Rompre un contrat, c’est toujours moche. Y ajouter le mensonge et la duplicité, c’est encore pire, et a fortiori entre alliés. L’annonce il y a quelques jours par l’Australie de l’abandon du contrat signé en 2019 avec la France sur la vente de 12 sous-marins conventionnels pour une alliance avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni n’est pas seulement une décision commercialement choquante, c’est un camouflet diplomatique d’une grande violence et d’une rare indignité. Cela veut dire que la parole de l’Australie ne vaut rien et que son Premier ministre est un vulgaire menteur. Notre pays a été trompé et abusé. Monsieur Morrison avait été reçu par le Président Emmanuel Macron à Paris en juin dernier. Il n’avait pipé mot. Il y a quelques semaines encore, à la fin août, ses Ministres de la Défense et des Affaires étrangères s’étaient réunis avec leurs homologues français et le programme sous-marin consécutif au contrat de 2019 était à l’agenda des échanges. Eux aussi n’avaient rien dit. Or, l’on sait maintenant que c’est en réalité depuis des mois que le gouvernement australien préparait un partenariat avec les Etats-Unis et les Britanniques, aux termes de laquelle Lockheed Martin fournira des sous-marins désormais nucléaires à la marine australienne. Exit Naval Group, exit la France, exit le « contrat du siècle ».
J’étais encore à l’Assemblée nationale lorsque l’annonce de ce contrat était intervenue. C’était pour notre pays et notre industrie de l’armement une excellente nouvelle. Je m’en étais réjoui. Je savais combien le gouvernement français s’était engagé pour la conquête de cet énorme marché, les investissements et les emplois qu’il y avait derrière cela. Je n’ignore certes rien de la Realpolitik qui existe dans les relations internationales, mais – sans doute vieux jeu – je crois aussi en le respect de la parole donnée et des obligations contractuelles, tout comme au respect que les membres d’une alliance se doivent en toutes circonstances entre eux. Il y a des choses qui ne se font pas. Ce n’est pas simplement l’Australie qui a dupé la France, ce sont aussi et surtout les Etats-Unis. J’avais voulu croire sincèrement que Joe Biden n’offrirait pas seulement un autre visage de son pays, mais aussi une autre politique, attentive à ses alliés et ouverte au multilatéralisme. Il n’en est tristement rien. C’est « America First », à peine ripoliné. Joe Biden a fait le choix d’humilier la France au nom des intérêts américains, assisté d’un Boris Johnson empressé, dont le fumeux slogan de « Global Britain » n’est finalement guère autre chose que d’être à la remorque de Washington par rejet de l’Europe.
Tout cela est bien triste. Peut-on encore parler d’alliance lorsque l’on se comporte de la sorte ? La crise qui secoue la relation franco-américaine depuis ces derniers jours est profonde et inédite. Le Président Emmanuel Macron a eu raison de rappeler nos deux Ambassadeurs aux Etats-Unis et en Australie. La France n’est pas n’importe quel pays. Elle doit être respectée. Ce ne sont pas quelques paroles contrites et dégoulinantes d’hypocrisie qui répareront ce qui a été brisé, à commencer par la confiance. Il y a des dédommagements à obtenir au profit de Naval Group. C’est un contentieux énorme qui s’ouvre dont l’Australie devra payer tout le prix. Et puis il y a l’avenir de la relation transatlantique – en a-t-elle d’ailleurs encore un ? – et in fine la place que l’Europe entend se donner face à l’évolution du monde. Plus que jamais, ce triste épisode souligne pour elle l’urgence de prendre son destin en main. C’est de souveraineté européenne dont il doit être question à Paris, à Berlin, à Bruxelles et ailleurs. Nous n’avons pas à être exclus du jeu par l’affrontement sino-américain dans la zone indo-pacifique. Nous devons nous imposer. L’évolution du monde et ses multiples défis requièrent une Europe puissance, y compris et surtout dans cette zone où tant se joue, pour y défendre nos intérêts et nos idéaux.
Cher Pierre-Yves,
J’ai envoyé une dizaine de messages cet été à la Maison Blanche pour souligner l’absurdité de la fermeture des frontières des Etats-Unis aux Européens de l’UE. L’excuse sanitaire n’avait pas de sens compte tenu du fait que les vols directs étaient autorisés de certains pays à faible taux de vaccination. Dans chaque message j’ai indiqué que la list d’interdiction avait été mise en place par Trump et était avant tout centrée sur les alliés historiques des Etats-Unis comme la France et l’Allemagne pour les punir car Donald Trump était vexé par la Chancelière et notre Président. J’ai également souligné que la continuation des tarifs protectionnistes étaient une autre mesure qui donnait l’impression que l’administration Biden était la continuité de l’administration Trump, un Trump 2.0 qui n’allait recevoir ni soutien financier de la part, ni vote aux prochaines élections. Le coup fourré du contrat des sous-marins est choquant. Avant de signer un nouveau contrat, on romp le précédent. Avant de rompre un contrat on entame une procédure d’arbitrage, et avant une procédure d’arbitrage un processus de conciliation.
La RealPolitik c’est que les US ne sont plus des alliés (cf processus de départ de l’Afghanistan). L’Angleterre est dans un processus de confrontation économique où l’UE a des leviers importants à utiliser (étouffer le secteur bancaire et les transports britanniques). L’Australie est un petit marché. Une réponse à l’échelle Européenne s’impose.
Comme tu le soulignes il ne faut ni se recentrer vers la Chine, ni la Russie. Il est temps de consolider l’UE avec les seuls membres qui soient motivés. L’UE ne peut pas avancer si des membres bloquent de l’intérieur (Hongrie, Pologne).
Je suis convaincu que le temps est venu pour une refonte des institutions et la création d’institutions avec le même pouvoir centralisé dont bénéficie Washington. Il est grand temps car la situation multilatérale ne va pas en s’améliorant.
Merci encore pour ton billet sur cet épisode économique et diplomatique très décevant.