Je suis à Madrid pour quelques jours avec ma famille. Pour faire plaisir à mes fils, nous irons visiter le stade Santiago-Bernabeu. Nous y verrons les trophées, les images et les souvenirs de ce club immense, qu’entraine aujourd’hui Zinedine Zidane. Dans les rues, nous commençons à croiser les supporters de Liverpool et de Tottenham, joyeux et parfois aussi un peu enivrés, qui arrivent d’Angleterre pour la finale demain soir de la Ligue des Champions au Wanda Metropolitano, l’autre grand stade de Madrid, antre de l’Atletico. Cette ambiance de veillée d’armes est belle. Elle me rappelle mes jeunes années. Je suis assez vieux pour me souvenir de la finale perdue par les Verts de Saint-Etienne contre le Bayern à Glasgow et de mes larmes d’enfants. Et de l’épopée de Bastia en Coupe de l’UEFA en 1978, comme des exploits de Sochaux, d’Auxerre ou de Nantes. Curieusement, ma nostalgie embrasse davantage de belles équipes finalement défaites que l’OM et le PSG, les deux seuls clubs français victorieux d’une Coupe d’Europe. Je ne sais trop pourquoi, d’autant que l’OM figure haut dans mon Panthéon. Ou plutôt si, je le sais: j’aime tout simplement la glorieuse incertitude du sport.
Si le foot est une passion, il reste aussi un jeu. L’industrialisation du foot me fait peur. L’arrêt Bosman de la Cour de Justice de l’Union européenne, étendant les principes de libre circulation aux footballeurs professionnels, a changé la face du football. Il ne pouvait juridiquement en être autrement. Mais l’histoire n’a plus jamais été la même depuis. Le football professionnel est devenu un monde de mercenaires. L’amour du maillot n’a plus la même valeur qu’auparavant. Je le regrette. Surtout, des clubs légendaires pour leurs centres de formation et qui occupaient en même temps les premières places des championnats nationaux et parfois aussi celles des Coupes d’Europe ont disparu peu à peu des palmarès. Sochaux et Auxerre végètent dans les bas-fonds de la Ligue 2 française. La concentration des richesses sur quelques championnats nationaux en a dévalorisé bien d’autres. L’Ajax d’Amsterdam, qui a tant apporté au football, est désormais condamné à vivre à l’étroit dans le championnat néerlandais et, sitôt une belle saison achevée, à se voir pomper ses jeunes talents par les budgets sans limites du Barça, du Real ou de Manchester City.
Il y a quelques semaines a filtré l’information selon laquelle la puissante Association européenne des clubs (ECA), qui regroupe les clubs de football européens les plus riches, entendait imposer à l’Union des associations européennes de football (UEFA) une réforme des Coupes d’Europe qui transformerait la Ligue des champions en une ligue européenne fermée. A compter de 2024 serait mise en place une organisation qui verrait les 24 meilleures équipes de la compétition précédente être directement qualifiées pour la saison suivante. Seules 4 places nouvelles seraient concédées à des équipes issues des championnats nationaux, après un système de matches de barrage exténuants. Cette réforme, si elle allait au bout (et si, par conséquent, l’UEFA décidait de ne pas s’y opposer) tuerait ni plus ni moins le football et l’esprit du football. Le fossé actuel entre les clubs deviendrait un abyme par l’accroissement des inégalités de revenus liées à la manne des droits TV. Les grands clubs feraient jouer une équipe A en Ligue des champions et une équipe B dans des championnats nationaux dévalorisés. L’écart sportif entre pays d’Europe, entre ouest et est, deviendrait irrémédiable. Et le foot amateur coulerait en silence, privé d’attention, de considération comme de péréquation.
Tout cela est une folie, une fuite en avant insensée au nom d’un seul impératif: le fric. Voir de belles images et de grands matches à la télévision est certes un privilège, je le reconnais. Mais l’avenir du football, seul sport universel, doit-il se résumer aux tiroirs caisses d’une trentaine de clubs riches et à des millions de téléspectateurs confortablement installés dans leurs canapés à travers l’Europe? Ne doit-il pas être d’abord sur les terrains et autour des terrains de nos villes et villages, en Europe et au-delà, dans une logique d’amour du jeu et d’éducation populaire? Car le plaisir du foot commence par des chaussures à crampons chaussées sur un terrain boueux, avec des copines et des copains. Pas par le premier maillot floqué des noms de Neymar, CR7 ou Messi. Les inégalités revendiquées par les clubs les plus riches vendent de redoutables illusions en plus de vendre du rêve. Il est grand temps pour les fédérations nationales de football de reprendre la main et pour l’UEFA de défendre l’esprit du sport. La Juventus de Turin d’Andrea Agnelli, le Président de l’ECA, existera toujours, même sans cette réforme folle. Le Stade Quimpérois, le club de mon enfance, celui de mes premières chaussures à crampons et de mes premiers maillots (« gwen a du », noir et blanc), lui, n’existe plus. Ne laissons pas le fric tuer le foot. Le football doit rester un sport populaire, pour ceux qui l’aiment, pour ceux qui le pratique.
Le foot, le fric et l’Europe
Je suis à Madrid pour quelques jours avec ma famille. Pour faire plaisir à mes fils, nous irons visiter le stade Santiago-Bernabeu. Nous y verrons les trophées, les images et les souvenirs de ce club immense, qu’entraine aujourd’hui Zinedine Zidane. Dans les rues, nous commençons à croiser les supporters de Liverpool et de Tottenham, joyeux et parfois aussi un peu enivrés, qui arrivent d’Angleterre pour la finale demain soir de la Ligue des Champions au Wanda Metropolitano, l’autre grand stade de Madrid, antre de l’Atletico. Cette ambiance de veillée d’armes est belle. Elle me rappelle mes jeunes années. Je suis assez vieux pour me souvenir de la finale perdue par les Verts de Saint-Etienne contre le Bayern à Glasgow et de mes larmes d’enfants. Et de l’épopée de Bastia en Coupe de l’UEFA en 1978, comme des exploits de Sochaux, d’Auxerre ou de Nantes. Curieusement, ma nostalgie embrasse davantage de belles équipes finalement défaites que l’OM et le PSG, les deux seuls clubs français victorieux d’une Coupe d’Europe. Je ne sais trop pourquoi, d’autant que l’OM figure haut dans mon Panthéon. Ou plutôt si, je le sais: j’aime tout simplement la glorieuse incertitude du sport.
Si le foot est une passion, il reste aussi un jeu. L’industrialisation du foot me fait peur. L’arrêt Bosman de la Cour de Justice de l’Union européenne, étendant les principes de libre circulation aux footballeurs professionnels, a changé la face du football. Il ne pouvait juridiquement en être autrement. Mais l’histoire n’a plus jamais été la même depuis. Le football professionnel est devenu un monde de mercenaires. L’amour du maillot n’a plus la même valeur qu’auparavant. Je le regrette. Surtout, des clubs légendaires pour leurs centres de formation et qui occupaient en même temps les premières places des championnats nationaux et parfois aussi celles des Coupes d’Europe ont disparu peu à peu des palmarès. Sochaux et Auxerre végètent dans les bas-fonds de la Ligue 2 française. La concentration des richesses sur quelques championnats nationaux en a dévalorisé bien d’autres. L’Ajax d’Amsterdam, qui a tant apporté au football, est désormais condamné à vivre à l’étroit dans le championnat néerlandais et, sitôt une belle saison achevée, à se voir pomper ses jeunes talents par les budgets sans limites du Barça, du Real ou de Manchester City.
Il y a quelques semaines a filtré l’information selon laquelle la puissante Association européenne des clubs (ECA), qui regroupe les clubs de football européens les plus riches, entendait imposer à l’Union des associations européennes de football (UEFA) une réforme des Coupes d’Europe qui transformerait la Ligue des champions en une ligue européenne fermée. A compter de 2024 serait mise en place une organisation qui verrait les 24 meilleures équipes de la compétition précédente être directement qualifiées pour la saison suivante. Seules 4 places nouvelles seraient concédées à des équipes issues des championnats nationaux, après un système de matches de barrage exténuants. Cette réforme, si elle allait au bout (et si, par conséquent, l’UEFA décidait de ne pas s’y opposer) tuerait ni plus ni moins le football et l’esprit du football. Le fossé actuel entre les clubs deviendrait un abyme par l’accroissement des inégalités de revenus liées à la manne des droits TV. Les grands clubs feraient jouer une équipe A en Ligue des champions et une équipe B dans des championnats nationaux dévalorisés. L’écart sportif entre pays d’Europe, entre ouest et est, deviendrait irrémédiable. Et le foot amateur coulerait en silence, privé d’attention, de considération comme de péréquation.
Tout cela est une folie, une fuite en avant insensée au nom d’un seul impératif: le fric. Voir de belles images et de grands matches à la télévision est certes un privilège, je le reconnais. Mais l’avenir du football, seul sport universel, doit-il se résumer aux tiroirs caisses d’une trentaine de clubs riches et à des millions de téléspectateurs confortablement installés dans leurs canapés à travers l’Europe? Ne doit-il pas être d’abord sur les terrains et autour des terrains de nos villes et villages, en Europe et au-delà, dans une logique d’amour du jeu et d’éducation populaire? Car le plaisir du foot commence par des chaussures à crampons chaussées sur un terrain boueux, avec des copines et des copains. Pas par le premier maillot floqué des noms de Neymar, CR7 ou Messi. Les inégalités revendiquées par les clubs les plus riches vendent de redoutables illusions en plus de vendre du rêve. Il est grand temps pour les fédérations nationales de football de reprendre la main et pour l’UEFA de défendre l’esprit du sport. La Juventus de Turin d’Andrea Agnelli, le Président de l’ECA, existera toujours, même sans cette réforme folle. Le Stade Quimpérois, le club de mon enfance, celui de mes premières chaussures à crampons et de mes premiers maillots (« gwen a du », noir et blanc), lui, n’existe plus. Ne laissons pas le fric tuer le foot. Le football doit rester un sport populaire, pour ceux qui l’aiment, pour ceux qui le pratique.