Comme bien d’autres citoyens, je suis à distance les débats parlementaires sur la proposition de loi dite de « sécurité globale », actuellement à l’Assemblée nationale où le vote en première lecture interviendra demain mardi 24 novembre. Le sujet est fort car la demande de protection est réelle dans notre société. Et dans ce cadre, un infini respect est dû aux forces de l’ordre dont l’engagement auprès des Français et pour les Français est plus que jamais déterminant et précieux. Je ne serai jamais de ceux qui les contestent par idéologie ou instruisent à leur égard un quelconque procès d’intention. Protéger, c’est aussi et en effet protéger les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions. Ceci, cependant, doit se faire dans le cadre des droits et libertés consacrés par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. Or, la proposition de loi en cours de discussion soulève de ce point de vue une sincère interrogation. En clair, je ne crois pas qu’il faille créer un nouveau délit dans la loi du 29 juin 1881 sur la liberté de la presse pour protéger les forces de l’ordre.
De quoi s’agit-il ? De punir d’un an de prison et de 45 000 Euros d’amende le fait de diffuser des images d’un policier national ou municipal ou d’un militaire « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ». La rédaction de l’article 24 de la proposition de loi et son esprit aussi me paraissent heurter de front la liberté fondamentale d’informer. Comment en effet caractériser ce « but manifeste », cette intention ? Quelle interprétation lui donner ? C’est sur les actes que l’on sanctionne, pas sur l’intention. Sans méconnaître l’objectif de protection des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, que j’accepte volontiers, il y a là pour moi une rédaction suffisamment imprécise pour que soit constituée une atteinte disproportionnée à la liberté d’informer. En d’autres termes, l’article 24 qui, comme le reste de la proposition de loi n’a pas fait l’objet d’un avis du Conseil d’Etat, encourt le risque de la censure par le Conseil constitutionnel. Ce serait une erreur, dès lors, de l’adopter malgré tout.
Les journalistes ont une éthique professionnelle. Ils travaillent pour informer, le plus librement et complètement possible. Leur engagement est fondamentalement antinomique avec l’intention de nuire apparaissant dans la rédaction de l’article 24, au point que l’on pourrait se dire qu’il ne les concerne pas. C’est d’ailleurs ce que le gouvernement a tenté d’expliquer en modifiant par amendement in extremis la rédaction de l’article 24 avant son adoption par l’Assemblée nationale le 20 novembre. L’expression « sans préjudice du droit d’informer » a en effet été rajoutée. La crainte demeure, cependant, que cet article puisse alimenter, une fois entré en vigueur, des situations ou comportements restrictifs de la liberté de filmer et du travail des journalistes-reporters d’images lors d’interventions des forces de l’ordre. De tels dérapages ont pu déjà ponctuellement se produire, malheureusement. La liberté de filmer doit rester totale. Ce d’autant plus que le droit permet déjà, sans qu’il soit besoin de le modifier, de sanctionner l’utilisation malveillante d’une vidéo.
C’est là précisément que le débat actuel est interpellant. La loi ne peut être bavarde ou source de confusion, volontaire ou pas. Sur ce sujet en particulier, il faut pouvoir légiférer sereinement, clairement et plus que tout utilement. Ou s’en abstenir si ce n’est pas utile. Comment l’obligation de floutage des visages de policiers a-t-elle pu apparaître dans le débat à l’initiative du Ministre de l’Intérieur alors que la proposition de loi et les rapporteurs parlementaires n’en faisaient pas état ? Et pourquoi le Ministre a-t-il souhaité que les journalistes doivent à l’avenir prévenir les autorités à l’avance avant de couvrir des manifestations ? Ce sont des développements et positions qui contreviendraient clairement à la liberté d’informer et qui inquiètent légitimement. L’exercice de l’information dans une société de liberté et de responsabilité ne peut être encadré, coaché ou contrôlé. La presse, sa liberté, son indépendance et son travail doivent être respectés. C’est un contre-pouvoir décisif et précieux dans nos démocraties.
J’aime la presse et les journalistes. J’ai eu la chance de travailler un peu dans un journal au début de ma vie professionnelle. Surtout, les années que j’ai passées à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe m’ont conduit à suivre attentivement la liberté d’information dans les pays où elle est battue en brèche, à échanger avec des journalistes et directeurs de rédaction passionnés, cherchant juste à faire leur métier contre des pouvoirs hostiles ou menaçants. Loin de moi l’idée de suggérer que la France prendrait ce chemin-là, mais il faut néanmoins vouloir rappeler que la liberté de la presse et des médias est fragile partout et qu’elle reste in fine un combat de tous les jours. Quand divers obstacles se dressent sur la route de l’information, le risque est bien souvent celui du renoncement et de l’autocensure, et rien n’est plus préjudiciable. Protéger ne doit pas conduire à rogner une liberté, qu’il s’agisse de protéger les journalistes ou les forces de l’ordre. La sécurité et la liberté ne s’opposent pas, elles doivent progresser ensemble.
Protéger la liberté d’informer
Comme bien d’autres citoyens, je suis à distance les débats parlementaires sur la proposition de loi dite de « sécurité globale », actuellement à l’Assemblée nationale où le vote en première lecture interviendra demain mardi 24 novembre. Le sujet est fort car la demande de protection est réelle dans notre société. Et dans ce cadre, un infini respect est dû aux forces de l’ordre dont l’engagement auprès des Français et pour les Français est plus que jamais déterminant et précieux. Je ne serai jamais de ceux qui les contestent par idéologie ou instruisent à leur égard un quelconque procès d’intention. Protéger, c’est aussi et en effet protéger les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions. Ceci, cependant, doit se faire dans le cadre des droits et libertés consacrés par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. Or, la proposition de loi en cours de discussion soulève de ce point de vue une sincère interrogation. En clair, je ne crois pas qu’il faille créer un nouveau délit dans la loi du 29 juin 1881 sur la liberté de la presse pour protéger les forces de l’ordre.
De quoi s’agit-il ? De punir d’un an de prison et de 45 000 Euros d’amende le fait de diffuser des images d’un policier national ou municipal ou d’un militaire « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ». La rédaction de l’article 24 de la proposition de loi et son esprit aussi me paraissent heurter de front la liberté fondamentale d’informer. Comment en effet caractériser ce « but manifeste », cette intention ? Quelle interprétation lui donner ? C’est sur les actes que l’on sanctionne, pas sur l’intention. Sans méconnaître l’objectif de protection des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, que j’accepte volontiers, il y a là pour moi une rédaction suffisamment imprécise pour que soit constituée une atteinte disproportionnée à la liberté d’informer. En d’autres termes, l’article 24 qui, comme le reste de la proposition de loi n’a pas fait l’objet d’un avis du Conseil d’Etat, encourt le risque de la censure par le Conseil constitutionnel. Ce serait une erreur, dès lors, de l’adopter malgré tout.
Les journalistes ont une éthique professionnelle. Ils travaillent pour informer, le plus librement et complètement possible. Leur engagement est fondamentalement antinomique avec l’intention de nuire apparaissant dans la rédaction de l’article 24, au point que l’on pourrait se dire qu’il ne les concerne pas. C’est d’ailleurs ce que le gouvernement a tenté d’expliquer en modifiant par amendement in extremis la rédaction de l’article 24 avant son adoption par l’Assemblée nationale le 20 novembre. L’expression « sans préjudice du droit d’informer » a en effet été rajoutée. La crainte demeure, cependant, que cet article puisse alimenter, une fois entré en vigueur, des situations ou comportements restrictifs de la liberté de filmer et du travail des journalistes-reporters d’images lors d’interventions des forces de l’ordre. De tels dérapages ont pu déjà ponctuellement se produire, malheureusement. La liberté de filmer doit rester totale. Ce d’autant plus que le droit permet déjà, sans qu’il soit besoin de le modifier, de sanctionner l’utilisation malveillante d’une vidéo.
C’est là précisément que le débat actuel est interpellant. La loi ne peut être bavarde ou source de confusion, volontaire ou pas. Sur ce sujet en particulier, il faut pouvoir légiférer sereinement, clairement et plus que tout utilement. Ou s’en abstenir si ce n’est pas utile. Comment l’obligation de floutage des visages de policiers a-t-elle pu apparaître dans le débat à l’initiative du Ministre de l’Intérieur alors que la proposition de loi et les rapporteurs parlementaires n’en faisaient pas état ? Et pourquoi le Ministre a-t-il souhaité que les journalistes doivent à l’avenir prévenir les autorités à l’avance avant de couvrir des manifestations ? Ce sont des développements et positions qui contreviendraient clairement à la liberté d’informer et qui inquiètent légitimement. L’exercice de l’information dans une société de liberté et de responsabilité ne peut être encadré, coaché ou contrôlé. La presse, sa liberté, son indépendance et son travail doivent être respectés. C’est un contre-pouvoir décisif et précieux dans nos démocraties.
J’aime la presse et les journalistes. J’ai eu la chance de travailler un peu dans un journal au début de ma vie professionnelle. Surtout, les années que j’ai passées à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe m’ont conduit à suivre attentivement la liberté d’information dans les pays où elle est battue en brèche, à échanger avec des journalistes et directeurs de rédaction passionnés, cherchant juste à faire leur métier contre des pouvoirs hostiles ou menaçants. Loin de moi l’idée de suggérer que la France prendrait ce chemin-là, mais il faut néanmoins vouloir rappeler que la liberté de la presse et des médias est fragile partout et qu’elle reste in fine un combat de tous les jours. Quand divers obstacles se dressent sur la route de l’information, le risque est bien souvent celui du renoncement et de l’autocensure, et rien n’est plus préjudiciable. Protéger ne doit pas conduire à rogner une liberté, qu’il s’agisse de protéger les journalistes ou les forces de l’ordre. La sécurité et la liberté ne s’opposent pas, elles doivent progresser ensemble.