Il devait être vers 19 heures 30 ce mardi 16 juillet 2013. J’étais dans la salle Lamartine, au premier sous-sol du 101, rue de l’Université. Une salle fonctionnelle, à la climatisation redoutable en été. Et nous étions en été. Le travail de la commission Cahuzac avançait. Nous auditionnions le Ministre de l’Economie Pierre Moscovici. Il nous restait plusieurs réunions encore avant d’apercevoir, en fin de mois de juillet, des vacances parlementaires très attendues. J’étais inscrit pour poser une question au Ministre, attendant sagement mon tour. Dans la pénombre de la salle, l’écran de mon portable s’alluma soudainement. C’était un court SMS de mon épouse Dolores, qui m’écrivait ceci: «Premières contractions. Nous partons à l’hôpital». Branle-bas de combat! S’ils (Dolores et ses parents) filaient à l’hôpital, je devais derechef prendre le chemin de la Gare du Nord pour rejoindre Bruxelles.
Je griffonnais à la hâte un mot à destination du président de la commission, mon collègue Charles de Courson, expliquant qu’il me fallait partir pour cause de naissance imminente. Je revois encore les yeux ronds de Charles de Courson, découvrant le contenu du message que venait de lui porter l’huissier. Pierre Moscovici achevait son propos. Charles de Courson intervint aussitôt: «Je passe la parole tout de suite pour sa question à notre collègue Pierre-Yves Le Borgn’, qu’un évènement familial va ensuite conduire à nous quitter rapidement». Comme cela, chacun de mes collègues présents apprit que je m’apprêtais à devenir papa. Je posais ma question tant bien que mal, distrait, ému et surtout pressé de m’en aller. Mais il me fallait encore, par correction, écouter la réponse que Pierre Moscovici me ferait. Quelques minutes plus tard, j’étais libre.
Le temps de récupérer ma petite valise dans mon bureau, je remontais à fond la rue de Lille en direction de la station de RER du Musée d’Orsay. J’imaginais, courant aussi vite que possible, ce que la vie serait à quatre. Un petit frère arrivait pour Marcos, qui allait sur ses 2 ans. Las, la station était fermée durant l’été pour cause de travaux. L’angoisse commença à m’envahir. Dans une quarantaine de minutes, le dernier Thalys pour Bruxelles de la journée quitterait Paris. Un taxi passa dans la rue de Lille. Je me mis au milieu de la route pour être sûr qu’il ne me rate pas. Il prit le chemin de la gare du Nord pour tomber, de l’autre côté de la Seine, dans un immense encombrement. C’était l’inauguration de Paris-Plage! Mon angoisse redoubla. Finalement, arrivant à la gare quelques minutes tout juste avant le départ du train, je pus sauter dans le wagon après une dernière course, ventre à terre, sur le quai.
Deux heures après, j’étais à la maternité. Dolores était soulagée que je sois arrivé. Pablo s’annonçait. Nous avions déjà choisi son prénom depuis quelques jours. Son second prénom serait Vonig (petit Yves), pour marquer ses origines bretonnes. Tout était prêt: son pyjama et son bonnet l’attendaient dans la salle d’accouchement. La nuit s’écoula peu à peu. Aux premières heures du jour, le petit bonhomme montra enfin son bout du nez. Un beau bébé de 3,6 kg et 50 cm, à la voix déjà bien affirmée! La maman était fourbue et heureuse. Il restait à présenter Pablo à son frère. La première rencontre eut lieu dans la matinée. Marcos arriva avec ses grands-parents, timide et intrigué. Il ne parlait pas beaucoup encore. «Voici Pablo», lui dit Dolores. Se penchant sur le berceau, Marcos murmura: «Api». Pablo, c’était encore trop dur à prononcer. Et c’est ainsi que Pablo devint Api.
C’était il y a 6 ans aujourd’hui. Pablo (Api) est un petit garçon espiègle et joyeux, qui s’apprête à apprendre à lire. Il fête son anniversaire à La Corogne avec la famille. Après lui est venue Mariana, sa petite sœur, à la fin 2014. Nous avons 3 enfants. Pablo a croisé en mai 2016 la route de Charles de Courson. C’était à la commémoration du centenaire de la bataille de Verdun. J’avais emmené tout le monde avec moi. Charles se trouvait près de nous dans la tribune officielle. J’avais présenté Pablo, lui rappelant la soirée du 16 juillet 2013 dans la salle Lamartine et mon départ précipité. Nous en avions ri. Ce centenaire de Verdun restera un beau souvenir pour Pablo qui, juché sur une chaise à côté de ma collègue députée Chaynesse Khirouni, apparut en gros plan à la télévision, comme un hommage de la première jeunesse aux soldats que nous honorions.
Le temps passe si vite. L’enfance s’écoule, heureuse. Je mesure notre chance. C’est le temps des jeux, le temps du vélo. Enlever les petites roues et s’en aller tout seul, sans peur de tomber, c’était il y a quelques semaines. Et puis il y a le foot. Pablo aime son ballon et il se débrouille bien. Côté tir et conduite de balle, on y est déjà. Il faudra que je lui trouve un club. Pour moi, il reste Api, le petit bonhomme du 17 juillet 2013. Il y a des enfants qui ressemblent sacrément à leur surnom. C’est son cas. C’est quoi, un Api? C’est un garçonnet plein d’énergie et de caractère, qui court partout, qui joue beaucoup et qui est une boule d’affection. Si le foot lui plaît tant et qu’un jour, il endosse un maillot, celui-ci sera certainement floqué «Api» au dos. Ce sera lui. Ce jour-là, vieux papa, je serai dans les tribunes, petites ou grandes, fier comme tout et surtout heureux qu’il soit heureux.
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Les chemins de mon enfance
Voilà une semaine que je suis arrivé en Bretagne. C’est le temps de l’été, mais pas encore celui des vacances. Il me reste des rendez-vous entre Quimper et Brest avant de voir venir le repos dans les premiers jours d’août. J’ai retrouvé la maison de mes parents et la chambre de mes jeunes années. Il y a mes livres, mes souvenirs, mes photos. Il y a aussi Internet en plus. Dans la journée, je cours les réunions et le soir, avant de relire mes notes et d’écrire mes rapports, je file jusqu’à la mer chercher au bord de l’eau, puis dans l’eau la fraicheur, le réconfort et finalement le bonheur des beaux jours. De la plage, je regarde au loin. Comme avant, au-delà de l’archipel des Glénan et de chacune de ses îles. Ces moments-là sont privilégiés. Je crois bien qu’ils me manquaient. Je suis seul à la maison, comme au temps des étés que je passais, jeune journaliste au Télégramme de Brest, des étés passionnants et formateurs, des étés lointains aussi.
J’aime l’été breton, la puissance du ciel et la douceur du vent. J’avais besoin de revivre tout cela. Longtemps, mon monde d’enfant se partagea entre les rivages de Loctudy en juillet et les hauteurs de Quimerc’h en août. En juillet, l’été était neuf, trépidant et joyeux. En août, il devenait mature, tranquille et heureux. A Loctudy, je n’en revenais pas que l’été soit déjà là et je me pinçais presque pour pouvoir y croire. A Quimerc’h, je me réjouissais qu’il dure et j’espérais que le temps s’écoule très doucement. Ces moments avaient pour chacun d’entre eux leurs couleurs et leurs saveurs. J’attendais chaque année de retrouver la blondeur des blés, le bleu profond du ciel et les fleurs vives des champs. J’avais mes petits coins favoris, que je gagnais à vélo. Des virages familiers, des bosquets, des massifs d’hortensias, des bouquets de bruyères, des lieux-dits, une fontaine, une petite chapelle, un coin de plage. C’était les chemins de mon enfance.
Cette semaine, j’ai eu envie de les reprendre, ces chemins. Alors je suis sorti de l’autoroute après mes rendez-vous et j’ai roulé vers mes souvenirs. J’ai garé ma voiture et je suis parti à pied. Heureux, le cœur battant. J’ai retrouvé tant de choses. J’ai marché le long de l’eau, reconnaissant les rochers et les pointes. J’ai gravi les collines et les sentiers où tant s’était écrit. C’est de l’émotion, bien sûr. Est-ce aussi de la nostalgie ? Sans doute un peu, mais c’est avant tout une force. Tous ces chemins, arpentés si longtemps, arpentés dans mon cœur depuis lors, m’ont construit car ils m’inspiraient. Une belle part de moi s’y trouve toujours. Je suis de là. C’est mon histoire. « Etre né quelque part », chantait Maxime Le Forestier. Rien n’est plus juste et vrai. Je me suis empli l’esprit de ces paysages de nouveau familiers, comme si je reprenais au cœur de l’été une conversation jamais vraiment interrompue. Le temps n’a pas de prise sur les chemins de l’enfance.
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