto réduite. Ce sera le cas notamment de la France, de l’Italie et de la Pologne.
Le Conseil européen se réunira demain à Bruxelles. Le couple franco-allemand s’y présentera affaibli, tant par ses désaccords des derniers mois que par les résultats électoraux calamiteux de la coalition CDU-SPD au pouvoir à Berlin et en-deçà des espérances de la République en Marche en France. Cela rebat les cartes pour la désignation des successeurs de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne et de Donald Tusk à la présidence du Conseil européen. Il sera dur à la Chancelière Angela Merkel d’imposer le Spitzenkandidat du PPE Manfred Weber à la Commission, tout comme à Emmanuel Macron de lui opposer la candidature de Michel Barnier. Cela rend l’hypothèse d’une désignation de la Commissaire libérale danoise Margrethe Verstager possible.
Ce « mercato » des leaders aura des conséquences sur les priorités des institutions européennes et les perspectives financières de l’Union. La force nouvelle de l’ALDE et des Verts au Parlement européen devrait en particulier orienter de manière plus ambitieuse les priorités de l’Union sur le climat et la transition énergétique. Tant mieux. Cet effet pourrait se mesurer aussi avec des réformes de la politique de la concurrence et de la politique agricole commune. Les résultats des élections et l’équilibre en sièges au Parlement européen conduiront certainement à un ralentissement, voire une pause en matière d’accords de libre-échange.
En France, la première place du Rassemblement National retient l’attention. C’est incontestablement un succès pour lui. Il est prévisible cependant qu’il n’en fera rien. Ses députés comme ceux de la mandature précédente voteront par principe contre les propositions législatives européennes. De fait, la réalité du travail parlementaire des députés français tiendra au mieux sur une cinquantaine de sièges, ce qui réduira immanquablement l’influence de la France au sein du Parlement européen. La faiblesse de la représentation française au sein des groupes parlementaires du PPE (8 sièges) et du PSE (6 sièges) y contribuera également.
La seconde place de la République en Marche est un demi-échec. La volonté pro-européenne du Président Macron n’a pas été partagée au-delà d’un socle honorable de près de 23%. Ce socle est dans l’étiage du résultat du candidat Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle. A bien regarder cependant, la réalité est différente. Il est probable en effet que nombre d’électeurs de François Fillon en 2017 aient voté pour la liste de la République en Marche aux élections européennes (comment expliquer sinon l’effondrement de la liste LR à 8% ?) et qu’une part des électeurs d’Emmanuel Macron d’il y a 2 ans, issus du centre-gauche, ait à l’inverse accordé leurs voix à Europe Ecologie Les Verts, voire à la liste du Parti socialiste et de Place Publique.
Cette évolution ne peut passer inaperçue. Dans la perspective des élections à venir et en particulier de l’élection présidentielle de 2022, le Président de la République doit renouer avec son électorat d’origine. Le danger pour la République en Marche, si elle se coupait durablement du centre-gauche, serait de devenir une version moderne de ce que fut l’UDF dans les années 1980-1990 : une formation politique ancrée au centre-droit, portée par un idéal européen fort, mais peu en phase avec les aspirations du monde du travail et la volonté de transformation écologique et sociale manifestée par la société française. Le Président de la République et la République en Marche seraient contraints par un espace politique trop étroit pour déployer leur action et construire l’avenir.
Elections européennes : le jour d’après
Les résultats des élections européennes des 23-26 mai 2019 marquent incontestablement un tournant dans l’histoire parlementaire de l’Union européenne, qui peut avoir des conséquences quant aux priorités politiques de l’Union pour la mandature qui s’ouvre (2019-2024) et à ses perspectives financières (2021-2027). Des enseignements peuvent également être tirés du vote en France, qui voit le Rassemblement National devancer de peu la République en Marche dans un contexte d’effondrement du parti Les Républicains, de balkanisation de la gauche et de poussée d’Europe Ecologie Les Verts.
Le Parti Populaire Européen (démocratie-chrétienne / centre-droit) et le Parti Socialiste Européen (social-démocratie / centre-gauche) ont perdu la majorité absolue en sièges au Parlement européen qu’ils détenaient ensemble depuis la première élection au suffrage universel direct en 1979. La somme des députés élus sous les bannières des partis membres du PPE et du PSE sera inférieure de plus de 50 sièges à la majorité absolue de 376 sièges. C’est pour ces deux formations un échec cuisant, même si leurs groupes parlementaires resteront en taille les deux premiers dans l’Hémicycle du Parlement européen.
Les réels vainqueurs de ces élections européennes sont l’ALDE (libéraux) et les Verts. Ces deux formations progressent largement en sièges. La perte de la majorité absolue par le PPE et le PSE leur donne un rôle-pivot inédit non seulement pour la désignation du Président de la Commission européenne, mais surtout pour orienter et construire les compromis législatifs et budgétaires permettant de peser dans l’échange avec le Conseil des Ministres. Tout dépendra pour l’ALDE de sa capacité à intégrer les députés de la République en Marche et à attirer certains députés de centre-gauche. Pour les Verts, l’influence se mesurera à la volonté du groupe parlementaire de substituer une logique de construction à une posture de protestation.
Les forces nationalistes et souverainistes ont enregistré des gains significatifs en sièges. Pour autant, le probable départ des députés britanniques cet automne et l’hostilité de principe des partis nationalistes à l’Union européenne priveront ces groupes d’une réelle influence sur la définition des positions politiques du Parlement européen. En vérité, ces sièges gagnés par les nationalistes sont autant de sièges perdus pour le travail parlementaire. Et la leçon majeure à en retirer, c’est que les pays envoyant un gros contingent de députés nationalistes au Parlement européen y verront leur influence de facto réduite. Ce sera le cas notamment de la France, de l’Italie et de la Pologne.
Le Conseil européen se réunira demain à Bruxelles. Le couple franco-allemand s’y présentera affaibli, tant par ses désaccords des derniers mois que par les résultats électoraux calamiteux de la coalition CDU-SPD au pouvoir à Berlin et en-deçà des espérances de la République en Marche en France. Cela rebat les cartes pour la désignation des successeurs de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne et de Donald Tusk à la présidence du Conseil européen. Il sera dur à la Chancelière Angela Merkel d’imposer le Spitzenkandidat du PPE Manfred Weber à la Commission, tout comme à Emmanuel Macron de lui opposer la candidature de Michel Barnier. Cela rend l’hypothèse d’une désignation de la Commissaire libérale danoise Margrethe Verstager possible.
Ce « mercato » des leaders aura des conséquences sur les priorités des institutions européennes et les perspectives financières de l’Union. La force nouvelle de l’ALDE et des Verts au Parlement européen devrait en particulier orienter de manière plus ambitieuse les priorités de l’Union sur le climat et la transition énergétique. Tant mieux. Cet effet pourrait se mesurer aussi avec des réformes de la politique de la concurrence et de la politique agricole commune. Les résultats des élections et l’équilibre en sièges au Parlement européen conduiront certainement à un ralentissement, voire une pause en matière d’accords de libre-échange.
En France, la première place du Rassemblement National retient l’attention. C’est incontestablement un succès pour lui. Il est prévisible cependant qu’il n’en fera rien. Ses députés comme ceux de la mandature précédente voteront par principe contre les propositions législatives européennes. De fait, la réalité du travail parlementaire des députés français tiendra au mieux sur une cinquantaine de sièges, ce qui réduira immanquablement l’influence de la France au sein du Parlement européen. La faiblesse de la représentation française au sein des groupes parlementaires du PPE (8 sièges) et du PSE (6 sièges) y contribuera également.
La seconde place de la République en Marche est un demi-échec. La volonté pro-européenne du Président Macron n’a pas été partagée au-delà d’un socle honorable de près de 23%. Ce socle est dans l’étiage du résultat du candidat Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle. A bien regarder cependant, la réalité est différente. Il est probable en effet que nombre d’électeurs de François Fillon en 2017 aient voté pour la liste de la République en Marche aux élections européennes (comment expliquer sinon l’effondrement de la liste LR à 8% ?) et qu’une part des électeurs d’Emmanuel Macron d’il y a 2 ans, issus du centre-gauche, ait à l’inverse accordé leurs voix à Europe Ecologie Les Verts, voire à la liste du Parti socialiste et de Place Publique.
Cette évolution ne peut passer inaperçue. Dans la perspective des élections à venir et en particulier de l’élection présidentielle de 2022, le Président de la République doit renouer avec son électorat d’origine. Le danger pour la République en Marche, si elle se coupait durablement du centre-gauche, serait de devenir une version moderne de ce que fut l’UDF dans les années 1980-1990 : une formation politique ancrée au centre-droit, portée par un idéal européen fort, mais peu en phase avec les aspirations du monde du travail et la volonté de transformation écologique et sociale manifestée par la société française. Le Président de la République et la République en Marche seraient contraints par un espace politique trop étroit pour déployer leur action et construire l’avenir.