J’ai toujours aimé le mois d’août. Dans les étés de ma jeunesse, je trouvais en août une forme de sérénité et de douceur, que le temps qui passe n’a jamais démentie. Juillet était joyeux, trépidant, énergique. La fin des classes était encore toute récente. Les transistors grésillaient des tubes de l’été et des nouvelles enthousiasmantes venues de la route du Tour de France. Il y avait du monde sur les plages et dans les terrains de camping. La vie battait son plein. A l’inverse, août était calme et tranquille. Les couleurs du ciel étaient différentes, prononcées, pleines de contrastes, et le vent toujours caressant. Dans l’air flottait l’odeur des champs et des fleurs, de la rosée du matin aux dernières lueurs du jour. C’était la seconde partie de l’été, celle qui s’achèverait par la rentrée des classes. Juillet avait été pour ma famille le temps du Pays Bigouden et des tentes plantées dans un petit verger de Loctudy, avec la mer toute proche. Août serait celui de Quimerc’h, le village de mon enfance, juché sur les premières hauteurs de l’Arrée, plus loin des vagues et des plages, une campagne de l’intérieur. Quitter le verger dans les derniers jours de juillet me faisait toujours de la peine, mais pédaler vers Quimerc’h au mois d’août était une grande aventure et quelque part une promesse aussi.
De chez nous à notre maison de Quimerc’h, il y avait 45 kilomètres, que je parcourais seul à vélo depuis mes 13 ans. J’empruntais la vieille route de Brest, délaissée par les voitures depuis l’ouverture de la voie express. Ce n’était pas plat. Je pouvais laisser libre cours à mon imagination, me rêver un instant en coureur forcément héroïque, grimper en danseuse dans mes premiers cuissards les côtes pentues après Landrévarzec, puis au sortir de Port-Launay. A Châteaulin, je passais fièrement le long de l’Aulne sur l’avenue qui accueillerait quelque temps plus tard les plus grands champions cyclistes du moment pour le traditionnel Circuit de l’Aulne. J’en serais, bien sûr, mais avant m’attendraient ces semaines heureuses à l’assaut des collines de Quimerc’h. Au bas de Pont-de-Buis se situait le Pont-Neuf. Il franchissait la Douffine, une petite rivière descendant de l’Arrée. J’avais la sensation après le Pont-Neuf d’embrasser ces collines et ces pentes dont j’avais rêvé toute l’année. C’est comme si un autre monde commençait. Je crois bien que les collines de Quimerc’h avaient dans mon imaginaire rien moins que la puissance et la magie de celles de Pagnol. Sans doute aussi parce qu’à Quimerc’h, je retrouverais oncles et tantes, cousins et cousines, une histoire, notre histoire.
Je n’ai jamais oublié mes collines. Elles ont forgé ma jeunesse et restent aujourd’hui un repère, une identité, une boussole pour le temps qui reste. L’enfance est une fabrique magistrale de souvenirs, non pour quelques années, mais pour toute une vie. J’ai fait, à l’orée de l’âge adulte et durant des années, des voyages lointains et fascinants, mais ils n’occupent dans ma mémoire qu’une part finalement secondaire. C’est dans la simplicité de mes vacances d’enfant, les jeux d’alors, les conversations amusées et tendres avec les oncles et les tantes, les histoires qui m’étaient racontées ou celles que je devinais que se trouvait le secret. Et ce secret s’appelle la transmission. Mes collines sont belles parce que des gens humbles et aimants ont su les enchanter. Aujourd’hui encore, lorsque je les arpente, je revois ces visages depuis longtemps disparus et qui ont tant compté. Il y a au détour de chemins des souvenirs qui me reviennent, des bribes d’histoire à partager pour ne pas qu’elles se perdent. Un calvaire, une chapelle, des sapins, une pente à 10% sur laquelle mon oncle cyclotouriste testait mes mollets et jarrets de futur coureur cycliste. Sur mon vélo, je partais à l’aventure, sans carte, terminant parfois dans des cours de ferme avec un furieux molosse à mes trousses.
J’écris ces lignes au bord de l’océan, dans le Sud-Finistère. Nous sommes arrivés d’Espagne il y a quelques jours. Mes enfants y ont passé un mois avec leurs grands-parents maternels. Ils ont désormais retrouvé leur mamie bretonne. Juillet, août, c’est le temps de leurs collines. Mais que sont-elles et où sont-elles ? Là où nous sommes à l’Ile-Tudy, à un ou deux mètres tout au plus au-dessus du niveau de la mer, les collines sont virtuelles. En Galice, elles étaient celles de la Zapateira et de son club de golf, perché sur les hauteurs de La Corogne. Cela fait plusieurs étés que mes enfants les arpentent. Il y a sans doute moins d’imprévu sur les greens que dans mes sprints impromptus de cours de ferme, mais le bonheur reste pourtant le même : partager. Partager avec les grands-parents, un jour, un soir, une semaine, un mois, des années. Partager et apprendre, interroger, comprendre ce qui est dit et deviner le reste, ce sont les miracles et les bonheurs longs de la transmission, ceux qui survivront à tout et accompagneront une vie, par-delà les destins. Les collines de mes enfants sont aussi nos vagues bretonnes, celles qu’ils affrontent sur les voiliers du centre nautique de l’Ile-Tudy. Tribord, babord, naviguer au près, je me fais avec eux le passeur de cette mémoire-là.
Chaque génération a ses collines d’enfance. Les pellicules Kodak et les films Super 8 de mes jeunes années rendaient tout cliché rare et précieux (et muet). Ce n’est plus le cas à l’âge des IPhones. Les images sont partout, les enregistrements aussi. J’aurais tellement aimé conserver la voix de ceux des miens qui ne sont plus. Ils me manquent, mais leurs histoires, leur bonté, leurs visages, leurs regards, leurs sourires m’accompagnent malgré tout. La transmission, c’est s’imprégner des autres. On ne le sait pas sur l’instant. On le découvre après, parfois même longtemps après, à la faveur d’une conversation, d’une anecdote partagée, d’une joie ou parfois aussi d’une peine. Enfant, je partais à l’assaut des collines, pour découvrir et apprendre. Je suis maintenant sur les collines, pour raconter et partager, à mon tour. Ainsi va la vie et c’est heureux. Et c’est juste aussi. Mes collines à moi sont encore là. Un jour, il s’y trouve un peu moins de monde, mais les souvenirs, les valeurs et les messages demeurent, ancrés à jamais. C’est le plus important. Les Bretons sont conteurs dans l’âme. Je dois en être aussi. Raconter ce qu’on m’a dit, l’écrire également. Des grandes et des petites histoires, celles qui rassemblent, qui émeuvent et qui unissent. Pour que vivent mes collines et puis demain les leurs.
Mes collines et les leurs
J’ai toujours aimé le mois d’août. Dans les étés de ma jeunesse, je trouvais en août une forme de sérénité et de douceur, que le temps qui passe n’a jamais démentie. Juillet était joyeux, trépidant, énergique. La fin des classes était encore toute récente. Les transistors grésillaient des tubes de l’été et des nouvelles enthousiasmantes venues de la route du Tour de France. Il y avait du monde sur les plages et dans les terrains de camping. La vie battait son plein. A l’inverse, août était calme et tranquille. Les couleurs du ciel étaient différentes, prononcées, pleines de contrastes, et le vent toujours caressant. Dans l’air flottait l’odeur des champs et des fleurs, de la rosée du matin aux dernières lueurs du jour. C’était la seconde partie de l’été, celle qui s’achèverait par la rentrée des classes. Juillet avait été pour ma famille le temps du Pays Bigouden et des tentes plantées dans un petit verger de Loctudy, avec la mer toute proche. Août serait celui de Quimerc’h, le village de mon enfance, juché sur les premières hauteurs de l’Arrée, plus loin des vagues et des plages, une campagne de l’intérieur. Quitter le verger dans les derniers jours de juillet me faisait toujours de la peine, mais pédaler vers Quimerc’h au mois d’août était une grande aventure et quelque part une promesse aussi.
De chez nous à notre maison de Quimerc’h, il y avait 45 kilomètres, que je parcourais seul à vélo depuis mes 13 ans. J’empruntais la vieille route de Brest, délaissée par les voitures depuis l’ouverture de la voie express. Ce n’était pas plat. Je pouvais laisser libre cours à mon imagination, me rêver un instant en coureur forcément héroïque, grimper en danseuse dans mes premiers cuissards les côtes pentues après Landrévarzec, puis au sortir de Port-Launay. A Châteaulin, je passais fièrement le long de l’Aulne sur l’avenue qui accueillerait quelque temps plus tard les plus grands champions cyclistes du moment pour le traditionnel Circuit de l’Aulne. J’en serais, bien sûr, mais avant m’attendraient ces semaines heureuses à l’assaut des collines de Quimerc’h. Au bas de Pont-de-Buis se situait le Pont-Neuf. Il franchissait la Douffine, une petite rivière descendant de l’Arrée. J’avais la sensation après le Pont-Neuf d’embrasser ces collines et ces pentes dont j’avais rêvé toute l’année. C’est comme si un autre monde commençait. Je crois bien que les collines de Quimerc’h avaient dans mon imaginaire rien moins que la puissance et la magie de celles de Pagnol. Sans doute aussi parce qu’à Quimerc’h, je retrouverais oncles et tantes, cousins et cousines, une histoire, notre histoire.
Je n’ai jamais oublié mes collines. Elles ont forgé ma jeunesse et restent aujourd’hui un repère, une identité, une boussole pour le temps qui reste. L’enfance est une fabrique magistrale de souvenirs, non pour quelques années, mais pour toute une vie. J’ai fait, à l’orée de l’âge adulte et durant des années, des voyages lointains et fascinants, mais ils n’occupent dans ma mémoire qu’une part finalement secondaire. C’est dans la simplicité de mes vacances d’enfant, les jeux d’alors, les conversations amusées et tendres avec les oncles et les tantes, les histoires qui m’étaient racontées ou celles que je devinais que se trouvait le secret. Et ce secret s’appelle la transmission. Mes collines sont belles parce que des gens humbles et aimants ont su les enchanter. Aujourd’hui encore, lorsque je les arpente, je revois ces visages depuis longtemps disparus et qui ont tant compté. Il y a au détour de chemins des souvenirs qui me reviennent, des bribes d’histoire à partager pour ne pas qu’elles se perdent. Un calvaire, une chapelle, des sapins, une pente à 10% sur laquelle mon oncle cyclotouriste testait mes mollets et jarrets de futur coureur cycliste. Sur mon vélo, je partais à l’aventure, sans carte, terminant parfois dans des cours de ferme avec un furieux molosse à mes trousses.
J’écris ces lignes au bord de l’océan, dans le Sud-Finistère. Nous sommes arrivés d’Espagne il y a quelques jours. Mes enfants y ont passé un mois avec leurs grands-parents maternels. Ils ont désormais retrouvé leur mamie bretonne. Juillet, août, c’est le temps de leurs collines. Mais que sont-elles et où sont-elles ? Là où nous sommes à l’Ile-Tudy, à un ou deux mètres tout au plus au-dessus du niveau de la mer, les collines sont virtuelles. En Galice, elles étaient celles de la Zapateira et de son club de golf, perché sur les hauteurs de La Corogne. Cela fait plusieurs étés que mes enfants les arpentent. Il y a sans doute moins d’imprévu sur les greens que dans mes sprints impromptus de cours de ferme, mais le bonheur reste pourtant le même : partager. Partager avec les grands-parents, un jour, un soir, une semaine, un mois, des années. Partager et apprendre, interroger, comprendre ce qui est dit et deviner le reste, ce sont les miracles et les bonheurs longs de la transmission, ceux qui survivront à tout et accompagneront une vie, par-delà les destins. Les collines de mes enfants sont aussi nos vagues bretonnes, celles qu’ils affrontent sur les voiliers du centre nautique de l’Ile-Tudy. Tribord, babord, naviguer au près, je me fais avec eux le passeur de cette mémoire-là.
Chaque génération a ses collines d’enfance. Les pellicules Kodak et les films Super 8 de mes jeunes années rendaient tout cliché rare et précieux (et muet). Ce n’est plus le cas à l’âge des IPhones. Les images sont partout, les enregistrements aussi. J’aurais tellement aimé conserver la voix de ceux des miens qui ne sont plus. Ils me manquent, mais leurs histoires, leur bonté, leurs visages, leurs regards, leurs sourires m’accompagnent malgré tout. La transmission, c’est s’imprégner des autres. On ne le sait pas sur l’instant. On le découvre après, parfois même longtemps après, à la faveur d’une conversation, d’une anecdote partagée, d’une joie ou parfois aussi d’une peine. Enfant, je partais à l’assaut des collines, pour découvrir et apprendre. Je suis maintenant sur les collines, pour raconter et partager, à mon tour. Ainsi va la vie et c’est heureux. Et c’est juste aussi. Mes collines à moi sont encore là. Un jour, il s’y trouve un peu moins de monde, mais les souvenirs, les valeurs et les messages demeurent, ancrés à jamais. C’est le plus important. Les Bretons sont conteurs dans l’âme. Je dois en être aussi. Raconter ce qu’on m’a dit, l’écrire également. Des grandes et des petites histoires, celles qui rassemblent, qui émeuvent et qui unissent. Pour que vivent mes collines et puis demain les leurs.
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