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Immigration : débattre sereinement, agir utilement

©Pixabay

Aujourd’hui s’ouvre à l’Assemblée nationale un débat sur l’immigration. Il fait l’objet de toutes les attentions et, malheureusement, de tous les fantasmes aussi. Comme toujours en effet, lorsqu’il est question d’immigration, les esprits s’échauffent et mille calculs sont prêtés aux uns et aux autres, au point que la posture l’emporte immanquablement sur le fond. Que dire, sinon que c’est profondément regrettable. Il y a besoin en France de parler d’immigration sereinement, loin de toutes les peurs sincères ou subies. Et cela commence par un rappel : notre pays est une terre d’immigration (et l’Europe aussi, d’ailleurs). C’est comme cela, cela ne date pas d’aujourd’hui, d’hier ou d’avant-hier, mais simplement de tout temps. La question migratoire inquiète, chaque enquête d’opinion le montre. A cette inquiétude, il faut vouloir répondre, loin de toute instrumentalisation ou démagogie, par des faits, des chiffres, des perspectives, des convictions, des règles de droit et des principes.

J’aurais aimé être dans l’Hémicycle aujourd’hui pour livrer ma part de vérité. Non qu’elle soit plus importante que d’autres, mais parce que cette question me tient à cœur. Le travail que je conduis sur les diasporas européennes est intimement lié à la question migratoire. Des images de ma vie parlementaire passée m’assaillent aussi. Je me souviens d’une triste fin de jour à Calais à l’automne 2014, sous une pluie fine et pénétrante, face aux centaines de tentes occupées par des hommes et des femmes, mais, en y regardant bien, des nourrissons également. Je me souviens du regard vide et perdu des enfants sur la route des Balkans, à la frontière entre la Macédoine du nord et la Serbie, au début 2016. Et je me souviens, quelques jours après, de la véhémence d’un collègue, ancien Ministre, s’en prenant aux députés allemands dans l’enceinte du Bundestag au motif que la Chancelière n’avait pas fermé sa frontière et qu’elle avait osé dire : « wir schaffen das ».

Le sujet de l’immigration mérite un échange apaisé. C’est peut-être une gageure à ce stade, mais rien n’interdit – et c’est le mérite du débat d’aujourd’hui – de s’y essayer car il le faut. En combattant les slogans rances et parfois contagieux de l’extrême-droite (« la France aux Français », « les immigrés dehors »), en rejetant aussi la fausse naïveté des no borders. Maîtriser les flux migratoires est une responsabilité nécessaire, un devoir, non pas pour être dur, mais bien à l’inverse par souci d’humanité et de justice. Qui peut en effet se satisfaire de ces campements insalubres dans nos grandes villes, où se massent hommes, femmes et enfants dans des conditions d’hygiène et d’indignité qui font honte à la République ? Comment accepter que le droit de séjour soit si mal appliqué et que se multiplient, se pérennisent même, les situations irrégulières, créant le péril pour tant et tant de familles, alimentant l’incompréhension pour une majorité de Français ?

Ce sont autant de questions à soulever, parmi d’autres, sans tabou ni totem. La France devient le premier pays d’Europe pour les demandes d’asile. Certes, mais n’est-ce pas l’un des plus riches et peuplés et le plus vaste aussi ? L’Allocation pour demandeur d’asile et l’Aide médicale d’Etat créent-elles une « attractivité » française ? Peut-être, mais ne sont-elles pas fondées au regard de nos engagements internationaux (protection du droit d’asile) et de ces principes d’humanité dont nous devons être fiers, qui commandent que toute personne, fut-elle en situation irrégulière, doive pouvoir être soignée ? La difficulté n’est-elle pas d’abord la lenteur coupable des instructions ? Pourquoi l’accueil des étrangers se fait-il dans de si piètres conditions, au prix d’un écart béant entre la loi, ses objectifs et la réalité ? Pourquoi ceux qui doivent être protégés le sont-ils en définitive si peu ? Et pourquoi enfin la reconduite de ceux à qui le séjour a été refusé est-elle défaillante ?

Toutes ces questions doivent obtenir réponse. A l’échelle européenne, la réforme des accords de Dublin est urgente, pour éviter la multiplication des demandes d’asile dans plusieurs pays, pour venir en aide aux pays européens riverains de la Méditerranée aussi et ne pas les laisser seuls face à la difficulté comme cela a pu être le cas, reconnaissons-le, en Italie et en Grèce. Il faut être bien plus exigeant que nous ne le sommes avec les pays considérés comme sûrs, dont certains sont d’ailleurs candidats à l’adhésion à l’Union européenne, en leur indiquant qu’entrer dans l’Union européenne ne se fera pas sans résultats sur ce front-là. Il faut combattre les filières d’immigration clandestine, qui prospèrent telles de véritables mafias sur la misère humaine. Il faut renouer le lien avec les ONG, les respecter et les traiter comme les partenaires qu’elles sont. Enfin, il faut penser, construire et mettre en œuvre une politique de développement, de paix et justice avec l’Afrique et le Moyen-Orient.

En ces temps où le droit d’asile est battu en brèche dans le débat public, il faut en rappeler l’intangibilité absolue, la valeur constitutionnelle et oser le défendre sans détour. C’est la meilleure réponse au discours de haine et à la tentation xénophobe. Les périls évoluent et je voudrais imaginer que les conventions internationales sur l’asile s’ouvrent aux réfugiés climatiques. Ce serait l’honneur de la France, dans le droit fil de l’accord de Paris de décembre 2015, de prendre une initiative en ce sens et d’y donner sens dès à présent sur son territoire. Il serait utile aussi d’aborder de front l’organisation des migrations économiques, en lien avec les perspectives de l’économie française et du marché du travail. Enfin, dans le respect des engagements internationaux et européens de la France, la reconduite des personnes à qui le droit de séjour a été refusé doit être organisée et concrètement réalisée, avec un souci de dignité, d’humanité et de fermeté.

Puisse le débat d’aujourd’hui à l’Assemblée nationale être utile et dépasser les clichés et postures. Ce qui se joue est le vivre-ensemble et l’avenir de la société française. Ce débat doit apaiser et rassembler. J’ai la conviction que c’est possible, que la confiance et la sérénité pourront peu à peu l’emporter sur l’émotion et les peurs. Pourquoi ne pas institutionnaliser un débat annuel sur la question migratoire, qui parle d’immigration, d’émigration aussi et, j’y reviens, de diasporas ? Parler, confronter les idées et projets, c’est ce qu’il faut opposer aux populismes, à tous les bateleurs d’estrade et autres messagers de haine plutôt que de les craindre au point de les fuir ou, pire, de laisser infuser de guerre lasse leur rhétorique mortifère dans la société. Assumons ce que nous sommes, un peuple épris de paix et de liberté, respectueux du droit et des droits, conscient et fier que les migrations aient contribué à l’histoire de la France, conscient et fier qu’elles fassent partie aussi de son avenir.