En Andorre, pour la justice constitutionnelle et l’Etat de droit
publié le 13 juillet 2019
J’ai participé hier en Andorre à un colloque organisé par le Tribunal constitutionnel de la Principauté à l’occasion des 60 ans de la Convention européenne des droits de l’homme. Le thème choisi était «Retour vers le passé, analyse du présent, réflexions sur le futur». Je me suis exprimé sur le dialogue institutionnel entre l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et les Parlements nationaux. Ce dialogue m’est cher. Je l’ai pratiqué durant des années comme député français et membre de l’APCE. Son renforcement faisait partie des recommandations que j’avais développées à l’appui de mon rapport à Strasbourg sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en 2017. Devant les participants au colloque, j’ai souligné combien il m’apparait essentiel pour les parlementaires nationaux de s’emparer de la question de la mise en œuvre des arrêts dans leurs pays respectifs.
Pourquoi? Parce que la vie parlementaire est l’expression de la citoyenneté et que la Convention européenne des droits de l’homme autorise 820 millions de citoyens à saisir la Cour pour faire condamner un Etat partie à la Convention en vertu de la primauté des droits de l’individu. L’obligation de mettre en œuvre la jurisprudence des cours internationales ne peut échapper au contrôle attentif du Parlement. Or, la pratique montre malheureusement que, dans certains pays, l’œil attentif des parlementaires n’est pas toujours bienvenu des exécutifs. J’ai pu le vivre en France, notamment sur les droits des enfants nés à l’étranger de gestation pour autrui à la suite des arrêts Mennesson et Labassée de 2014. Cela m’avait conduit à présenter – sans succès – en 2016 une proposition de loi constitutionnelle obligeant le gouvernement à présenter tous les 6 mois au Parlement un rapport sur la mise en œuvre des arrêts, suivi d’un débat.
Pourtant, c’est bien au Parlement que revient la responsabilité de modifier le cadre législatif à la faveur d’un arrêt de la Cour et il doit pouvoir apprécier souverainement les mesures à prendre. Il ne peut être une chambre d’enregistrement. Tout membre de l’APCE doit être un militant de la mise en œuvre des arrêts de la Cour au sein de son Parlement national. Cela requiert de suivre de près les travaux du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à Strasbourg, d’interroger le gouvernement, de mobiliser les autres élus et de rendre compte publiquement des activités entreprises. Car une forme de Realpolitik contraint souvent les questions relatives à la mise en œuvre par les Etats. Dans cette tâche, il faut vouloir assumer une liberté de ton et d’action. Ce n’est pas toujours aisé ni compris des groupes parlementaires car ce combat-là exige de se projeter loin des contingences partisanes et parfois du seul intérêt national.
J’ai beaucoup apprécié l’échange avec les intervenants au colloque, en particulier avec l’ancien Ministre Josep Dalleres Codina, qui fut également Ambassadeur d’Andorre auprès du Conseil de l’Europe. Monsieur Dalleres Coina a souligné le rôle fondateur d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Drozd et Janousek c. France et Espagne) pour la reconnaissance internationale de l’Etat andorran. La Principauté est certes ancienne, mais l’Etat andorran est jeune. Sa Constitution a été adoptée en 1993, ouvrant la voie à l’adhésion du pays à l’ONU. C’est en 1996 qu’il a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme. Comment définir Andorre? Comme un Etat pyrénéen, avec les montagnes mais aussi les traditions juridiques françaises et espagnoles en biens communs. La Constitution andorrane fait une large place au droit international et la Convention européenne des droits de l’homme occupe une position privilégiée dans la jurisprudence du Tribunal constitutionnel.
Cette construction de l’Etat de droit empruntant aux traditions des Etats voisins et au cadre international et européen est hardie et heureuse, d’autant qu’elle s’accomplit dans un temps resserré. 30 ans, c’est court en effet et c’est à ce titre impressionnant. C’est plus qu’une histoire, c’est un laboratoire du droit qu’il faut faire connaître au-delà des montagnes. J’ai rencontré les 4 juges au Tribunal constitutionnel. Deux m’étaient familiers par leurs écrits en France: Dominique Rousseau et Laurence Burgogne-Larsen, éminents professeurs de droit public. Dominique Rousseau est l’actuel Président du Tribunal. Les juges sont nommés pour un mandat de 8 ans: deux d’entre eux le sont par les co-princes (le Président de la République française et l’évêque de Urgel, chefs de l’Etat andorran), deux le sont par le Conseil général (le Parlement de la Principauté). Le Tribunal siège tous les mois, à deux pas du Parlement. Il rend environ 70 arrêts par an.
Au moment où les cours internationales, à commencer par la Cour européenne des droits de l’homme, sont au centre de nombreuses critiques, contestées de toute part jusqu’à être accusées de concourir à la dissolution des identités nationales et à la crise des démocraties, la pratique andorrane de la justice constitutionnelle est un remarquable contre-exemple. Le colloque d’hier a permis de rappeler avec force que l’action législative doit s’inscrire dans le respect scrupuleux de normes supérieures, constitutions et conventions internationales, dont les principes et droits essentiels sont issus de luttes politiques et sociales fondatrices. Il ne peut en être autrement, sauf à accepter que l’arbitraire ait in fine sa place en démocratie. Je ne peux m’y résoudre. Remettre en cause la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour, saper à dessein leur légitimité, c’est mettre en péril nos sociétés et leur avenir.
Au lendemain de ces échanges passionnants, j’en viens finalement à regretter d’avoir attendu si longtemps pour faire une première visite en Andorre. Il y en aura d’autres, assurément. J’essaierai, la prochaine fois, de faire mieux que ma modeste introduction de discours en catalan hier. Obviament, tinc progres per fer! C’était, là aussi, une première pour moi. Merci à Laurence Burgorgue-Larsen de m’avoir invité, merci à Meritxell Tomas et au secrétariat-général du Tribunal constitutionnel pour leur soutien. Et merci aussi à l’Ambassadrice de France Jocelyne Caballero pour son accueil à la fête du 14 juillet, célébrée avec un peu d’avance avec les autorités andorranes et la communauté française. Madame Caballero était l’Ambassadrice, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe avant de prendre ses fonctions en Andorre. J’ai eu plaisir à la retrouver, après nos années de débats passionnés à Strasbourg. Le monde, finalement, est petit et c’est heureux.
En Andorre, pour la justice constitutionnelle et l’Etat de droit
J’ai participé hier en Andorre à un colloque organisé par le Tribunal constitutionnel de la Principauté à l’occasion des 60 ans de la Convention européenne des droits de l’homme. Le thème choisi était «Retour vers le passé, analyse du présent, réflexions sur le futur». Je me suis exprimé sur le dialogue institutionnel entre l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et les Parlements nationaux. Ce dialogue m’est cher. Je l’ai pratiqué durant des années comme député français et membre de l’APCE. Son renforcement faisait partie des recommandations que j’avais développées à l’appui de mon rapport à Strasbourg sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en 2017. Devant les participants au colloque, j’ai souligné combien il m’apparait essentiel pour les parlementaires nationaux de s’emparer de la question de la mise en œuvre des arrêts dans leurs pays respectifs.
Pourquoi? Parce que la vie parlementaire est l’expression de la citoyenneté et que la Convention européenne des droits de l’homme autorise 820 millions de citoyens à saisir la Cour pour faire condamner un Etat partie à la Convention en vertu de la primauté des droits de l’individu. L’obligation de mettre en œuvre la jurisprudence des cours internationales ne peut échapper au contrôle attentif du Parlement. Or, la pratique montre malheureusement que, dans certains pays, l’œil attentif des parlementaires n’est pas toujours bienvenu des exécutifs. J’ai pu le vivre en France, notamment sur les droits des enfants nés à l’étranger de gestation pour autrui à la suite des arrêts Mennesson et Labassée de 2014. Cela m’avait conduit à présenter – sans succès – en 2016 une proposition de loi constitutionnelle obligeant le gouvernement à présenter tous les 6 mois au Parlement un rapport sur la mise en œuvre des arrêts, suivi d’un débat.
Pourtant, c’est bien au Parlement que revient la responsabilité de modifier le cadre législatif à la faveur d’un arrêt de la Cour et il doit pouvoir apprécier souverainement les mesures à prendre. Il ne peut être une chambre d’enregistrement. Tout membre de l’APCE doit être un militant de la mise en œuvre des arrêts de la Cour au sein de son Parlement national. Cela requiert de suivre de près les travaux du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à Strasbourg, d’interroger le gouvernement, de mobiliser les autres élus et de rendre compte publiquement des activités entreprises. Car une forme de Realpolitik contraint souvent les questions relatives à la mise en œuvre par les Etats. Dans cette tâche, il faut vouloir assumer une liberté de ton et d’action. Ce n’est pas toujours aisé ni compris des groupes parlementaires car ce combat-là exige de se projeter loin des contingences partisanes et parfois du seul intérêt national.
J’ai beaucoup apprécié l’échange avec les intervenants au colloque, en particulier avec l’ancien Ministre Josep Dalleres Codina, qui fut également Ambassadeur d’Andorre auprès du Conseil de l’Europe. Monsieur Dalleres Coina a souligné le rôle fondateur d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Drozd et Janousek c. France et Espagne) pour la reconnaissance internationale de l’Etat andorran. La Principauté est certes ancienne, mais l’Etat andorran est jeune. Sa Constitution a été adoptée en 1993, ouvrant la voie à l’adhésion du pays à l’ONU. C’est en 1996 qu’il a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme. Comment définir Andorre? Comme un Etat pyrénéen, avec les montagnes mais aussi les traditions juridiques françaises et espagnoles en biens communs. La Constitution andorrane fait une large place au droit international et la Convention européenne des droits de l’homme occupe une position privilégiée dans la jurisprudence du Tribunal constitutionnel.
Cette construction de l’Etat de droit empruntant aux traditions des Etats voisins et au cadre international et européen est hardie et heureuse, d’autant qu’elle s’accomplit dans un temps resserré. 30 ans, c’est court en effet et c’est à ce titre impressionnant. C’est plus qu’une histoire, c’est un laboratoire du droit qu’il faut faire connaître au-delà des montagnes. J’ai rencontré les 4 juges au Tribunal constitutionnel. Deux m’étaient familiers par leurs écrits en France: Dominique Rousseau et Laurence Burgogne-Larsen, éminents professeurs de droit public. Dominique Rousseau est l’actuel Président du Tribunal. Les juges sont nommés pour un mandat de 8 ans: deux d’entre eux le sont par les co-princes (le Président de la République française et l’évêque de Urgel, chefs de l’Etat andorran), deux le sont par le Conseil général (le Parlement de la Principauté). Le Tribunal siège tous les mois, à deux pas du Parlement. Il rend environ 70 arrêts par an.
Au moment où les cours internationales, à commencer par la Cour européenne des droits de l’homme, sont au centre de nombreuses critiques, contestées de toute part jusqu’à être accusées de concourir à la dissolution des identités nationales et à la crise des démocraties, la pratique andorrane de la justice constitutionnelle est un remarquable contre-exemple. Le colloque d’hier a permis de rappeler avec force que l’action législative doit s’inscrire dans le respect scrupuleux de normes supérieures, constitutions et conventions internationales, dont les principes et droits essentiels sont issus de luttes politiques et sociales fondatrices. Il ne peut en être autrement, sauf à accepter que l’arbitraire ait in fine sa place en démocratie. Je ne peux m’y résoudre. Remettre en cause la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour, saper à dessein leur légitimité, c’est mettre en péril nos sociétés et leur avenir.
Au lendemain de ces échanges passionnants, j’en viens finalement à regretter d’avoir attendu si longtemps pour faire une première visite en Andorre. Il y en aura d’autres, assurément. J’essaierai, la prochaine fois, de faire mieux que ma modeste introduction de discours en catalan hier. Obviament, tinc progres per fer! C’était, là aussi, une première pour moi. Merci à Laurence Burgorgue-Larsen de m’avoir invité, merci à Meritxell Tomas et au secrétariat-général du Tribunal constitutionnel pour leur soutien. Et merci aussi à l’Ambassadrice de France Jocelyne Caballero pour son accueil à la fête du 14 juillet, célébrée avec un peu d’avance avec les autorités andorranes et la communauté française. Madame Caballero était l’Ambassadrice, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe avant de prendre ses fonctions en Andorre. J’ai eu plaisir à la retrouver, après nos années de débats passionnés à Strasbourg. Le monde, finalement, est petit et c’est heureux.