Voilà deux mois que la réforme des retraites occupe tout l’espace public en France, sans qu’aucune solution ne se dessine pour sortir de ce qui devient désormais une crise politique et sociale profonde, menaçante pour la cohésion sociale et la paix civile. Les manifestations se multiplient dans le pays, par-delà le vote de la loi à l’Assemblée nationale il y a quelques jours, article 49.3 de la Constitution aidant. De l’opposition initiale à la réforme, le mouvement glisse désormais vers une opposition frontale, débridée, haineuse même, à la personne du Président de la République. Cela doit alerter. Un ressentiment vif et durable est à l’œuvre, dont il faut s’inquiéter pour la société et pour l’économie française. La France ne peut vivre longtemps dans un pareil état de tension. Vue de l’étranger, cette situation est effarante. Il faut en sortir, et en sortir ensemble. Cela commande de rompre avec un double déni : celui, par le gouvernement, du rejet populaire de la réforme et celui, par les forces d’opposition, de la réalité d’un pays endetté et désindustrialisé, dont la préservation du modèle social requiert un surcroit d’effort commun. Tabler sur l’épuisement du mouvement social serait une erreur, attendre le renoncement par le gouvernement à son agenda réformateur le serait tout autant.
J’écris ces lignes en électeur d’Emmanuel Macron. En 2022, j’ai voté pour lui aux deux tours de l’élection présidentielle. Comme je l’avais fait en 2017. Le dépassement politique, je le conçois, dès lors qu’il est le rassemblement utile des volontés. Mon cœur et mon histoire sont à gauche. Ils le restent. Je crois en l’engagement fondateur de la puissance publique. Je sais aussi d’où je viens personnellement et ce que l’Etat social a apporté aux familles modestes, parmi lesquelles la mienne. Ce n’est pas de moins de puissance publique dont nous aurons besoin face aux défis de la France et du monde, c’est de plus. Il faudra en effet dépenser plus car des investissements massifs et nécessaires dans l’éducation, la transition écologique et énergétique, la réindustrialisation, la santé ou la défense le requièrent. Et pour dépenser plus, il faudra travailler plus. Notre dette dépasse les 3000 milliards d’Euros, aller au-delà serait funeste pour notre souveraineté. Taxer encore et encore serait facile, à part qu’on y laisserait aussi toute la récupération économique des années passées. Ni la dette, ni l’impôt ne sont la solution. La solution, c’est le travail et en particulier le relèvement du taux d’emploi des seniors, l’un des plus faibles d’Europe (56% en France, 72% en Allemagne).
La démocratie sociale est un atout
Travailler plus, c’est créer des richesses en plus, et entraîner d’importantes recettes supplémentaires, à prélèvements constants, pour l’action publique et la protection sociale. Il y a tant à faire pour relever le taux d’emploi des seniors, en termes de formation, de cumul emploi-retraite et d’engagements incitatifs à imaginer pour que les entreprises conservent les salariés de plus de 55 ans. Or, qui mieux que les partenaires sociaux identifieront ces solutions à l’issue d’une négociation collective ? C’est leur rôle et leur vocation. S’il est une chose que je regrette depuis 2017, c’est l’effacement de la politique contractuelle et du dialogue social. Se défier des syndicats et des organisations professionnelles dans le débat national est une erreur. La démocratie sociale n’est pas un boulet, elle est un atout. C’est avec la CFDT qu’il aurait fallu faire la réforme des retraites, pas sans elle, et encore moins contre elle. Il y a dans l’imaginaire français un idéal du temps libéré, hérité de luttes glorieuses, qui appartiennent à notre récit national et qu’il faut respecter. Il s’y trouve aussi une passion de l’égalité et de la justice, qu’il faut se garder de moquer ou de brocarder. La retraite est vécue comme une libération, un droit au repos après une vie de travail, parfois difficile et surtout au bout. C’est ainsi.
Oui, il faut une réforme des retraites et il faut qu’une majorité des Français s’approprient cette réforme. Nous n’y sommes pas. La réforme doit être vécue comme un progrès. Celle, avortée, de 2019 aurait pu l’être avec le régime universel à points, sans relèvement de l’âge légal, assortie d’une règle d’or d’équilibre financier. Elle portait en elle une réelle dimension de justice, mettant fin à tous les régimes spéciaux. Elle aurait pu être couplée avec une accélération de l’application de la loi Touraine, augmentant le nombre nécessaire de trimestres cotisés pour bénéficier d’une retraite à taux plein, sans pour autant relever l’âge légal. Car le relèvement de l’âge légal pénalise les Françaises et Français qui ont commencé à travailler tôt et que la vie professionnelle a abimé davantage, celles et ceux qui ont des carrières hachées et en particulier les femmes. L’idée d’introduire une part de capitalisation en appui à la répartition aurait pu être explorée aussi, avec des fonds de pension collectifs à l’instar de ce qu’était à l’origine le Fonds de réserve pour les retraites. Je regrette que la part d’imagination du projet de 2019 ait été abandonnée, et avec elle la fenêtre d’opportunité sociale qu’il ouvrait, au profit d’un changement uniquement paramétrique autour du relèvement de l’âge légal à 64 ans.
Elargir la réforme et préparer l’avenir
La France Insoumise et ses alliés de la NUPES défendent un projet de retraite à 60 ans, avec retour de la durée de cotisation à 40 ans au lieu de 43 ans. C’est rigoureusement infinançable et démagogique. Quant au Rassemblement national, il s’efforce de laisser croire que tout deviendra possible lorsque les étrangers auront été mis dehors. On ne se refait pas, même si Jean-Marie Le Pen a pris sa retraite (à 90 ans…). Aucune alternative crédible n’existe ni n’est même recherchée par les oppositions. A bien les écouter, il faudrait juste ne rien changer du tout. Or, le statu quo ne peut pas être une option, pas davantage que ne l’est la mobilisation des ressources de la Constitution pour emporter une décision improbable dans un contexte de majorité relative. Car échapper à la censure est une victoire avec un goût de cendre : elle ne prépare pas l’avenir. Le tissu social est déchiré, la dynamique politique n’est plus là. Faut-il mettre à l’arrêt le quinquennat, alors que les défis et les menaces pour la France, l’Europe et le monde se multiplient ? Attendre la décision du Conseil constitutionnel dans un mois, un hypothétique référendum d’initiative populaire dans un an ? Je pense profondément que non.
Il est urgent de prendre acte de l’impasse actuelle et de ses périls pour notre pays. Surseoir à la promulgation de la loi serait sans doute le plus utile pour élargir la réforme et y rajouter les éléments de justice et d’acceptabilité sociale qui lui font défaut, en retrouvant l’inspiration du projet de 2019. Et explorer, avec les partenaires sociaux, la voie alternative de l’accélération de la loi Touraine. Pour cela, un changement de méthode est nécessaire. Cette législature se jouera jusqu’en 2027 sur des majorités d’idées, à défaut de majorité absolue. On ne peut lui appliquer les logiques classiques de la Vème République et une verticalité qui isole. Il ne sert à rien d’invoquer le souvenir de Michel Rocard et de ses multiples 49.3 entre 1988 et 1991. La réalité de l’époque, y compris de la majorité relative, était bien différente de celle d’aujourd’hui. Il ne manquait qu’une quinzaine de voix à Michel Rocard à l’Assemblée nationale, il en manque plus de quarante à Elisabeth Borne. Par contre, c’est de la méthode de Michel Rocard dont il serait heureux de se souvenir : la recherche du compromis et de la justice, la rencontre féconde de la démocratie parlementaire et de la démocratie sociale, le partage de la valeur. Je n’oublie pas que l’aventure politique du macronisme est née de ces idées-là. Et je les crois plus que jamais actuelles.
En sortir ensemble
Voilà deux mois que la réforme des retraites occupe tout l’espace public en France, sans qu’aucune solution ne se dessine pour sortir de ce qui devient désormais une crise politique et sociale profonde, menaçante pour la cohésion sociale et la paix civile. Les manifestations se multiplient dans le pays, par-delà le vote de la loi à l’Assemblée nationale il y a quelques jours, article 49.3 de la Constitution aidant. De l’opposition initiale à la réforme, le mouvement glisse désormais vers une opposition frontale, débridée, haineuse même, à la personne du Président de la République. Cela doit alerter. Un ressentiment vif et durable est à l’œuvre, dont il faut s’inquiéter pour la société et pour l’économie française. La France ne peut vivre longtemps dans un pareil état de tension. Vue de l’étranger, cette situation est effarante. Il faut en sortir, et en sortir ensemble. Cela commande de rompre avec un double déni : celui, par le gouvernement, du rejet populaire de la réforme et celui, par les forces d’opposition, de la réalité d’un pays endetté et désindustrialisé, dont la préservation du modèle social requiert un surcroit d’effort commun. Tabler sur l’épuisement du mouvement social serait une erreur, attendre le renoncement par le gouvernement à son agenda réformateur le serait tout autant.
J’écris ces lignes en électeur d’Emmanuel Macron. En 2022, j’ai voté pour lui aux deux tours de l’élection présidentielle. Comme je l’avais fait en 2017. Le dépassement politique, je le conçois, dès lors qu’il est le rassemblement utile des volontés. Mon cœur et mon histoire sont à gauche. Ils le restent. Je crois en l’engagement fondateur de la puissance publique. Je sais aussi d’où je viens personnellement et ce que l’Etat social a apporté aux familles modestes, parmi lesquelles la mienne. Ce n’est pas de moins de puissance publique dont nous aurons besoin face aux défis de la France et du monde, c’est de plus. Il faudra en effet dépenser plus car des investissements massifs et nécessaires dans l’éducation, la transition écologique et énergétique, la réindustrialisation, la santé ou la défense le requièrent. Et pour dépenser plus, il faudra travailler plus. Notre dette dépasse les 3000 milliards d’Euros, aller au-delà serait funeste pour notre souveraineté. Taxer encore et encore serait facile, à part qu’on y laisserait aussi toute la récupération économique des années passées. Ni la dette, ni l’impôt ne sont la solution. La solution, c’est le travail et en particulier le relèvement du taux d’emploi des seniors, l’un des plus faibles d’Europe (56% en France, 72% en Allemagne).
La démocratie sociale est un atout
Travailler plus, c’est créer des richesses en plus, et entraîner d’importantes recettes supplémentaires, à prélèvements constants, pour l’action publique et la protection sociale. Il y a tant à faire pour relever le taux d’emploi des seniors, en termes de formation, de cumul emploi-retraite et d’engagements incitatifs à imaginer pour que les entreprises conservent les salariés de plus de 55 ans. Or, qui mieux que les partenaires sociaux identifieront ces solutions à l’issue d’une négociation collective ? C’est leur rôle et leur vocation. S’il est une chose que je regrette depuis 2017, c’est l’effacement de la politique contractuelle et du dialogue social. Se défier des syndicats et des organisations professionnelles dans le débat national est une erreur. La démocratie sociale n’est pas un boulet, elle est un atout. C’est avec la CFDT qu’il aurait fallu faire la réforme des retraites, pas sans elle, et encore moins contre elle. Il y a dans l’imaginaire français un idéal du temps libéré, hérité de luttes glorieuses, qui appartiennent à notre récit national et qu’il faut respecter. Il s’y trouve aussi une passion de l’égalité et de la justice, qu’il faut se garder de moquer ou de brocarder. La retraite est vécue comme une libération, un droit au repos après une vie de travail, parfois difficile et surtout au bout. C’est ainsi.
Oui, il faut une réforme des retraites et il faut qu’une majorité des Français s’approprient cette réforme. Nous n’y sommes pas. La réforme doit être vécue comme un progrès. Celle, avortée, de 2019 aurait pu l’être avec le régime universel à points, sans relèvement de l’âge légal, assortie d’une règle d’or d’équilibre financier. Elle portait en elle une réelle dimension de justice, mettant fin à tous les régimes spéciaux. Elle aurait pu être couplée avec une accélération de l’application de la loi Touraine, augmentant le nombre nécessaire de trimestres cotisés pour bénéficier d’une retraite à taux plein, sans pour autant relever l’âge légal. Car le relèvement de l’âge légal pénalise les Françaises et Français qui ont commencé à travailler tôt et que la vie professionnelle a abimé davantage, celles et ceux qui ont des carrières hachées et en particulier les femmes. L’idée d’introduire une part de capitalisation en appui à la répartition aurait pu être explorée aussi, avec des fonds de pension collectifs à l’instar de ce qu’était à l’origine le Fonds de réserve pour les retraites. Je regrette que la part d’imagination du projet de 2019 ait été abandonnée, et avec elle la fenêtre d’opportunité sociale qu’il ouvrait, au profit d’un changement uniquement paramétrique autour du relèvement de l’âge légal à 64 ans.
Elargir la réforme et préparer l’avenir
La France Insoumise et ses alliés de la NUPES défendent un projet de retraite à 60 ans, avec retour de la durée de cotisation à 40 ans au lieu de 43 ans. C’est rigoureusement infinançable et démagogique. Quant au Rassemblement national, il s’efforce de laisser croire que tout deviendra possible lorsque les étrangers auront été mis dehors. On ne se refait pas, même si Jean-Marie Le Pen a pris sa retraite (à 90 ans…). Aucune alternative crédible n’existe ni n’est même recherchée par les oppositions. A bien les écouter, il faudrait juste ne rien changer du tout. Or, le statu quo ne peut pas être une option, pas davantage que ne l’est la mobilisation des ressources de la Constitution pour emporter une décision improbable dans un contexte de majorité relative. Car échapper à la censure est une victoire avec un goût de cendre : elle ne prépare pas l’avenir. Le tissu social est déchiré, la dynamique politique n’est plus là. Faut-il mettre à l’arrêt le quinquennat, alors que les défis et les menaces pour la France, l’Europe et le monde se multiplient ? Attendre la décision du Conseil constitutionnel dans un mois, un hypothétique référendum d’initiative populaire dans un an ? Je pense profondément que non.
Il est urgent de prendre acte de l’impasse actuelle et de ses périls pour notre pays. Surseoir à la promulgation de la loi serait sans doute le plus utile pour élargir la réforme et y rajouter les éléments de justice et d’acceptabilité sociale qui lui font défaut, en retrouvant l’inspiration du projet de 2019. Et explorer, avec les partenaires sociaux, la voie alternative de l’accélération de la loi Touraine. Pour cela, un changement de méthode est nécessaire. Cette législature se jouera jusqu’en 2027 sur des majorités d’idées, à défaut de majorité absolue. On ne peut lui appliquer les logiques classiques de la Vème République et une verticalité qui isole. Il ne sert à rien d’invoquer le souvenir de Michel Rocard et de ses multiples 49.3 entre 1988 et 1991. La réalité de l’époque, y compris de la majorité relative, était bien différente de celle d’aujourd’hui. Il ne manquait qu’une quinzaine de voix à Michel Rocard à l’Assemblée nationale, il en manque plus de quarante à Elisabeth Borne. Par contre, c’est de la méthode de Michel Rocard dont il serait heureux de se souvenir : la recherche du compromis et de la justice, la rencontre féconde de la démocratie parlementaire et de la démocratie sociale, le partage de la valeur. Je n’oublie pas que l’aventure politique du macronisme est née de ces idées-là. Et je les crois plus que jamais actuelles.