C’était il n’y a pas loin de 10 ans. Je retrouvais un matin du mois d’août sur le port de l’Ile-Tudy une amie de Bruxelles, en vacances dans ce petit coin de Bretagne qui m’est cher. J’étais heureux de la revoir et curieux aussi de savoir ce qui l’avait attirée vers notre joli bout du monde. « Une amie », me dit-elle, « une ancienne collègue de l’Ecole européenne, qui habite la seule maison rose de l’Ile-Tudy. Une femme attachante, écrivaine, peintre aussi. Tu dois lire ses livres et voir ses peintures. Elle s’appelle Marie Sizun ». C’est ainsi que j’entendis parler de Marie Sizun la première fois. La maison rose, je la connaissais. Je passais souvent devant. J’ignorais que derrière ses murs et fenêtres travaillait une romancière passionnée, pleine d’idées et de projets, à la sensibilité fine et subtile dont la lecture des livres me marquerait profondément. Car sitôt la recommandation de mon amie entendue, j’entrepris de me rendre à la librairie Guillemot à Pont l’Abbé à la recherche d’un premier roman de Marie Sizun. C’était La Femme de l’Allemand, l’histoire d’une mère et de sa petite fille dans le Paris vibrionnant de l’immédiate après-guerre, entre allégresse et non-dits, amour et secrets. Cette lecture m’avait bouleversé, par l’intrigue certainement, par la pudeur affleurante plus fortement encore.
Je suis sensible depuis toujours à la force d’un récit, à son originalité, aux chemins divers qu’il emprunte. J’ai besoin d’être emporté par une histoire, d’en être surpris, d’être presque d’être envouté par elle. Il m’arrive souvent de relire un livre pour me glisser différemment dans l’histoire, comprendre comment elle s’enchaîne, comment aussi le récit et les personnages peuvent parfois s’imposer à l’auteur. En classe de quatrième, la lecture de Malataverne, le roman de Bernard Clavel, m’avait beaucoup touché. Cette lecture fut pour moi comme un point de départ. C’est cet angle particulier de lecteur qui m’a fait entrer dans l’œuvre de Marie Sizun, dont je suis devenu depuis cet échange sur le port de l’Ile-Tudy un lecteur fidèle. Je m’efforce de faire connaître son œuvre auprès d’amis que je sais attentifs à la lecture. J’ai offert il y a peu plusieurs livres de Marie Sizun à une amie immobilisée tout l’été à la suite d’un méchant accident de voiture. La libraire, m’aidant à retrouver les romans recherchés dans son rayonnage, m’avait dit : « Cette romancière est merveilleuse. J’imagine qu’elle ressemble à ses livres ». J’avais souri, sans en dire plus. Je ne sais si l’on ressemble à ses livres, mais je sais, pour connaître désormais Marie Sizun, que sa force d’âme est bien celle de ses livres.
J’ai rencontré Marie pour la première fois l’an passé. Nous échangions par Facebook. J’aime l’idée qu’une autrice parle avec ses lecteurs. Plusieurs romans après La Femme de l’Allemand, la richesse de l’œuvre de Marie Sizun m’impressionnait chaque fois davantage par la diversité des styles et la douceur récurrente et utile de ses mots. J’avais relu peu avant notre rencontre La Gouvernante suédoise et Les Sœurs aux yeux bleus, une fresque familiale impressionnante débutant en 1867 à Stockholm, passant par Saint-Petersbourg, Meudon, Paris et la côte atlantique, dont j’avais compris en cours de lecture que l’histoire était vraie et qu’elle était celle de la famille franco-suédoise de Marie Sizun. La finesse des personnages, les ressorts intimes de chacune et chacun d’entre eux, sur trois générations, pour un destin mêlé de passions, de secrets et de chagrins, éclairaient une part de vie d’un siècle à l’autre, lorsque le passé pouvait sans doute être enfoui, sans garantie cependant qu’il le reste à jamais. Cette lecture m’avait fait mieux comprendre aussi le sens d’un autre livre, Le Père de la petite, que j’avais lu précédemment, le premier roman de Marie Sizun, sorte de troisième tome, bien qu’écrit très différemment et bien avant, de La Gouvernante suédoise et Les Sœurs aux yeux bleus.
« Mais alors, la tante Alice, … », telle fut notamment l’une de mes questions pour Marie, assise à la table du dîner avec nous, dans la lumière de fin du jour à l’Ile-Tudy. « Vous m’avez vraiment bien lue », souriait-elle. C’est que j’avais envie de comprendre l’affranchissement, l’émancipation, le désir de vie par-delà tous les atavismes de l’une des figures de son livre Les Sœurs aux yeux bleus. Et de la comprendre elle, l’autrice, dont la plume et la sensibilité me touchent tant. Qu’est-ce qui donne de la force, une identité à un personnage ? Comment entre-t-on dans une histoire, comment la raconte-t-on ? Dans le courant du printemps précédent, j’avais lu à sa sortie La Maison de Bretagne, le premier roman que Marie Sizun avait consacré à l’Ile-Tudy. Mettre en vente une maison (trop) pleine de souvenirs, y trouver un mort, voir ressurgir les fantômes du passé, les liens douloureux que l’on voulait croire oubliés et finalement regarder autrement cette maison, sa vie et l’avenir, ce livre, c’est tout cela. Claire, la narratrice, n’est pas Marie, mais son cheminement au fil des pages exprime toute la sensibilité de l’autrice. Comme certainement aussi le personnage d’Yvonne, l’ilienne, la gardienne des souvenirs et des secrets, dont l’authenticité, pour le Bigouden que je suis, est criante de justesse et de vérité.
Dans un mois, je retrouverai l’Ile-Tudy. Et j’espère y retrouver Marie Sizun. Un nouveau livre est sorti depuis l’été dernier, Les petits personnages. Il est très différent des précédents. Je m’y suis glissé avec bonheur. Ce livre, à prime abord surprenant, j’ai eu au fond l’impression au moment d’en tourner la dernière page que je l’attendais. C’est un recueil de courtes nouvelles, qui fait le pont entre les vies d’autrice et de peintre de Marie Sizun. Car les petits personnages, ce sont ces petites figures, femmes et hommes, perdues dans un tableau, sur ses marges ou en son centre, dont la présence très anonyme reflète le désir d’un peintre de donner un peu de vie à un paysage qu’il juge trop statique. J’ai aimé que Marie, par ses nouvelles, sortent ces petits personnages de leur injuste anonymat, raconte une histoire, leur prête des sentiments et des rêves. Sans doute est-ce là d’ailleurs toute la force de son œuvre. Marie Sizun est une romancière des émotions, une peintre subtile et douce. Les mots et le pinceau expriment une force commune, une permanence du message. La vie est faite de rencontres dont il faut se réjouir, qui donnent à croire en l’avenir lorsqu’il est incertain. On peut faire tellement de bien par un livre ou un tableau. C’est tout le talent de Marie Sizun.
Sous la plume de Marie Sizun
C’était il n’y a pas loin de 10 ans. Je retrouvais un matin du mois d’août sur le port de l’Ile-Tudy une amie de Bruxelles, en vacances dans ce petit coin de Bretagne qui m’est cher. J’étais heureux de la revoir et curieux aussi de savoir ce qui l’avait attirée vers notre joli bout du monde. « Une amie », me dit-elle, « une ancienne collègue de l’Ecole européenne, qui habite la seule maison rose de l’Ile-Tudy. Une femme attachante, écrivaine, peintre aussi. Tu dois lire ses livres et voir ses peintures. Elle s’appelle Marie Sizun ». C’est ainsi que j’entendis parler de Marie Sizun la première fois. La maison rose, je la connaissais. Je passais souvent devant. J’ignorais que derrière ses murs et fenêtres travaillait une romancière passionnée, pleine d’idées et de projets, à la sensibilité fine et subtile dont la lecture des livres me marquerait profondément. Car sitôt la recommandation de mon amie entendue, j’entrepris de me rendre à la librairie Guillemot à Pont l’Abbé à la recherche d’un premier roman de Marie Sizun. C’était La Femme de l’Allemand, l’histoire d’une mère et de sa petite fille dans le Paris vibrionnant de l’immédiate après-guerre, entre allégresse et non-dits, amour et secrets. Cette lecture m’avait bouleversé, par l’intrigue certainement, par la pudeur affleurante plus fortement encore.
Je suis sensible depuis toujours à la force d’un récit, à son originalité, aux chemins divers qu’il emprunte. J’ai besoin d’être emporté par une histoire, d’en être surpris, d’être presque d’être envouté par elle. Il m’arrive souvent de relire un livre pour me glisser différemment dans l’histoire, comprendre comment elle s’enchaîne, comment aussi le récit et les personnages peuvent parfois s’imposer à l’auteur. En classe de quatrième, la lecture de Malataverne, le roman de Bernard Clavel, m’avait beaucoup touché. Cette lecture fut pour moi comme un point de départ. C’est cet angle particulier de lecteur qui m’a fait entrer dans l’œuvre de Marie Sizun, dont je suis devenu depuis cet échange sur le port de l’Ile-Tudy un lecteur fidèle. Je m’efforce de faire connaître son œuvre auprès d’amis que je sais attentifs à la lecture. J’ai offert il y a peu plusieurs livres de Marie Sizun à une amie immobilisée tout l’été à la suite d’un méchant accident de voiture. La libraire, m’aidant à retrouver les romans recherchés dans son rayonnage, m’avait dit : « Cette romancière est merveilleuse. J’imagine qu’elle ressemble à ses livres ». J’avais souri, sans en dire plus. Je ne sais si l’on ressemble à ses livres, mais je sais, pour connaître désormais Marie Sizun, que sa force d’âme est bien celle de ses livres.
J’ai rencontré Marie pour la première fois l’an passé. Nous échangions par Facebook. J’aime l’idée qu’une autrice parle avec ses lecteurs. Plusieurs romans après La Femme de l’Allemand, la richesse de l’œuvre de Marie Sizun m’impressionnait chaque fois davantage par la diversité des styles et la douceur récurrente et utile de ses mots. J’avais relu peu avant notre rencontre La Gouvernante suédoise et Les Sœurs aux yeux bleus, une fresque familiale impressionnante débutant en 1867 à Stockholm, passant par Saint-Petersbourg, Meudon, Paris et la côte atlantique, dont j’avais compris en cours de lecture que l’histoire était vraie et qu’elle était celle de la famille franco-suédoise de Marie Sizun. La finesse des personnages, les ressorts intimes de chacune et chacun d’entre eux, sur trois générations, pour un destin mêlé de passions, de secrets et de chagrins, éclairaient une part de vie d’un siècle à l’autre, lorsque le passé pouvait sans doute être enfoui, sans garantie cependant qu’il le reste à jamais. Cette lecture m’avait fait mieux comprendre aussi le sens d’un autre livre, Le Père de la petite, que j’avais lu précédemment, le premier roman de Marie Sizun, sorte de troisième tome, bien qu’écrit très différemment et bien avant, de La Gouvernante suédoise et Les Sœurs aux yeux bleus.
« Mais alors, la tante Alice, … », telle fut notamment l’une de mes questions pour Marie, assise à la table du dîner avec nous, dans la lumière de fin du jour à l’Ile-Tudy. « Vous m’avez vraiment bien lue », souriait-elle. C’est que j’avais envie de comprendre l’affranchissement, l’émancipation, le désir de vie par-delà tous les atavismes de l’une des figures de son livre Les Sœurs aux yeux bleus. Et de la comprendre elle, l’autrice, dont la plume et la sensibilité me touchent tant. Qu’est-ce qui donne de la force, une identité à un personnage ? Comment entre-t-on dans une histoire, comment la raconte-t-on ? Dans le courant du printemps précédent, j’avais lu à sa sortie La Maison de Bretagne, le premier roman que Marie Sizun avait consacré à l’Ile-Tudy. Mettre en vente une maison (trop) pleine de souvenirs, y trouver un mort, voir ressurgir les fantômes du passé, les liens douloureux que l’on voulait croire oubliés et finalement regarder autrement cette maison, sa vie et l’avenir, ce livre, c’est tout cela. Claire, la narratrice, n’est pas Marie, mais son cheminement au fil des pages exprime toute la sensibilité de l’autrice. Comme certainement aussi le personnage d’Yvonne, l’ilienne, la gardienne des souvenirs et des secrets, dont l’authenticité, pour le Bigouden que je suis, est criante de justesse et de vérité.
Dans un mois, je retrouverai l’Ile-Tudy. Et j’espère y retrouver Marie Sizun. Un nouveau livre est sorti depuis l’été dernier, Les petits personnages. Il est très différent des précédents. Je m’y suis glissé avec bonheur. Ce livre, à prime abord surprenant, j’ai eu au fond l’impression au moment d’en tourner la dernière page que je l’attendais. C’est un recueil de courtes nouvelles, qui fait le pont entre les vies d’autrice et de peintre de Marie Sizun. Car les petits personnages, ce sont ces petites figures, femmes et hommes, perdues dans un tableau, sur ses marges ou en son centre, dont la présence très anonyme reflète le désir d’un peintre de donner un peu de vie à un paysage qu’il juge trop statique. J’ai aimé que Marie, par ses nouvelles, sortent ces petits personnages de leur injuste anonymat, raconte une histoire, leur prête des sentiments et des rêves. Sans doute est-ce là d’ailleurs toute la force de son œuvre. Marie Sizun est une romancière des émotions, une peintre subtile et douce. Les mots et le pinceau expriment une force commune, une permanence du message. La vie est faite de rencontres dont il faut se réjouir, qui donnent à croire en l’avenir lorsqu’il est incertain. On peut faire tellement de bien par un livre ou un tableau. C’est tout le talent de Marie Sizun.